Un sacré caractère
Ça y est. Et bien c'est pas trop tôt.
Ça fait combien de temps ? Une semaine, je crois. 7 jours sans poser tes doigts sur moi. Stop.Tu vas me dire que tu m'utilises tous les deux jours ? Fais pas mine de ne pas me comprendre, tu veux ? Je ne te parle pas de télétravail et de toutes ces journées où tu m'utilises à des fins professionnelles. Ton boulot, j'en parle pas. Moi je te parle de toi, de moi, de notre relation. De moments rares où tu te consacres à cette parenthèse personnelle. De toutes ces fois où j'attends tes doigts sur mes touches. De ces longues minutes, de ces instants délicieux en suspend, au-dessus de ma touche "suppr", entrée ou de la barre espace. Ces moments durant lesquels je t'imagine réfléchir, organiser tes idées, tes phrases, tes dialogues. Il y en a des trucs dans ta tête. Trop pour le temps que tu daignes consacrer. Alors, par pitié, n'évoque plus tes projets de roman. À ce train-là, tu seras à la retraite que tu n'auras pas commencé ton premier opus.
Pourtant, je suis persuadé que tu as quelque chose. Un certain point de vue sur les choses, la vie, les gens. Comme tous tu me diras. Peut-être. La différence avec les autres, c'est qu'ils s'exercent, eux ! Et à force de travail et d'utiliser leur clavier chéri, ils seront bien meilleurs que toi.
Non, c'est pas de la jalousie. Je sais qu'on n'est plus à la même époque. Aujourd'hui, les plateformes en ligne, les appareils mobiles, tout ça fait que tu n'écris pas toujours grâce à moi. Je comprends et j'accepte. Mais me prends pas non plus pour un minitel s'il te plait ! Je sais très bien que tu n'es pas un globe-trotter et que, pour écrire, tu ne te mets pas en terrasse d'un café, mais bien ici, dans le bureau de ta maison, dans l'espace que tu as d'ailleurs spécifiquement borné pour que toutes celles qui partagent ta vie comprennent que c'est ton territoire. Inutile de faire une note de l'auteur pour préciser dans la phrase précédente que tu n'es pas un Don Juan aux multiples conquêtes, mais un père de famille qui n'a que des filles -animal de compagnie compris. Au passage, un Don Juan qui prend 1 kilo par mois, sans un cheveu sur le crâne et avec un degré de myopie qui frôle les records n'existe pas. Mais bon, c'est toi l'auteur, écrit ce que tu veux...
Pourtant, tu es bien installé, ici. Bon, c'est sûr, c'est un peu le bazar. Les beaux livres d'art qui t'ont servi pour ta dernière nouvelle ne sont toujours pas rangés, des documents professionnels couvrent presque toute la surface du "meuble" sur lequel je suis posé et qui te sert de plan de travail. Oui, je mets ça entre guillemets. Excuse-moi, mais prendre une ancienne porte de chantier, y enlever les poignées et gonds et la peindre en blanc pour la reposer sur des casiers de rangement, j'appelle pas ça un bureau. Mais à la réflexion, ça témoignait bien de l'urgence et de l'envie de te faire un coin pour toi. Un espace de création personnel qui témoigne de ta personnalité, un peu éclectique. À peu de choses près, on pourrait croire le bureau d'un ado. Attends... les figurines des Simpson que tu as positionné devant l'écran pour faire une ronde, une peluche de Kermit qui, posée sur l'étagère, dépasse la tête de l'écran, un jeu du Bruger Quizz à portée de main, des BD de Fabcaro et des goodies de Star Wars, tu veux que ça fasse penser à quoi ? Sans oublier tes enceintes Yamaha préférées qui diffusent ton indé-électro-underground que personne ne connait. Je m'amuse d'ailleurs à te voir ainsi, inspiré, écrire tes mille et une idées sur Keep. Par contre, quand tu écris, il te faut un calme monacal. Je comprends pas.
Je comprends pas pourquoi tu écris si peu. Facile d'avoir écrit dans une de tes micronouvelles "lisez 5 nouvelles et poèmes par jour". Et écrire, tu y penses ? Ce ne sont que des microromans et en plus sur instagram. Qui dit microroman dit micro-followers. T'as vu ton nombre d'abonnés ? Enfin, si ça te permet d'écrire au moins quelques phrases chaque semaine avec moi. Quelques phrases... on est à des années-lumière de Stephen King qui conseille de s'astreindre à 2000 mots par jour minimum.
Alors qu'est-ce qui te freine ? Le temps libre ? Je ne crois pas. Avec 4 heures de sommeil par jour, je t'ai déjà surprise à te plonger dans tes histoires aux aurores, dans ton lit, aux premiers battements de cils. Il suffit que tu trouves la bonne formule ou que ton cerveau t'envoie une nouvelle idée pour que ça te réveille et encore engourdi par ta -courte- nuit, tu fais de ton lit et de ce pc portable, ton deuxième bureau. Je le sais, inutile de me le cacher. Mais même si c'est pas avec moi, mais avec l'autre, là, la version mini, je préfère que tu t'adonnes à cette passion avec un autre plutôt que tu abandonnes tout simplement.
Tu vois, je ne suis pas rancunier ni jaloux. Je veux juste t'aider. Et finalement, tu n'es pas si loin du but des 2000 mots par jour. Il te suffit d'un peu de temps, d'inspiration ou d'impulsion, comme ce défi de Sylvia Maccari. Elle et scribay font aussi un peu partie de ton environnement de travail.
Et oui. Parce que même si tu fais ça sur ton temps de loisirs, Eric, il s'agit bien de travail.
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