135.2 - La philosophie du diable

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Gabriel occupait le poste de chef pour cette partie du palais. Il ne sortait pratiquement plus des cuisines, à force de cuisiner pour tout le monde. Lorsqu’il avait terminé de travailler, il revenait chaque soir, complètement crevé, dans sa chambre. Beaucoup de dieux et d’anges ne cessaient de lui demander son autographe, depuis qu’ils l’avaient vu faire sa fameuse prise de catch au diable. Le pauvre colosse ne s’y faisait pas à cette popularité, même s’il appréciait de voir de plus en plus de gens, venir déguster ses plats. Au moins, cette fichue guerre était terminée et il pouvait enfin se reposer !

— Mais fais attention, quoi ! lança la voix forte du colosse, depuis la pièce.

Flint haussa un sourcil alors qu’il allait entrer dans le réfectoire. Il entendit un bruit de métal qui tapa le sol, et son mari lâcha un juron, ce qui effraya son marmiton.

— Aïeeeeeuh ! hurla Gabriel. Mon pied !

Le blond secoua sa tête. Monsieur Kent devait encore avoir échappé la marmite du potage, pour la troisième fois cette semaine. Il s’agissait du marmiton le plus maladroit de la cuisine et c’était la seule chose qu’il soit assez compétant de faire, à part se battre. Le jeune homme maigrelet et timide, s’excusa auprès de Gabriel et enleva son tablier avant de quitter la cuisine en pleurant. Le colosse soupira, tandis qu’un autre cuisinier vint l’aider à nettoyer les dégâts.

— Il devrait laisser tomber et se porter volontaire dans l’une des serres, celui-là, mentionna Flint qui s’approcha du comptoir.

Il se servit une pomme, sous le regard de son mari qui soupira. Le blond en profita pour sortir une liste de sa bague magique, avant de la mettre devant lui.

— En passant, voici une liste de requêtes écrites par les infirmières, ajouta-t-il. Quelques-uns de leurs patients sont très sélectifs.

— Encore ? ronchonna Gabriel. Ils sont difficiles… Pfft…

— Disons que l’infection est revenue… mais avec l’aide de Kyran, nous avons quand même réussi à en soigner plusieurs.

— Moi, je dis qu’on devrait juste tuer Satan, proposa la jeune femme qui aidait le chef-cuisinier à nettoyer le plancher. C’est probablement lui qui infecte tout le monde.

— On a déjà exclu la possibilité d’une malédiction, Agathe, mais ce n’est pas l’envie qui me manque, crois-moi, répondit le capitaine. Mon père a déjà demandé à ses mages de passer plusieurs tests de sangs différents avec celui du diable, pour comparer les résultats. Il semblerait qu’il ne soit pas affecté. Ils lui ont même jeté plusieurs sortilèges afin de vérifier s’il n’avait pas d’autres enchantements, mais n’ont rien trouvé.

La dénommée Agathe haussa des épaules et partit nettoyer la serpillière dont elle s’était servie pour laver les dalles recouvertes de soupe. Gabriel souleva le chaudron, il restait encore assez de potage pour quelques personnes. Il parut soulagé.

— Peut-être qu’il pourrait nous aider à trouver un vaccin, comme sentence, suggéra le colosse. Après, je me chargerais de l’exécuter personnellement.

Le gros guerrier fronça des sourcils, les narines élargies. Il n’avait toujours pas oublié ce que ce monstre avait fait à Lucas. Flint aussi ressentait beaucoup de frustrations, mais faisait confiance à son père et au nouveau Conseil pour régler cette affaire.

— C’est dommage, toutefois, que l’aile ouest et le côté nord du château, soient complètement détruits, remarqua le blond. J’ai entendu dire de papa qu’il ne reste plus que quelques dieux de l’alliance judéo-chrétienne et musulmane. Ils se sont tous ralliés au Conseil… Il n’y a plus vraiment de faction active, si bien dire.

— Je crois que c’est mieux comme ça, répliqua son mari. Les autres divinités sont peu nombreuses, aussi, mais ont déjà beaucoup apportés lors des reconstructions. Tout ce qu’on doit espérer, cependant, c’est que la lumière revienne un jour.

— Et qu’on n’ait plus de crise d’anges déchus.

Gabriel hocha la tête, puis leva son regard vers l’entrée du réfectoire. Il vit venir les jumeaux Sanders qui arrivaient avec des chariots remplis de plateaux vides. Ils s’étaient portés volontaires afin d’aller nourrir les ouvriers avant l’heure du repas, car ces derniers travaillaient depuis l’aube. On pouvait entendre des bruits de marteaux et de sciage, un peu partout à travers les étages. Parfois, on voyait un peu de poussière tomber des plafonds. Flint avait hâte que cette partie du château soit plus calme.

— Tu n’aurais pas un cachet contre les migraines, chéri ? demanda-t-il, à son époux.

Le colosse fit non. Le blond se leva donc de son banc, avec la pomme qu’il avait ramassée dans le panier à fruits et salua celui-ci, ainsi que Scottie et Kylie.

— Au fait, Flint, ton père veut te voir tout de suite dans la salle du Conseil, dit la punk. Ça avait l’air important. Je serais toi, j’irais le voir maintenant.

Le capitaine se demandait ce que pouvait bien lui vouloir son père, et remercia la jeune femme avant de sortir de la grande pièce à pas de course. Quant aux jumeaux, ils s’assirent au comptoir et discutèrent avec Gabriel.

— Monsieur Dutch a aimé ton potage, raconta Scottie. Il demande si tu ne pourrais pas lui garder un plat au chaud pour la prochaine heure. Il a encore faim.

— Avec la bêtise de mon marmiton, je ne vais pas en avoir assez pour tout le monde.

— Pas grave. Veux-tu que je t’aide ?

— Non, non. Ça ira. Vous devriez plutôt assister les autres ouvriers.

Kylie se mit les mains derrière la tête et s’appuya le menton sur le comptoir. Elle bailla. Elle n’avait pas beaucoup dormi, la nuit dernière. Depuis quelques jours, Estelle avait l’esprit ailleurs et passait la plupart de ses journées à écrire des articles dans son journal de guerre qu’elle essayait de terminer. Pour cette raison, la jeune femme aux cheveux pourpres se sentait un peu délaissée.

— Tout va bien, de ton côté ? questionna Gabriel.

— Ta fille n’a que son manuscrit en tête, mâchonna Kylie, avant de ramasser un kiwi dans le bol à fruits. Et dire qu’il y a quatre semaines, elle voulait que je lui trouve quelqu’un pour nous faire un bébé… Elle va finir par me rendre folle…

Scottie gloussa et tapota la tête de sa sœur, légèrement.

— Allons, tu connais notre Estelle. Une fois qu’elle a une idée en tête, elle s’y met sans moyen de l’interrompre. Je suis certain que lorsqu’elle aura fini son livre, elle se pliera en quatre pour que tu lui donnes de l’attention. Sinon… Wyatt est toujours disponible, au cas où…

L’éclaireur n’eut pas le temps de terminer sa phrase, que déjà sa sœur le fusilla des yeux.

— Pour la dernière fois, je ne veux pas de ses semences en moi. Vous êtes chelous

— Mais nous aussi on pourrait être de bons parents…

— Oui, mais c’est pas ça le problème. Notre enfant se ramasserait avec deux mamans et deux papas. On aurait l’air de quoi, lors des réunions parents-élèves ?

Gabriel ne put se retenir de rire. Il rit si fort qu’il fit peur aux jumeaux. Tous deux se tournèrent vers lui, étonnés. Le gros barbu finit par se poser les mains sur le comptoir et se pencha vers ses collègues pour leur dire :

— Oh, si ce n’est que ça le problème, je trouve que tu t’en fais pour rien, Kylie. J’ai grandi sans parents et j’aurais donné n’importe quoi pour avoir au moins mon père. Mais bon, les Markios ont été pour moi comme une véritable famille. Ça n’a pas fait de moi, un monstre pour autant. Enfin… peut-être que si, parce que j’ai toujours eu cette apparence. Où je veux en venir, toutefois, c’est qu’avec Wyatt et ton frère, vous pourriez avoir tellement de beaux souvenirs à partager avec vos enfants…

Kylie rechigna et se tapa la tête contre le meuble à quelques reprises. Elle s’avouait vaincue. Son frère s’esclaffa, et remercia le colosse en silence.

— Cependant, avec le virus qui court et le soleil qui ne revient toujours pas, je ne pense pas que ce soit une bonne période à concevoir des bébés, formula le colosse.

Promptement, la guerrière se releva et opina du chef. Celle-ci semblait déterminée à ne pas porter de truc dans son ventre. Dégoûtée, elle salua son frère et le cuisinier, pour ensuite sortir du réfectoire à son tour. Il ne restait plus que Scottie et les responsables de la cuisine.

Le jeune homme aux cheveux bleutés s’étira les bras et bailla.

— Toi aussi, tu t’endors ? commenta Gabriel.

— Bouarf… Wyatt a de la difficulté à arranger les radars et les satellites du palais. Y semblerait qu’ils aient tous été endommagés par les démons, avant la guerre. Et puisque nous ne sommes pas des experts en technologies de ce genre, on doit improviser avec de la magie et j’en passe… Ça, c’est pour arranger certaines machines. Nous y avons passé toute la nuit… donc… je pense que je devrais aller faire une sieste… Vaudrait mieux pour moi… Sinon je vais m’évanouir.

— Mmm… Ça expliquerait pourquoi Nash est parti.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Le connaissant, il veut sûrement s’assurer que le Saint Royaume ne court plus aucun danger. Alors, il doit être en mission pour s’assurer que tout ira bien pour nous. Du temps où il vivait encore sur Aeglys, il partait souvent chasser des monstres pour Baldt, en solo. C’est la seule chose qui me vienne à l’esprit…

— Il aurait pu nous en parler avant de partir, quand même.

— Peut-être, mais il savait aussi que nous avions beaucoup de pain sur la planche, avec la reconstruction du palais et tout ça…

Scottie devait admettre qu’il avait raison sur ce point. Néanmoins, il connaissait très peu le fameux Caméléon de Baldt et enviait ceux et celles qui en parlaient souvent, dans son groupe. Il avait été étonné de le voir combattre contre Satan, un mois plus tôt. Il aurait espéré en apprendre davantage sur l’art de la magie divine à ses côtés.

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