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Plus il avançait, plus le délabrement de la cité devenait évident. Des gratte-ciels, jadis orgueilleux, présentaient leurs squelettes à moitié fondus au regard stupéfié de l'impromptu visiteur. Si quelques pans de ciments subsistaient çà et là, ils étaient parcellaires et criaient la réalité passée : une ville bombardée de manière effroyable lors d'un conflit destructeur.

À quoi bon m'attarder ici ? Je ne trouverai rien d'utile.

Cette pensée emplie de déception faillit lui faire rebrousser chemin.

Seulement, il n'avait pas beaucoup d'autres alternatives. Il devait donc chercher des ressources au sein de ces seuls gravats. Alors, il s'engagea sur une large avenue poussiéreuse encombrée de débris et, tout en restant aux aguets, commença à fouiller.

*

Le repos n'était pas de mise au sein du nouveau peuple. Après plusieurs jours à se concerter, les édiles des clans avaient arrêté une résolution commune : l'élimination du couple humain. Ainsi, chaque tribu était invitée à organiser des rondes à l'extérieur.

Dans cette perspective, la fébrilité régnait, la peur aussi. Car des informations inquiétantes circulaient à propos des monstres diurnes ; il se disait qu'ils possédaient en eux la force du brûlant et pouvaient tuer à distance quiconque se mettrait en travers de leur route ; le clan sentinelle de la dévoreuse l'avait appris à ses dépens.

On fourbissait les armes : lances d'os, insolites pieux de bois noircis, quelques lames de métal forgées dans des matériaux anciens récupérés. (Ceux-ci étaient rares et réservés aux meilleurs guerriers.) Avant tout, il convenait de s'entourer de précaution afin de contrer les forces magiques et forcément maléfiques du couple. Pour ce dernier point, les chamans avaient été réquisitionnés et des cérémonies de protection entreprises.

Cette coalition se sentait prête à partir en chasse, consigne fut donc donnée de la débuter dès la nuit tombée ; tous espéraient que le temps de vie des monstres diurne soit compté.

*

Les lacets d'asphalte enrubannaient la désolation des plaines et des collines qui se dévoilaient à 6A42. La gynoïde, après ses réparations, avait passé un temps précieux à rechercher les traces des fuyards, sans réel succès d'ailleurs. Puis, elle s'était rappelée leur avoir conseillé de suivre la route antique du nord.

Cela n'empêchait pas les jours qu'elle avait perdus d'être ... perdus ! Néanmoins, elle comptait bien le rattraper. Que ferait-elle une fois qu'elle aurait éliminéles humains ? Elle ne s'interrogeait pas là-dessus. Ses perspectives n'allaient pas plus loin que leur neutralisation. Elle s'y accrochait et continuait son périple sous un soleil, plus ardent que jamais et qui cuisait inexorablement ses neurones électroniques déjà en mauvais état. Certes, grâce aux ressources procurées par les robots, elle avait obtenu un sursis, mais cela pouvait-il durer ?

De cela aussi la robote ne se préoccupait pas. Son champ de réflexion devenait de plus en plus étroit. Elle hésita à un croisement avant d'opter pour la voie septentrionale. L'accès choisi la mena à un pont qui enjambait une autre route, beaucoup plus large cette fois, mais encombrée de longues files d'anciens véhicules qui étincelaient sous l'ardent.

Les portières ouvertes, les vitres éclatées, les carlingues, souvent noircies, prouvaient que l'abandon avait été précipité et tragique. Des ossements jonchaient aussi ces lieux dramatiques. La gynoïde les rejoignit, puis, sans se préoccuper de ce qui l'entourait, poursuivit son périple.

*

Yséov sursauta et se redressa péniblement. Avait-elle dormi ? Vraiment ? Ce qu'elle avait ressenti n'avait-il été qu'un cauchemar ? Elle l'espérait sans en être persuadée.

"Dimitri ? T'es où ?"

Elle appela son compagnon plusieurs fois avant de se rappeler qu'il avait quitté leur abri.

Pourquoi faire ? se demanda-t-elle brièvement.

Le souvenir lui fut restitué ; il était à la recherche de nourriture. Cela l'amena à se demander si elle avait faim, et elle découvrit que non. Toutefois, son extrême fatigue demeurait. Ainsi que cette rage sous-jacente dont elle ne comprenait pas les raisons. Bien sûr, elle et son conjoint, étaient dans une situation plus que compliquée, voire presque désespérée, mais cela n'expliquait pas tout. Elle s'accrocha à cette étincelle de lucidité ; son chaos intérieur se calma quelque peu. Yséov se recoucha, se détendit et laissa son esprit divaguer. Mal lui en prit, l'effroi et le tumulte se saisirent d'elle…

*

L'entité du bunker affinait sa stratégie. Cette fois, plus de soldatesques ; elle avait mis à contribution la nouvelle unité mère, celle qui remplaçait 6A42. De ce fait, B810 avait été chargée de tirer subtilement les ficelles décisionnaires du conseil des nocturnes, créant par ce fait un pacte d'intérêt commun. Exploiter ses enfants ne lui plaisait pas plus que cela, mais depuis les actions violentes du couple intrus, ce choix s'imposait. Il évitait des actions désordonnées, prises sous le coup de la colère et du chagrin, de la part du Nouveau Peuple.

Quoi qu'il en soit, la gardienne continuait son observation par le truchement des multiples regards électroniques, disséminés dans les cavernes. La surveillance de la surface lui posait davantage de problèmes. Elle ne pouvait s'effectuer que du ciel, uniquement de jour. Cela exigeait également la mobilisation d'importantes ressources afin de couvrir une surface forcément très étendue.

Là aussi, elle avait trouvé une solution, certes risquée, mais quand même idéale ; utiliser l'inattendu électron libre de son personnel, utiliser 6A42 !

À son insu cette dernière avait implanté en elle l'un des émetteurs recepteurs d'un robot.

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