110.1 - Quand Estelle rencontre Kylie

7 minutes de lecture

Vous allez me passer votre patron maintenant avant que je me fâche ! grogna un homme anglophone au téléphone. Si vous êtes trop incompétente pour faire votre travail, il pourra bien vous remplacer !

Monsieur Thomas, je vous ai averti que la facturation ne fonctionne pas ainsi, expliqua la punk. Ce n’est même pas mon domaine, mais tout le monde qui travaille ici sait déjà que ça prend au moins deux mois avant que les factures des nouveaux forfaits soient appliqués dans vos paiements mensuels. Votre épouse nous a déjà contacté et nous lui avons répété la même chose.

Oui, mais vous ne nous avez toujours pas remboursé !

Et je vous répète pour la dernière fois que c’est contre le règlement, Monsieur Thomas. Vous auriez dû appeler avant le premier juillet pour faire cette demande. Je suis sincèrement désolée, mais c’est la procédure.

Allez-vous faire foutre !

L’homme mécontent raccrocha son téléphone si fort que cela causa une migraine à Kylie. Deux jours après la Fête du Canada, la musicienne était revenue au travail dans l’espoir que les choses se passeraient mieux que la dernière fois. Malheureusement pour elle, la pauvre jeune femme s’était récoltée plus de dix clients qui lui avaient tous manqué de respect et l’avait traité de tous les noms. Elle n’en pouvait plus. Il fallait qu’elle sorte de cet endroit. C’était plus fort qu’elle…

La jeune femme colérique leva ses mains dans les airs et pris un crayon qu’elle mordit si fort qu’elle le cassa en deux. Elle recracha le bois et le plomb qui était entré dans sa bouche. Ensuite, elle se hissa d’un bond, monta sur le pupitre et tournoya autour d’elle-même pour s’adresser à tous ses collègues de travail.

J’EMMERDE CE JOB DE MERDE ! hurla-t-elle en anglais. J’en ai assez de me faire traiter comme une grosse vache à lait avec un salaire de minable ! JE M’EN VAIS !

Mademoiselle Sanders, descendez de là tout de suite ! lança son employeur.

Allez-vous faire foutre, Monsieur le gros gorille qui se gratte le cul à longueur de journée ! Vous ne valez pas mieux que nos clients qui n’arrêtent pas d’abuser de notre santé mentale ! Allez plutôt vous masturber sur nos photos puisque que vous ne faites que ça de vos journées ! Tout le monde sait que la majorité des femmes que vous engagez finissent sur vos fonds d’écrans ! Je vous déteste !

Quel culot ! Vous pouvez dire adieu à votre prochain salaire !

Pour toute réponse, Kylie se tourna dos à lui et baissa son pantalon.

BAISE MON CUL, FILS DE PUTE ! provoqua celle-ci.

La plupart de ses collègues poussèrent des sifflements pour encourager cette dernière, alors que d’autres applaudirent ou rirent. Plusieurs femmes l’imitèrent et montèrent sur leurs chaises ou leurs pupitres pour clamer haut et fort qu’elles démissionnaient. En tout, plus de la moitié des employés se rebellèrent contre leur patron firent du grabuge dans la grande salle où se trouvaient les centaines de pupitres.

Le pauvre employeur s’enferma dans son bureau, en état de panique, alors qu’on lançait des objets dans sa direction. Il ne pouvait pas appeler la police de la ville, car ils ne faisaient rien d’illégal. Cependant, il contacta les gardiens de sécurité du bâtiment afin de les avertir de cette grève générale qui venait d’éclater. Ils n’étaient pas assez cependant pour tout le nombre d’employés qu’il avait engagé dans cette compagnie. Le chaos et l’hilarité éclata au centre d’appel téléphonique.

Pendant ce temps, Kylie jeta sa carte d’identification à la poubelle, ramassa ses affaires et se rendit à la salle des esclaves pour enfiler ses chaussures. Ensuite, elle sortit par la porte réservée aux gens qui voulaient aller fumer une clope derrière la cuisine et contourna le bâtiment pour se rendre au stationnement. Un sourire aux lèvres, elle était satisfaite de son coup. Plus jamais elle ne laisserait quelqu’un profiter de sa santé ainsi.

— À LA REVOYURE, TOUT LE MONDE ! lança-t-elle en faisant le doigt d’honneur au bâtiment. Vous ne me manquerez pas pour tout l’or du monde ! HA HA HA !

Kylie repensa aux derniers mots qu’elle avait dits à son ex-employeur, s’esclaffa et monta sur sa motocyclette. Elle démarra l’engin. Enfin libre de cet emploi qu’elle qualifiait de perte de temps, la musicienne avait décidé de travailler pour son frère. Le salaire serait moins élevé qu’au centre d’appel, mais au moins celui-ci respecterait le fait qu’elle était d’abord et avant tout une humaine. Elle en avait déjà parlé avec Scottie à quelques reprises : si jamais celle-ci devait perdre son emploi, il l’engagerait.

Les oreilles sifflantes, Kylie fit le trajet habituel jusqu’à la basse-ville. Cette fois, au lieu de se rendre au parc où travaillait son frère, elle se rendit à la Rôtisserie de Baldt Street, où elle avait l’habitude de s’acheter du poulet et des frites. C’était presque l’heure du dîner et la dame commençait à avoir faim. Elle arriva enfin à destination et gara son véhicule en face de l’une des entrées.

— Ah tiens ! Mais regarde qui voilà… dit une voix familière qu’elle reconnut à sa droite, après être entrée dans le bâtiment. Tu ne travaillais pas, aujourd’hui ?

C’était Stacy et son petit ami, Bobby. La rousse aux yeux noisette salua son amie et l’invita à s’asseoir avec eux.

— Si, mais j’ai envoyé chier le patron après mon dixième client grossier, répliqua Kylie. D’ailleurs, ne sois pas étonnée de voir que plusieurs employés auront quitté, dès ton retour. Quand je suis sortie, c’était le bordel.

Stacy roula des yeux et soupira.

— Tu aurais pu me prévenir, hein ? fit cette dernière. Je vais faire quoi, maintenant que tu n’es plus là ? Les autres employés sont plutôt… ennuyants contrairement à toi.

— Le gorille me remplacera plus vite que tu ne le penses, pouffa la punk.

Son ex-patron était un grand homme imposant à la peau très claire, mais il avait beaucoup de poils sur les bras et le torse qui lui donnait l’air d’un gros singe. La musicienne n’associait pas ce terme au racisme, elle détestait simplement celui-ci.

— Monsieur Samsom n’est pas si méchant que ça, riposta son amie. Juste un peu louche. À part ça il ne m’a jamais dérangé.

— Tu sais qu’il se sert des caméras pour nous mater le cul, dans ce bâtiment ? interrogea la punk. C’est qu’un pervers, ce pauvre con. Je restais seulement pour le fric. Ça ne m’étonnerait pas qu’il finisse en prison, un jour…

— D’où tiens-tu cette information ?

— Pourquoi penses-tu que mon frère ne travaille plus pour lui ? C’était son assistant. Il l’a choppé les mains sur son paquet…

Stacy était répugnée par ce qu’elle entendait.

— Évidemment, Scottie l’a confronté et a contourné son bureau quand il a cru qu’il faisait un arrêt cardiaque, mais bon, quand il a vu les images des caméras posés sur les tétons de Jennifer Dubreuil, mon frère a vite compris que notre big boss se masturbait. Cet imbécile de Samson lui a offert une somme d’argent pour qu’il aille continuer ses études.

— Oh le salaud ! grogna la rousse. Pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de tout ça ?

— J’ai essayé quelques fois, mais tu étais soit trop occupée ou bien ivre au travail…

Son amie rougit honteusement, maudissant son alcoolisme de l’époque. Elle était sobre depuis plus d’un an. Elle s’était fait réprimander à quelques reprises par le patron pour avoir apporté du whisky ou bien du vin dans ses bouteilles de jus. La jeune femme n’avait même pas encore l’âge légal pour boire ; son petit ami, si.

Kylie se tourna vers le jeune homme d’origine japonaise qui n’en revenait pas de cette conversation. Bobby avait été adopté par une famille québécoise après que sa famille immigrante avait été tuée dans un incendie, à l’âge de quatre ans. Il avait de vieilles cicatrices de brûlures sur le dos, mais elles ne paraissaient plus tant que ça. Celui-ci passait beaucoup de temps en compagnies des jumeaux, durant les fins de semaines. Le jeune homme était aussi interloqué que Stacy.

— T’aurais quand même pu me prévenir, hein ? râla-t-il. Je suis son homme, après tout.

— J’ai oublié, remarqua Kylie. Et puis, vous aviez autant besoin d’argent que mon frère et moi. Durant cette période, personne n’engageait vraiment de nouveaux employés…

— Oulah… laisse-moi quelque temps pour digérer tout ça, formula la rousse qui se croisa les bras. Je sais que tu voulais bien faire, mais ce genre de détails, fallait que ça sorte avant, quoi… J’aurais cherché pour un autre emploi, si j’avais su.

Kylie haussa des épaules, puis hocha la tête. Elle salua le couple, puis s’éloigna afin de s’asseoir dans un coin de la salle à manger. Un grand blond avec une queue de cheval vint à sa rencontre, avec un carnet et un stylo. Il avait une barbe finement taillée au niveau du menton et derrière les pommettes.

— Ce sera la même chose que d’habitude ? demanda Arthur Sage à sa cliente.

— Ouais, pouvez-vous changer les frites en poutine, cette fois ? fit la punk.

— Avec quelle sauce ? Bœuf ou barbecue ?

— Bœuf avec des oignons frits, s’il vous plaît.

— Et comme breuvage ? Un thé glacé ?

Elle hocha la tête et il marqua le tout sur son bout de papier. Elle était une cliente fidèle de la Rôtisserie, à un tel point que les plus anciens employés connaissaient d’avance ses goûts. L’assistant-gérant qui venait de la servir, passait de temps en temps à la cantine mobile de son frère pour discuter avec eux. Celle-ci ignorait qu’il s’agissait en fait d’un homme d’un tout autre monde, qui veillait sur eux depuis quelque temps.

Kylie le trouvait sympathique, mais parfois elle se demandait pourquoi il s’intéressait tant à eux et la carrière de Scottie. Elle sortit son téléphone portable de sa poche et se mit à lire une tonne de commentaires qu’on lui avait laissés sur ses réseaux sociaux, suite à son départ très remarqué du centre d’appel. La jeune femme esquissa un sourire lorsqu’elle remarqua qu’on lui avait fait une trentaine de demandes d’amis.

Annotations

Vous aimez lire TeddieSage ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0