Chapitre 18

5 minutes de lecture

Août 2030

(Elïo - 5 ans)


  • Regardez comme ils sont beaux ! s’exclame Elïo.

Le petit garçon court, bras ballants, le long d’un chemin de terre, le doigt pointé vers l’objet de son enchantement. Ses parents le précédent de quelques mètres, les mains entrelacées. Tous les trois progressent sur un sentier aux abords d’une parcelle de tournesols.

  • Nous sommes bien d’accord, mon chéri, répond Julie.

D’un clin d'œil adressé à son partenaire, s’ensuit un sourire complice. Il y a des années maintenant qu’ils se sont unis pour la première fois, au milieu d’un de ces champs. Les sentiments de Julien, aussi timide qu’embarrassé , n’avaient pas été difficiles à deviner. Sans plus d'hésitation, sa douce avait initié le premier pas : un baiser langoureux avec l’homme qui deviendrait son éternel compagnon.

Au loin, le soleil, encore haut, débute son lent déclin. En interrogeant sa montre, Julien remarque qu’il est déjà vingt et une heures. Les vacances d’été riment avec tolérance, Elïo peut bien veiller plus tard que d’habitude. Leur fils a bien grandi. Vif d’esprit et plein de vie, il fait le bonheur de ses parents, comme en témoigne son enthousiasme quotidien même pour la plus simple des sorties. À la rentrée prochaine, il fera ses débuts à l’école élémentaire.

  • Ils nous fixent ! s’émerveille ce dernier.
  • Tu as raison, ils sont tournés vers nous, mais ce n’est pas nous qu’ils regardent Elïo. C’est le soleil, répond son père. Ils sont dirigés vers l’ouest, là où il se couche. Le tournesol a la faculté de pouvoir s’orienter pour capter le plus de rayonnements possible dans le but d'accélérer sa croissance.

Le regard pétillant, Elïo affiche un large sourire.

  • Qu’ils sont ingénieux !

Il s'immobilise, examine avec attention les plants de culture puis se retourne pour s’exposer face à l’ouest. Les paupières fermées, il écarte les bras.

  • Moi aussi, je fais face au soleil pour grandir plus vite !

Ses parents l'observent. La chaude lumière illumine son visage enfantin aux angles arrondis. Sa chevelure blonde scintille et son sourire resplendit. Il semble en pleine osmose.

  • Tu n'as pas besoin de ça pour grandir plus vite que ton ombre, raille Julie. Mais un bain de soleil ne fait de mal à personne.

Aux côtés d’Elïo, elle s’abandonne aux ultimes rayons revigorants. Julien, contemple d’un air épanoui sa petite famille, puis les imite sans tarder. La tiédeur de cette fin de journée les enveloppe.

  • On peut les voir de plus près ? S’il vous plaît ! S’il vous plaît !

Julien tend l’oreille.

  • Je n’entends pas de moteur de tracteur dans les parages. OK pour pénétrer dans le champ, mais nous allons faire attention.
  • Tournesols, nous voilà !

Elïo est sur le point de disparaître derrière les innombrables tiges lorsque son père intervient.

  • Attends-nous, Elïo !
  • Papa a raison, reste à côté de nous, sinon on va se perdre. Tu as beau être grand, on ne verra pas ta tête dépasser si tu te perds. C’est comme un labyrinthe pour toi.

Le petit garçon, figé sur place bras et jambe en avant, soupire.

  • D’accord…

Le trio s’aventure avec précaution entre les hautes plantes. Ils gagnent un couloir large d’un mètre et vierge de toute pousse. Celui-ci s'étend jusqu'aux extrémités de la parcelle tel un sentier stérile.

  • Pourquoi il n’y a pas de tournesol ici ? demande Elïo.
  • C’est probablement là où passent les roues du tracteur.
  • C’est pour ça qu’ils n’ont pas eu la chance de se développer, ajoute Julien.

De part et d'autre de leur position se prolonge le chemin de fortune, rendu irrégulier par les ornières. Elïo regarde dans un sens puis dans l’autre.

  • On fait la course, papa ?
  • Pourquoi pas ? Dans quelle direction veux-tu partir ?

Ni une, ni deux, Elïo n’attend pas la fin de la question pour se ruer sur la gauche.

  • Tu ne me rattraperas pas !
  • Quel chenapan, ce fils !
  • Il est joueur comme son père.
  • Tu n’as peut-être pas tort. C’est pour ça que je vais m’empresser de le rattraper !

La course est originale. Julie suit la cavale en ligne droite des deux hommes de sa vie, deux barrières dorées de chaque côté. Le départ est à l’avantage d’Elïo. Il n’hésite pas à se retourner en pleine course pour appréhender la progression de son concurrent, tandis que ce dernier gagne petit à petit du terrain.

  • Tu triches, papa !

Julien halète.

  • C’est l'hôpital… qui se moque de la cha…

Un renfoncement du sol le sureprend, la chute survient avant qu’il n’ait pu terminer sa réplique. Par chance, la terre est meuble. Aucun préjudice physique ne l’empêche de se relever pour repartir de plus belle d’une foulée claudiquante. Elïo s’amuse sans gêne à la vue de son poursuivant.

  • Tu ne me rattraperas pas !

Le marathon se prolonge. Malgré l’avantage certain des jambes de Julien, une dizaine de mètres les séparent encore lorsqu’Elïo s’arrête soudainement. Son père, essoufflé, arrive enfin à sa portée. Mains sur les hanches, il reste distant de quelques pas.

  • Ça y’est ! Je t’ai enfin rattrapé.

Une brise s’engouffre dans le corridor de course. Le sifflement ponctue l'accalmie soudaine.

  • Elïo ?

La chevelure du garçon s’agite au gré du courant aérien, mais, hormis cette danse capillaire, il n'a pas esquissé le moindre mouvement. Julie les rejoint quelques secondes plus tard.

  • Tout va bien, mes chéris ?
  • Oui, oui tout va bien. Enfin je crois. Elïo, tu m’entends ?

Pas de réponse. L’ambiance est étrange, le silence pesant colle aux tympans. Au loin, l’horizon s’est teint d’une couleur de feu, le souffle éolien s’est renforcé et la luminosité a perdu en intensité. Les parents s’aperçoivent que l’ensemble des tournesols ont changé de direction. Ils ne pointent plus vers l’ouest comme il le faisait il y a quelques minutes, mais vers eux désormais. Ici et là, les têtes jaunes donnent l’impression de les dévisager, et plus particulièrement Elïo, qui se trouve à l’épicentre de ce phénomène inattendu. Les derniers rayons du soleil se fraie un chemin au travers de la dense végétation pour l’éclairer d'un halo scintillant.

Julien s’approche.

  • Elïo, réponds-moi, enfin !

Il attrape son fils par l’épaule et le fait pivoter face à eux. La surprise est totale. Un liquide visqueux s'échappe de ses narines, des larmes s'écoulent sans retenue le long de ses pommettes, tandis que ses prunelles s’animent d’une lueur dorée. Le petit garçon renifle. Il pleure. Il sanglote.

Son père s'accroupit. D'une main il lui saisit le bras, de l'autre lui sèche les joues.

  • Que t'arrive-t-il mon chéri ?
  • Ne…peure pas…papa, balbutie-t-il.
  • Comment ?

Elïo s’essuie le visage d’un geste négligent.

  • Papi…Il est… Il est…

Un frisson traverse Julien. Il ne comprend pas. Il n’est pas sûr. Il hésite. Ce n’est pas la première fois qu’Elïo lui fait ce coup-là. Il réfléchit, croit deviner. Non, il ne veut pas deviner. Alors, il regarde en l’air. Le ciel n’a pas changé, il est bleu, encore. L’ombre de la Lune se dévoile, la voûte céleste se prépare bien pour la nuit. Pourtant, Julien redoute le changement à venir. Il se porte à nouveau vers son fils en larme et l’enlace pour le presser contre lui.

  • Viens là mon grand.
  • Papi…

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