Chapitre 3

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Après un peu moins d’une heure de marche, elle arriva enfin en vue du lieu de son calvaire. À peine eut-elle fermée la porte sur elle qu’elle entendit la voiture de sa tante approcher. Ce n’était pas passé loin. Elle alla se blottir dans un coin de la cuisine, là où elle se tenait quand elle n’avait rien à faire.

Les trois femmes entrèrent en parlant fort :

  • Tu aurais vu cette fête ma pauvre Cendrillon, le champagne coulait à flots !
  • Quelle ambiance !
  • Et qu’il est beau, ce Baboo.
  • Il n’a eu d’yeux que pour mes filles, tu aurais vu ça, Cendrillon. Il n’a pas arrêté de leur tourner autour…
  • Et toi, tu t’es bien amusée ? lui demanda une de ses cousines, perfide
  • Bof, comme d’hab…
  • De toute façon, tu n’aurais pas su comment te tenir là-bas. Tu as bien fait de rester là, conclut sa tante. Allons nous coucher les filles, après toutes ces émotions.

À la fête, Baboo était dans tous ses états depuis le départ de la belle Cendry. Il l’avait cherchée partout. Il avait défoncé les portes des toilettes, pensant qu’elle avait fait un malaise. Il avait lancé tous ses gorilles sur les traces de la jeune femme. La seule chose qu’ils avaient retrouvé, c’est une chaussure gauche, pointure 49 avec un talon de quinze centimètres.

Le rappeur était inconsolable. Pour une fois qu’il avait rencontré une vraie femme, pas une de celles qui gloussent ou hurlent sur son passage. Il voyait aussi les millions d’euros imaginés pour leurs disques et leurs concerts s’envoler. Il faut dire que depuis un peu plus d’un an, il était en panne d’inspiration, le Baboo. Mais quand il avait slamé avec elle lors de la soirée, tout était revenu comme par miracle. Cette fille lui avait tellement redonné la pêche que ça ne pouvait pas se terminer comme ça ! Inimaginable !

Le train-train avait repris dans la maison de Cendrillon, entre ménage, linge, courses avec les bottes de l’oncle et la démarche mi-canard-mi ours qui allait avec. Les deux autres filles ne parlaient que de cette soirée et de leur amour pour le beau rappeur. Leur mère commençait à s’imaginer les millions qui allaient ruisseler jusqu’à elle. Elle allait bien arriver à lui en refiler une… Et à récupérer quelques sous au passage. Elle avait investi dans ses filles, maintenant il fallait que ça commence à rapporter.

Baboo89 avait des moyens. Il avait donc mis tous les détectives de la ville sur les traces de cette jeune slameuse chaussant du 49. Au bout d’un mois de recherches effrénées, il avait bien fallu se rendre à l’évidence : les limiers n’arrivaient à rien. Ils avaient mis des annonces partout, inondé les réseaux sociaux de messages et rien… Pas la queue d’une.

Dans une rage folle, Baboo les avait tous congédiés, restant seul avec la chaussure de sa bien-aimée. Merde ! Une femme chaussant du 49, ça ne doit pas courir les rues quand même ! Il décida de changer de tactique. Il ferait systématiquement toutes les maisons, faisant essayer son unique chaussure à toutes les femmes et jeunes filles. Il finirait bien par la retrouver. De toute façon, l’inspiration s’étant évaporée avec la disparition de Cendry, il n’avait rien de mieux à faire.

Au bout de six mois de recherches, il avait fait quasiment toutes les demeures de la région. Il lui en restait encore deux. La première n’habitait qu’un couple de plus de 80 ans. L’homme l’accueillit avec son fusil chargé.

- Touche pas ma Germaine sinon, j’te colle une décharge de gros sel que tu ne pourras plus t’assoir pendant des mois, p’tit con. Allez, dégage !

Baboo partit sans demander son reste.

Il n’en restait plus qu’une. Cela devait être la bonne. Il n’avait pas le choix. Sinon, sa carrière et sa vie étaient foutus.

Quand il sonna à la porte, la tante vint ouvrir :

- Oh Monsieur Baboo !! Quelle bonne surprise ! Venez vite, les filles ! Monsieur Baboo est là !!

Pour elle, l’affaire était entendue, il venait chercher une de ses filles pour l’épouser. On épousait dans sa famille, un peu moins dans le rap, mais ça, elle ne le savait pas.

Monsieur Baboo… Il avait horreur qu’on l’appelle comme ça. Bon, pas de bol, ça ne serait pas non plus cette maison. Surtout quand il vit les deux pouffes débarquer derrière leur mère, dans l’encadrement de la porte d’entrée. Par acquit de conscience, il leur fit essayer la chaussure qui ne le quittait jamais. Mais non, elle était bien trop grande.

  • Désolé mesdemoiselles, au revoir…
  • Quoi, mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ? s’emporta la tante. Depuis quand on est amoureux d’un pied ? Mes filles ont des petits pieds, certes, mais elles sont belles, non ? Et puis elles ont des milliers de followers sur Insta !

Peine perdue, le rappeur avait fait demi-tour en s’en allait, les épaules basses, vers un destin triste à mourir. Sur le chemin, il rencontra une femme, mal fagotée, avec une drôle de démarche, chargée de deux sacs de courses débordant de provisions. Se sentant l’âme chevaleresque ­ en plus, il n’avait plus rien d’autre à faire dans sa vie ­ il s’adressa à elle :

  • Vous voulez que je vous aide, mademoiselle ?

Levant la tête, Cendrillon le reconnut ­ car c’était bien elle, la démarche entre canard et ours avec les bottes en caoutchouc trop petites – et laissa tomber ses sacs, restant bouche bée.

  • Visiblement oui, vu que vous les avez laissé tomber.
  • Vous vous appelez comment, mademoiselle ?
  • Cend..
  • - Cendry ?
  • Non, non, machine, tout le monde m’appelle machine…
  • Bien, mademoiselle machine, où habitez-vous que je dépose ces cabas chargés ?
  • Par-là, fit-elle en indiquant la maison qu’il venait de quitter.
  • Vous habitez avec les deux pouffes et leur mère hystérique ?
  • Oui, c’est ça, je suis la bonne…
  • Mais pourquoi marchez-vous comme ça ?
  • Parce que les bottes qu’on m’a données sont trop petites…
  • Trop petites ?

Elles semblaient même trop grandes pour lui….

  • Je peux vous poser une question mademoiselle machine ?
  • Oui, allez-y monsieur…
  • Vous chaussez du combien ?
  • Du 49, c’est pas courant, hein ?
  • Voulez-vous me rendre un service, mademoiselle machine ?
  • Bien sûr, puisque vous m’aidez.
  • Asseyez-vous sur le bord de la route et essayez cette chaussure… fit-il en lui tendant la chaussure à talon qu’il ne quittait pas une seconde.

Cendrillon reconnut instantanément une des chaussures qu’elle avait perdu lors de son départ précipité de la villa du rappeur. Etait-ce possible ? Il la cherchait ? Vraiment ?

Savourant cet instant magique, elle s’assit doucement, enleva la botte gauche ­ avec l’aide de Baboo, ce n’est pas facile à enlever une botte trop petite, surtout quand on n’a pas de chaussettes ­ prit la chaussure des mains de l’homme et l’enfila délicatement. Elle lui allait parfaitement !!

La suite est classique : elle ne rentra pas chez sa tante qui doit toujours l’attendre. Elle leur laissa même son précieux cahier rouge. Elle écrirait d’autres textes, plein d’autres textes. Baboo la ramena chez lui. Il lui fit enregistrer un disque, puis deux, puis trois. Il la coacha pour qu’elle fasse des concerts. Elle remplit Bercy, plusieurs fois. Il fit des apparitions dans ses shows. Elle en fit de même dans les siens. Ils devinrent le couple le plus glamour du milieu du slam et du rap.

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