Chapitre 11

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Nous avions peu reparlé de cette péripétie. L’aventure de parents commençait dès les premières heures, et je crois qu’hormis le dénouement heureux, nous voulions oublier cette épreuve difficile qu’a été l'accouchement. Je suis bien conscient que la situation a été hors du commun et que j’ai gardé un certain sang-froid, mais Julie me renvoie au paradoxe que je suis : malgré mes appréhensions permanentes, je réagis avec calme en cas d’imprévu. Comme si mon imagination tourmentée m’apportait une sorte d’expérience préalable avant même d’avoir vécu la situation. Ou comme si cette tension interne s'évaporait le moment venu pour laisser place à une forme d’assurance.

Nous terminons le repas sur un dessert à la pêche blanche assaisonnée au poivre rouge. Il est bientôt vingt-deux heures lorsque nous retournons à la voiture. Mes doigts tapotent sur mon téléphone pour prévenir mon père que nous arrivons. Nous avons mis nos ceintures lorsqu’il me répond quelques secondes plus tard avant même que je ne redémarre : La soirée s'est bien passée, hormis un petit incident. Elïo va bien. Il dort. À tout de suite.

Je lis le message à voix haute pour Julie.

  • Vu la tournure de la phrase, j’en déduis que l’incident intéresse Elïo non ?
  • Je ne sais pas, souffle-t-elle, il va bien, nous dit ton père alors on se détend Julien.

Julie pose une main sur ma cuisse et me regarde avec un doux sourire. Elle est belle. Son expression est heureuse et elle semble, à l’inverse de moi, insouciante dans le bon sens du terme. Nous avons passé un bon moment tous les deux. Pourtant je reste inquiet et je réponds tel un enfant :

  • Accroche-toi, je mets les gaz !

Cette expression ne me sied guère puisqu’en réalité mon compteur ne dépasse jamais les limitations de vitesse. Mais cette fois, je veux être de retour aussi vite que possible à la maison. J’ose mettre le limiteur de cinq kilomètres au-dessus de la vitesse obligatoire. Je ne voudrais pas non plus prendre une amende et cette marge, tolérée par les forces de l’ordre, me donne presque l’impression d’être un délinquant.

Nous arrivons à la maison une demi-heure plus tard. Après avoir poussé la porte d’entrée, j’aperçois papa, assis dans le canapé à faire des mots fléchés.

  • Ah, vous voilà ! Comment était ce repas ?

J’essaie de garder ma contenance. S'il y avait eu un gros souci, il me l'aurait dit sans attendre, je pense. J’espère. Je vais faire mine de ne pas avoir lu son message. Je réponds tout en déposant mon par-dessus sur le porte-manteau.

  • Excellent. Nous nous sommes régalés. Et toi ?
  • Une soirée assez tranquille. Enfin moins tranquille que ce que j’ai l’habitude avec Elïo qui court en tout sens.
  • Ça, on n’en doute pas, il ne manque pas de vivacité, répond Julie en se déshabillant elle aussi.

Je guette toute nouvelle réponse de la part de mon père. Rien ne vient. Je voudrais faire comme si de rien n’était, mais mon attitude corporelle me trompe. Je suis figé dans le séjour face à lui et sans un mot.

  • Tout va bien mon fils ?

C’est Julie qui crève l'abcès :

  • Ton fils se demande si Elïo va bien, annonce-t-elle en déposant un baiser sur ma joue.
  • Oh oui ! Le p’tit bougre se requinque dans son lit.
  • Tu ne m’as pas écrit qu’il y avait eu un incident ?
  • Si, tu as raison ! Ça m'est presque sorti de la tête. Rien de grave, je vous rassure, Elïo est indemne, mais nous avons fait une bêtise tous les deux. En fait, le principal fautif c’est moi bien sûr.

Je lui demande quel genre de bêtise.

  • C’était juste avant de coucher Elïo. Il était sur son tapis de sol, dans le parc à côté du canapé. Je n’ai pas l’habitude de votre bouilloire et en me préparant une tisane j’ai un peu trop fait chauffer l’eau si bien qu’elle était brûlante. J’ai posé la tasse bouillante sur la table basse et je suis allé aux toilettes.

J'imagine déjà les différentes issues possibles à cette introduction. Julie ne prête guère attention à l’histoire et se dirige vers les chambres.

  • Depuis les cabinets, c’est là que j’ai entendu un bruit d’un objet qui se casse et je me suis précipité vers le salon où j’ai trouvé Elïo trempé avec les restes de la tasse aux pieds.

Mon cœur s’accélère.

  • Tu l’aurais vu avec son doigt dans la bouche. Il me regardait avec sa frimousse dégoulinante de tisane et la mine de celui qui savait avoir fait une bêtise, mais il ne pleurait absolument pas.
  • Il n’a pas pleuré ?
  • Pas du tout. Il m’a même laissé son plus beau sourire quand je me suis approché pour vérifier l’absence de brûlure. Sa peau était intacte et douce comme du coton.

J’inspire un grand coup. Julie revient vers nous et je lui demande si Elïo va bien.

  • Il dort paisiblement.

Je me retourne vers papa. Je suis partagé entre exaspération et énervement.

  • Tu aurais pu nous le dire !
  • J’ai eu le palpitant prêt à exploser quand j’ai vu la scène, mais puisque tout allait bien je n’ai pas voulu vous inquiéter…

Je regarde le carrelage et réfléchis une seconde avant d’admettre son argument.

  • Oui, je comprends. Excuse-moi de m’emporter. La tisane ne devait pas être si chaude que ça.
  • Ça, je peux t’affirmer qu'elle était brûlante quand je l’ai déposée. Mais je ne pensais pas que votre petit monstre pourrait escalader le parc une fois que j’aurai eu le dos tourné.

Je regarde mon père et je me détends. Je ne lui en veux pas. Elïo n’a que huit mois et il n’est pas habituel qu’un petit de cet âge soit responsable de ce genre d’incident.

  • Bon ce n’est pas grave. Où en es-tu des mots fléchés ? Tu as besoin d’un coup de main d’un professionnel de la langue française ?
  • Un professionnel de la langue française ? J’aimerais bien voir ça. Allez, approche mon grand.

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