Chapitre 2

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Août 2025

(Elïo - 6 mois)

   Les premières heures, les premiers jours et les premiers mois passent très vite. La maladresse, voilà la crainte viscérale des jeunes parents. On doute, on hésite, on a peur. Peur de commettre des erreurs, de mal faire ou de ne pas être à la hauteur. Je n’y fais pas exception. C’est un magnifique voyage vers l’inconnu qui nous attend alors rien de plus normal. Mais je suis prêt, tout du moins je le crois. Je serai à ma hauteur. Je suis prêt à rien et prêt à tout. Prêt à faire de mon mieux, à découvrir les bonheurs de choyer sa progéniture, la voir grandir et l’aider à s'épanouir.

Les anciens pensaient que ce rôle incombe par nature à l’être qui met bas dans la souffrance. Je ne prétend pas vouloir détrôner ou remplacer le lien indéfectible qui unit une mère et son enfant ayant partagé les mêmes globules, mais je compte bien jouer de ma botte secrète de papa poule pour être le deuxième astre de sa vie. S’il faut m’entailler la paume pour faire un pacte de sang - quand mon fils sera en âge de tenir un couteau - et rattraper mon retard alors qu’à cela ne tienne. Comme souvent, l'excès de zèle me monte à la tête.

Mais les temps ont changé. Et ils emportent avec eux la dichotomie monotone et étriquée qui place la mère comme unique ménagère écervelée et le père comme chef ou simple protecteur du foyer, spectateur lui-même de ce qu'il croit avoir fondé sans même s’être usé à participer. Allez, soyons indulgent, puisque le jour J, il a eu au moins le mérite de contracter ses glandes séminales pour consentir à ses gamètes le droit de féconder, émancipées de son joug scrotal, dès lors qu'elles se sont échappées. Suis-je bien sévère avec mes homologues ; mais cette monarchie familiale imaginée et menée par le patriarche est à mes yeux tellement désuète.

Alors oui, la dette de sommeil est rude, les pleurs un peu, parfois, souvent stridents et mon temps me manque. Mais y a-t-il plus satisfaisant que de voir son enfant braver un à un les échelons de l'évolution pour s'affirmer en tant qu'être humain ?

Et pourtant, les premières semaines je ne suis plus certain de l'identité de mes ancêtres tant ce petit Elïo, malgré toute sa bonne volonté à progresser, ne semble capable que de gigoter sans but sinon au mieux ramper tel un reptile invertébré. Je vous avoue avoir vérifié de mes doigts agiles d’archéologue la présence d'une colonne dorsale chez notre petit loustic. Surprise, toutes les vertèbres étaient là. Je les ai comptées. Vingt-quatre ou vingt-six ? Je ne sais plus. Julie houspilla mon idiotie comme à chaque fois que ma curieuse spontanéité reprend le dessus sur ma raison toujours peu pondérée par les convenances sociales.

Mais les premiers sourires, sa volonté d'agripper chacune des mes phalanges comme s’il était sur le point de chuter de la tour Montparnasse, et la découverte de chaque marche de son développement font de cette aventure une épopée que je ne veux pas rater. N’en déplaise aux anciens.

Il a aujourd’hui six mois. Six mois de selles jaunâtres. Je me demande si la vitamine D qu’on lui donne n’est pas assaisonnée de stabilo. Six mois de régurgitations. Vous êtes sûr que la chaîne de production n’a pas oublié la valve anti-retour ? Suis-je en droit de porter réclamation ? Six mois de rots élégants. Moi aussi j’aimerais être félicité pour ce type d’exploit. Six mois de pleurs, de fatigue. Six mois de querelles conjugales, de réconfort mutuel. Six mois de bonheur.

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