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Les ombres s'allongeaient et chassaient la lumière. Le soleil, enfin, bascula derrière l'horizon. Quand la voûte céleste se piqueta d'étoiles, les nocturnes quittèrent leurs tanières. Ils se rassemblèrent en files indiennes, et se mirent en ordre de marche. En même temps, des appels se lançaient de l'un à l'autre des groupes. Leur espoir ? Éliminer enfin la menace.

Cette fois, ils venaient en force !

L'origine de l'antagonisme restait imprécise, ensevelie sous la poussière des siècles passés. Issu de leur chaos originel, leur souvenance collective n'en retenait pas plus. Une seule certitude : ces monstres diurnes menaçaient les communautés. Si on les laissait en vie, d'autres viendraient pour les massacrer. Pour l'occasion, l'unité était de mise, les querelles entre les clans s'effaçaient...

*

Le crépuscule flamboyait, finissait en apothéose. Debout sur le seuil de la bâtisse, l'homme y assistait. Comme chaque soir, il se gorgeait de cette splendeur ; ensuite il rentrerait, se calfeutrerait et la fureur débuterait. Étonnamment, il s'attarda après les derniers feux du couchant. Le ciel assombri s'éclaira peu à peu d'une myriade de galaxies lointaines. Les yeux levés vers le firmament, il laissa une intense nostalgie lui serrer le cœur ; de précieuses minutes s'écoulèrent.

Une hululation proche le sortit de sa rêverie ; il tressaillit, regarda autour de lui. Plusieurs créatures franchissaient les limites de la propriété. Leurs corps blanchâtres se dessinaient nettement sous la faible lueur des brisures de lune. Une modulation plus intense se propagea dans l'air nocturne, d'autres êtres arrivaient derrière les premiers et commencaient à courir vers lui. Ne laissant pas sa stupeur exister, il se rua à l'intérieur, se barricada et mit sous tension la protection énergétique. Juste à temps, la porte trembla sous un choc violent. Un cri d'intense souffrance suivit. Il ferma les yeux, reprit son souffle ; il l'avait échappé belle.

Je dois être plus prudent.

L'homme se reprit, monta à l'étage où sa compagne se reposait depuis plusieurs heures déjà. Afin de maîtriser sa crise de rage, il s'était vu contraint de la sédater. La voir dans cet état lui brisait l'âme. La rareté de ce type de crise, depuis leur arrivée, lui faisait oublier à quel point elle devenait violente en cas de frustration. Il la comprenait.

L'anéantissement de jours de labeur en une fraction de seconde l'abattait également. Lui aussi ressentait de la colère, de l'impuissance. Il voyait leurs chances de quitter ce lieu se réduire petit à petit.

Son humeur s'assombrit davantage, entra dans la pièce où elle dormait. Hors de la maison, les modulations vocales se poursuivaient entrecoupées de grognements, et de chocs successifs qui parvenaient, malgré la digue électrique, à ébranler la bâtisse. La nuit débutait à peine ; elle menacait d’être longue, ponctuée d'insomnie.

*

Ce premier échec consterna les tribus. La colère naquit, enfla, accentua sur le moment les rivalités. Quelques jeunes peu expérimentés, mais saturés d'hormones, commencèrent à en découdre. Des anciens, plus circonspects, vinrent y mettre bon ordre. Ce n'était pas le moment de se diviser. Des litanies d'apaisement circulèrent parmi eux. Comme de doux sanglots, suivis de notes basses et continues. Le calme revint dans les communautés. Des guerriers furent désignés pour poursuivre les assauts, malgré la magie qui leur interdisait l'accès au bâtiment. Cependant, il fut décidé de faire appel aux sorciers des clans, des coursiers furent dépêchés pour aller quérir les plus doués d'entre eux.

*

Allongé aux côtés de sa compagne, les yeux grands ouverts, il demeurait à l'écoute du vacarme nocturne. Son corps épuisé l'appelait pourtant au repos. Un silence relatif survint, il n'entendait plus que quelques trilles.

Il bascula du côté de l'unique fenêtre. À travers les planches disjointes qui la consolidaient, la lumière diffractée du firmament s'insinua jusqu'à lui. L'argent de son regard fatigué étincela brièvement. Il bâilla, ses paupières s'alourdirent , une douce torpeur le submergea.

*

Elle arriva à la tête des chamans. Personne ne lui avait demandé de venir, mais aucun ne paraissait surpris. On lui libéra le passage avec respect, mais crainte aussi. Elle n'était attachée à aucune tribu, vivait seule dans son refuge, un endroit inconnu de tous. On la disait éternelle et omnisciente, dépositaire d'un savoir extrêmement ancien. D’une note aigüe, elle ordonna à tous de rester en arrière, et aux guerriers de cesser leurs assauts. Pas un ne chercha à contester : suprême était son autorité.

Elle s’avança vers la ferme. Son corps d'opaline, strié de scarifications, scintillait sous les fragments de l'astre nocturne. Sur sa poitrine quasi inexistante, d'innombrables sautoirs et colifichets tressautaient. La sorcière portait aussi en bandoulière un sac au contenu mystérieux.

Elle commença à faire le tour de la demeure. Son pas lent et prudent évitait adroitement le champ d'énergie, ses yeux opaques inspectaient les contours de la maison, étudiaient le moyen d'entrer sans dommage. En même temps, elle devinait la présence du couple qui dormaient. Pas réellement un danger en soi, mais s'il en arrivait d'autres après eux ? Elle devait savoir ce qu'ils faisaient là, le but qu'ils poursuivaient, avant de prendre toutes décisions définitives. Lentement, elle recula et revint vers ses enfants.

Elle s'adressa à eux, les assura de son soutien, leur expliqua que le maléfice conséquent des étrangers l'obligeait à réfléchir à un contre-sort plus puissant encore. Ils devaient donc retourner en leurs abris jusqu'au lendemain soir. Ses modulations vocales douces, persuasives, insistantes aussi, parvinrent à les convaincre. Ils se retirèrent les uns après les autres.

Bientôt, elle demeura seule, elle émit une sorte de soupir, se rapprocha à nouveau de l'habitation, entra dans un hangar adjacent qui ne bénéficiait pas de la barrière protectrice. L'endroit était sombre, elle distingua une bâche usagée déployée, n'hésita pas à l'enlever. La sorcière examina avec soin ce qu'elle découvrit, puis replaça la toile, sortit. Ce fut pour s'asseoir sous un appentis indépendant de la ferme. Là, elle attendit patiemment la fin de la nuit.

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