Nouveau départ

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Un an. Un an déjà qu’Anton avait conclu la signature de son plus gros contrat de sa toute jeune carrière avec Justin Galloway, propriétaire d’une chaîne de garages de la côte Est à la côte Ouest. Cette signature lui avait valu une promotion fulgurante au sein de Toekom Energy. Il était devenu le directeur général de cette filiale pour tout le continent américain. Ses nouveaux bureaux étaient désormais à New York et il siégeait maintenant avec les directeurs des autres branches : la branche Energie et la branche bâtiment et matériaux de construction.

Son arrivée à New -York fut d’une simplicité inouïe. Le groupe avait tout prévu. Un grand appartement dans les beaux quartiers de la ville assez grand pour y loger sa famille, une voiture avec chauffeur pour tous ses déplacements.

Le premier jour au sein du siège de Toekom Energy, une décoratrice l’attendait au cas où la décoration de son bureau ne lui plairait pas. Une secrétaire lui annonça son emploi du temps de la matinée principalement occupé par des entretiens de recrutement. Il avait besoin d’un collaborateur. 5 dossiers avaient été présélectionnés par la directrice générale des ressources humaines.

Anton avait dans l’idée de recruter une femme parce que sa dernière collaboratrice en était une et qu’ils avaient formé un tandem efficace.

Dans sa pile de profils, il y avait 3 femmes et deux hommes, tous dans la trentaine. Son dernier rdv était un homme, Timo Toscani d’origine italienne, 38 ans, diplômé d’Harvard avec une expérience solide dans un grand groupe pétrolier. L’entretien dura une heure et demie.

A l’heure du déjeuner, il partit retrouver sa femme. Son choix n’était pas encore fait. Il voulait une collaboratrice et l’une des trois candidates avait selon lui le bon profil mais il y avait quelque chose chez Timo qui l’avait séduit en plus de ses nombreuses qualités professionnelles avérées.

Le lendemain au bureau d’Anton. Un homme l’attendait dans son bureau avec un café bien chaud entre les mains.

Anton : Bonjour Timo. Merci de vous êtes rendu disponible aussi vite, j’ai bien conscience que votre profil doit être courtisé par bien des sociétés.

— Oui, en effet mais mon choix s’était porté sur vous alors je suis ravi d’être assis en face de vous.

— Votre choix dites-vous !

— Oui bien sûr, les employeurs pensent souvent que seule leur volonté compte dans un recrutement ; or, il n’en est rien. Un entretien entre deux personnes quel qu’en soit l’enjeu est toujours affaire de séduction parce que si le recruté ne veut pas travailler avec la personne assise en face de lui, son attitude, ses mots vont aller dans ce sens, de sorte que le recruteur ressentant cette hostilité indicible, décidera lui aussi ne pas vouloir travailler avec cette personne et ne le retiendra pas.

— Intéressant comme approche, j’ai donc bien fait de vous proposer de travailler avec moi, je suis persuadé que nous allons faire du bon boulot ensemble.

— Quelles seront mes missions ?

— Vous et moi allons conquérir l’Europe. Je vous laisse vous installer. Si vous êtes disponible ce soir après le boulot, nous pourrions discuter de tout cela de façon moins formelle autour d’un verre.

—  Entendu Anton.

Les semaines et mois suivants se déroulèrent sans accroc particulier. Anton et Timo s’entendaient suffisamment bien pour qu’Anton l’invite à dîner chez lui certains soirs, ils faisaient du squash ensemble le week- end, parfois. Anton était heureux de sa nouvelle vie. Il s’était débarrassé du père Stanislas, plus personne ne viendrait compromettre sa carrière en révélant son secret, sa famille était sur le point de s’agrandir.

Les origines italiennes de Timo en faisait un parfait ambassadeur pour diriger les opérations stratégiques et financières de la filiale en Europe, ce qu’il réussit à merveille. Ses succès les rapprochèrent encore au point qu’Anton qui ne connaissait personne à New-York lui proposa d’être le parrain de son enfant à naître. Timo prit cette requête comme un preuve d’amitié naissante et durable et accepta sans réfléchir. Le déploiement de leurs activités en Europe obligea Anton à se déplacer régulièrement en Europe, à lire quantité de contrats, à négocier aussi parfois quand les dirigeants des autres boîtes exigeaient la présence du directeur en personne. Ses migraines et angoisses étaient revenues. Il s’accorda une semaine de vacances avec sa famille chez Magda à Albuquerque.

Durant cette semaine, Anton prit conscience de la place essentielle qu’avait pris Timo dans sa vie aussi bien professionnelle que personnelle.

Son nouveau poste nécessitait aussi l’emploi d’une voiture avec chauffeur. Anton avait donc hérité d’Harvey, étudiant à Columbia University en stratégies d’entreprise, new-yorkais de naissance et dans l’âme. Être chauffeur dans une telle société était un privilège pour un étudiant car le salaire était deux fois supérieur à celui d’un chauffeur de taxi ordinaire, les horaires étaient si souples que cela laissait largement du temps pour étudier. La place parfaite et par conséquent très convoitée.

Au bout d’un an de covoiturage professionnel avec Harvey, une certaine complicité s’était installée entre les deux hommes.

Du lundi au vendredi à 6h du matin, Harvey passait récupérer Anton pour un footing d’une heure dans Central Park , puis il le redéposait chez lui pour le récupérer vers 8h , direction les bureaux de Toekom Energy. En général, Anton se servait de la voiture avec chauffeur deux fois dans la journée parfois trois, ce qui laissait énormément de temps à Harvey pour étudier.

Entre 20 h et 21 h ,Harvey ramenait Anton chez lui.

Tous les jours se suivaient et commençaient à se ressembler. Enfin. Pas tout à fait. Après deux ans de collaboration avec Timo, Anton commençait à prendre ses marques. Sa femme Emma, était enceinte et devait accoucher dans 3 mois, un peu avant Noël. Durant sa grossesse, Emma fréquentait assidûment la bonne société newyorkaise enfin plutôt les épouses de la bonne société new yorkaise.

Elle participait à quantité d’évènements mondains et cela suffisait à occuper son temps et à la distraire.

Cependant, elle s’était vite rendu compte qu’être une femme au foyer ne suffisait pas pour être reconnue dans cette bonne société. Quasiment toutes les épouses participaient à un conseil d’administration de fondation quelconque, présidait un centre dédié à la culture ou aux bonnes œuvres. Emma qui était diplômée du SAIC – School of the Art Institute of Chicago- avait toujours rêvé de diriger une galerie d’art contemporain. « Être la femme de » la réduisait à presque pas grand-chose, un peu comme si elle n’avait plus d’identité propre. Ce n’était plus elle, la femme ambitieuse et intelligente qui donnait son avis au cours des dîners en ville mais « la femme de ». Elle voulait exister par elle-même et pour elle-même.

Née dans une famille tout juste aisée, elle avait grandi au milieu de 5 frères et sœurs. Elle n’avait manqué de rien sauf de place pour ses ambitions artistiques. A 30 ans, elle s’installe à New York avec un artiste dont elle était tombée amoureuse puis ils migrent en Californie. Là -bas, elle côtoie quantité d’artistes et de personnalité riches qui lui promettent l’ouverture d’une galerie d’art un de ces jours prochains ou un autre jour quand la lune aura fait trois fois le tour du cadran et que les étoiles du cosmos se seront alignées sur les rails de coke devenus aussi nombreux que la Katy Freeway avec ses 26 voies au Texas.

Emma finit par se lasser de ces soirées et de ces promesses vaporeuses, elle et son compagnon quittent Los Angeles pour le Nouveau Mexique à Albuquerque, loin des pépiements des villes encombrées de rêves vides et de vies insensées. Leur vie à Messila, un petit village de 2400 âmes, loin de toute agitation superflue se déroule dans une harmonie propice à la création artistique. Franck y peint quantité de tableaux et Emma rêve de le faire connaître au monde entier.

Elle devient très vite son agent artistique et ses peintures s’exposent et se vendent de plus en plus facilement. Leur vie est agréable. Franck peint et Emma fait ce qu’elle a toujours aimé faire : côtoyer les artistes, les faire connaître et se faire un nom dans ce milieu. Le nom d’Emma Fergusson commence à circuler dans le petit monde assez fermé du marché de l’art. Elle ne veut pas, elle ne peut pas s’arrêter là, ce n’est que le début. Elle décide alors de s’occuper d’autres artistes, Franck a du mal à l’accepter. Ses toiles se font de plus en rare à l’inverse de ses rails de coke, ce qui a le don de faire sortir Emma de ses gongs et lui donner des envies d’ailleurs. Elle qui a déjà fui une fois cet univers ne veut plus y être confrontée ni de près ni de loin. C’est elle qui prend alors la décision de mettre un terme à leur relation amoureuse. Uniquement. Elle reste son agent, Franck était devenu une vraie poule aux œufs d’or et de toute façon, il ne voulait personne d’autre qu’elle.

Emma quitte Messila pour rejoindre Albuquerque à quelques dizaines de km de là et décide de s’installer dans un hôtel non loin du centre.

Au bar de l’hôtel, un soir de semaine.

—  Pardonnez-moi , est-ce que cette place est libre ? »

— Je vous en prie  dit l’homme accoudé au bar, un peu perdu dans ses pensées.

— Je m’appelle Emma. Enchantée. »

— Anton. Enchanté. 

Nous sommes en 2015. Anton n’est pas encore directeur de sa boîte et Lourdes ne fait pas encore partie de ses projets mais tous deux ont un point commun. Leur vie est au point mort ou plutôt sur le point de décoller, d’enjamber de grands obstacles, ils ne veulent pas et ils ne peuvent pas s’arrêter là.

Anton a besoin d’une alliée pour enjoliver sa vie sociale, une femme, des enfants, une jolie maison. Malgré ses nombreuses qualités et il en avait d’énormes, travailleur acharné, responsable, leader naturel, homme d’affaire inspiré, il lui manquait un élément essentiel qu’aucune école ne peut délivrer. Une vie sociale conforme à sa position professionnelle. C’est ce tableau social qu’on attendait de lui afin de lui reconnaître toutes ces compétences. Anton en avait parfaitement conscience et dans ce bar, il se demandait comment il allait s’y prendre, lui qui était homosexuel.

— Qu’est-ce qui peut amener une aussi jolie femme à s’asseoir seule dans un bar dès 20h ?

— La peur du vide peut-être bien » répondit-elle.

— De quel vide parlez-vous ? De celui qu’on nous oblige à remplir avec des concepts bien propres sur eux ? »

— Trinquons alors aux vides qu’on nous oblige à remplir et aux concepts foireux politiquement corrects !! »

Et ils se mirent à boire un puis deux puis trois verres et à presque 22h et 5 verres plus tard, Anton dit : «Moi, je cherche une femme à épouser , prête à faire deux enfants et à vivre dans une belle maison. Ça vous tente ?

—  C’est un CDD ou un CDI ?

— Un CDI bien sûr. Mais il y a un léger problème, voyez-vous !

–Là tout de suite, je n’en bois pas, euh pardon, je n’en vois pas. Vous êtes plutôt beau gosse et plein aux as si j’en juge par vos clés de voiture. Le deal à l’air pas mal.

—  En apparence oui…mais il y a un mais… j’aime les hommes [silence], sexuellement parlant je veux dire.

—  J’avais compris. Et en quoi est-ce un problème si nous sommes d’accord tous les deux pour donner le change aux autres cons socialement corrects !

— Vous dites ça maintenant parce que vous êtes bourrée comme un coin mais demain…

—  Et demain, on file à Las Vegas et on se marie pour le meilleur et pour le pire, c’est comme ça qu’on dit non !

— Trinquons aux cons politiquement corrects !!!!

Anton et Emma tombaient de sommeil, ils finirent par s’endormir dans le lit de la chambre la plus facile à atteindre dans leur état alcoolisé. C’était celle d’Anton.

Une semaine plus tard, ils étaient mariés. Retour à Los Angeles pour Emma mais mariée cette fois.

Entre 2015 et 2018, leur vie se déroula sans accroc particulier. En 2018, ils eurent leur premier enfant, Tommy, c’est là que les choses tournèrent un peu au vinaigre. Emma se révéla être une mère pitoyable et incroyablement incompétente et pas du tout aimante. Elle répétait sans cesse qu’elle ne pensait pas ce rôle de mère si difficile et qu’elle était faite pour l’Art et sa galerie d’art. Elle passait son temps en soirée saoule ou sous pilules. Anton devait se consacrer à sa carrière qui commençait à décoller à l’image de ses nombreux voyages sur l’ensemble du territoire américain. La situation devenait si intenable qu’Anton décida de prendre une gouvernante pour remplir le rôle de mère et tenir un tant soit peu leur maison.

Un jour de mai 2018, la gouvernante du petit tombe malade. Anton en pleine négociation pour obtenir un nouveau marché ne pouvait s’absenter, à contrecœur, il demande à Emma de récupérer leur fils à la sortie de l’école. Emma pas totalement remise de ses excès de la veille passe récupérer leur fils Tommy avec 1h de retard. Sur le trajet du retour, Anton essaie de la joindre pour s’assurer que tout va bien et là durant un court instant …elle cherche son téléphone et ne se rend pas compte qu’elle a quitté la route des yeux durant plusieurs secondes, trop de secondes… elle quitte sa file, s’en rend compte, essaie de freiner d’un coup sec. La voiture qui la suivait percute de plein fouet son véhicule par l’arrière. Tommy fut projeté à l’avant car dans sa précipitation, Emma avait oublié de vérifier qu’il avait bien mis sa ceinture de sécurité.

Aux urgences 1 h plus tard.

Anton arrive essoufflé.

— Que s’est-il passé et où est Tommy ? Pourquoi il n’est pas avec toi ?

—  Je n’en sais rien, il allait bien et puis ils l’ont emmené faire des examens médicaux. 

2h s’écoulèrent avant qu’un médecin veuille bien les informer.

—  Nous avons procédé à des examens plus poussés car à son arrivée, votre fils se plaignait de douleurs au thorax et avait du mal à se concentrer. Apparemment tout va bien mais il faudra veiller ses nuits, des angoisses, des cauchemars peuvent surgir à tout moment. Tommy est un enfant courageux. »

Dans la voiture, sur le chemin du retour.

Ni Anton ni Emma ne voulut parler. Anton se contenta de regarder son fils les yeux remplis de larmes.

—  « Tout va bien papa, plus de peur que de mal comme a dit l’infirmière.

— Oui, je sais fiston. Comme tu as été courageux !! »

Arrivés chez eux, Anton mit son fils au lit.

— Vas-tu enfin me parler ?

— Pour te dire quoi Emma ? Que tu n’avais pas désaoulé de la veille ? Que tu étais en manque de pilules vertes ou bleues ? Je savais que toi et moi ne formions qu’une association mais j’ai toujours nourri l’espoir que l’arrivée d’un enfant nous aiderait à former une vraie famille. Je n’ai plus rien à te dire…

— Moi, j’ai quelque chose à dire. »

— ça ne m’intéresse plus. Je t’ai posé un million de fois cette question et tu m’as toujours envoyé bouler. »

— Normal… 

—  Comment ça normal ?  Qu’est -ce qui est normal dans tout ça ? le fait que tu te drogues, que tu passes ton temps à dépenser l’argent que je gagne en futilités mondaines ou bien que tu ne sois même pas foutue de récupérer mon fils sans mettre sa vie en danger..hein ! Dis-moi, qu’est-ce qui est normal ?

—  Normal que je t’envoie bouler. Chaque fois que tu rentres dans cette maison tu es stressé, énervé et toujours au téléphone avec ton travail. Tu n’as dû mettre au lit Tommy que dix fois depuis qu’il est là. Toi, tu as pu poursuivre ton ascension professionnelle et moi dans tout ça ? j’avais des ambitions moi aussi et on était d’accord pour s’entraider mutuellement mais une fois installée dans notre schéma familial, je ne faisais plus partie de l’équation. Tu trouves ça « normal » toi ? hein, dis-moi qu’est ce qui est normal ?

Un silence puis deux…Emma reprit.

— J’ai besoin d’espace, d’une nouvelle respiration pour me retrouver sans toi. Je dois prendre une décision, rester ici et mourir ou partir et tout recommencer encore une fois ; je suis tellement fatiguée ».

— Non, tu n’as pas besoin de partir Emma. Je suis en partie responsable de tout ce désordre, je me suis laissé aveugler par mon ambition en me disant que je travaillais pour nous mais la vérité est que je t’avais perdu de vue, toi et tes ambitions. Je m’en veux tellement. C’est moi qui t’ai rendue ainsi.Restes dans cette maison, reprends tes marques avec notre fils.

— Que vas-tu faire toi ? 

—  Me reposer dans un endroit où les téléphones et les agendas sont interdits. 

—  Mais de quoi tu parles ? 

— En patientant devant le secrétariat de l’hôpital, je suis tombé sur une affiche qui parlait de repentance et d’introspection ».

 — Et alors ? 

—  Je pense partir à Lourdes prochainement pour une semaine pas plus. Cela nous fera à tous du bien, j’en ai besoin comme j’ai besoin d’une seconde chance avec toi et Tommy. Quelque chose doit changer dans ma vie, je dois changer ; »

Pour la première fois depuis plusieurs semaines, ils purent s’endormirent ensemble. Ensemble physiquement, psychologiquement, amoureusement. 

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