La Montagne du Poète

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Je ne sais si tu liras ces quelques lignes, miettes d’un voyage né des feuilles ocrées des chênes que j’ai planté. Je ne sais même si un jour qui que ce soit posera ne serait-ce qu’un regard, une caresse, sur ces affres affabulées. Mais à l’heure où, sur le désert, le ciel pleure du sel ; il ne me reste plus que cela.

Une mémoire.

L’air était froid, le soleil du matin dardait de ses rayons cois ; et j’entendais ce chant fascinant.
La voix d’un aeon. Les larmes d’une bean sí. Le pétillement d’une filante qui se perd.
À travers la petite fenêtre, je voyais mourir dans le feu céleste les dernières étoiles, et s’effondrer la Lune par-delà l’horizon.
J’étais jeune, et je me suis réveillé au crépuscule du Monde.

Dans ma petite maison volaient des poussières sempiternelles, le cellier sussurait sa faim et le foyer avait définitivement froidi.
Le Temps n’était plus.
Pas plus qu’il n’habitait la ville de mes errances ; une citadelle de silence, où les ombres m’esquivaient et se mussaient entre deux murs minés.
Les âmes avaient fuies la violence, une à une, et elles ont emportées tous les souhaits au-delà des lacs de sable ; il ne me restait qu’à planter des espoirs sans nom.
Et attendre.
Et que c’est long d’attendre quand même le Temps est parti.
J’ai eu tout le plaisir de gratter ma guitare, de scruter les gratte-Ciels, de compter les grains de sel, de scander à l’Éther et ses enfants, de canter à la mer et tous les creux coquillages ; d’user et casser ma guitare.

Mais ce matin, j’ai regardé par la petite fenêtre d’où je voyais la ville et le désert d’airain. Une montagne était apparue, loin là-bas ; là où la veille se tenait encore un erg vierge.
C’était une montagne fascinante. Elle était immense, m’humiliant de toute sa dignité ; et je dois dire qu’elle m’a aussi apeurée, couvrant de son spectre nouveau tout l’horizon.
Et chaque matin qui suivit, j’accomplis le même rituel. Je scrutais à travers les carreaux flous de ma petite fenêtre cette présence imposante. Mon regard restait rivé sur ses sommets alors que j’errais dans les ruelles arides. Je me couchais dans l’ombre des étoiles qu’elle éclipsait.
Et je rêvais de quitter tout ce que je connaissais pour aller à la conquête de mon courage ; filer escalader ses flancs pour enfin découvrir ce qu’elle avait apportée et qu’elle cachait derrière le rebord du monde.

Alors je suis parti. Sans mot dire. Je n’ai pas soufflé adieu à cette vieille fenêtre, ni même à cette charpente vermoulue. Je n’ai pas offert de dernier regard à la ville abandonnée, comme je n’ai pas pardonné aux sables de s’être invités.
J’ai marché dans l’arène, accablé du khamsin, attaqué par la faim et la soif, assailli par les souvenirs abandonnés des bombes.
J’ai marché jusqu’aux rains de forêts droites et frêles, mangées par le feu, desquelles rien ne repoussait.
Et j’ai marché jusqu’à ramper sous le blizzard qui blesse, sur une neige qui mord ; rompu de muscles lâches, fourbu d’une barbe blanche.
Et je me suis demandé « À quoi bon ? Pourquoi tant d’efforts dans cette ascension qui me déchire le corps, et me lacère l’âme ? Pourquoi goûter à la peur de l’erreur, de l’échec ? Pourquoi ne pas avoir embrassé la quiétude des vieux murs ?, ceux pétris d’un passé inchangé, et qui aimaient tant ouvrir leurs fenêtres sur une peinture sépia qui ne promet rien. »

Je me la suis longtemps répété, cette question. Dans le froid pénétrant, auprés du feu humide, sous les étoiles muettes, sur la glace émiettée. Je me la suis suffisamment répété pour en oublier le sens, et mes débuts de réponse ; tu sais, c’est à ce moment que l’on réapprend, et que j’ai posé la main sur le sommet.
Je ne savais plus pourquoi j’étais parti, pourquoi j’avais souffert, ni pourquoi j’avais escaladé cette montagne étrange. Mais lorsque mes yeux ont balayé l’horizon de mon voyage, et qu’ils se sont posés sur ce qu’il y avait là, derrière les murs que j’eus cru infranchissables. J’ai compris.

Ineffable, indescriptible, imprécis. Ça ne voulait pas que l’on pose des mots, pas plus que ça ne voulait de peintures, de sculptures, ou que sais-je. Et pourtant j’ai essayé, je suis resté là-haut, les pieds se noircissant à mesure que je grattais mon papier. Mais aujourd’hui, je pense pouvoir le dire, il est impossible d’être concis, ça nous élude, ça nous vient de derrière les étoiles, ou des tréfonds de la mer ; là où l’Homme n’a pas à être, où il ne peut qu’espérer jeter un œil.

Ce ça. Il m’a soufflé un courage qui m’était inconnu, une inspiration qui dépasse tout ce que peut attendre un pauvre poète, et une direction qui a brisée les vieux murs.
Mais je n’ai pu y toucher. J’ai dépassé des limites invisibles aux yeux du pécheur ; pétri d’une vanité nouvelle, j’ai embrassé l’infame.

Et un « Pardon » s’est étranglé, s’est égaré dans le désert.

J’ai cligné des yeux, et je me suis retrouvé au cœur du reg. Sans neige sur le corps, mais mes mains, mes pieds, chérissant encore la noire engelure ; et au fond de mes yeux, le contour brûlant de ce ça.
Alors, j’attends. Le Soleil décroît, et j’entends dans le désert un pleur, et trois vœux.
Alors, j’attends, et peut-être est-ce mon absolution qui vient.

— Φηγεύς

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