Chapitre 31
J’ai toujours détesté sécher au soleil, mais lorsque je vois le doré éclatant que renvoie ma peau, mon discours tend à vaciller. Le vent frais adoucit la chaleur écrasante, et je me félicite intérieurement d'avoir opté pour un débardeur large, à la place du body moulant que j’avais choisi au départ.
Trois jours que je sais pour la grossesse de Katherine. Pour ne pas éveiller de soupçons, nous avons gardé la même dynamique en public. Mais en privé, les choses sont plus… apaisées. Je fais de mon mieux pour être présente pour elle, même si nous en sommes encore à la phase d’apprivoisement. Nous avons passé trop de temps à nous détester pour que tout change du jour au lendemain. Et nos caractères n’aident pas, même s’ils sont semblables sur certains points. Aucune de nous n’est démonstrative. Comme j’aimerais que Gisèla soit là. C’était la meilleure d’entre nous. Elle savait toujours quoi dire. C’était la plus douce, la plus attentionnée.
Depuis le retour de Ricky de sa mission avec Taylor, nous ne nous sommes pas revus, Vladimir l’ayant monopolisé sur une autre affaire. Nous devons discuter de la situation sur les armes et trouver rapidement une solution. Mais d’une certaine manière, son absence me soulage, maintenant que je suis au courant de l'état de sa… petite amie. Je n'adhère pas à l’idée de Katherine de ne rien lui révéler, même si elle a raison d'appréhender sa réaction. Ricky ne perd jamais le contrôle, la seule fois où c’est arrivé, c’était si inattendu, si brutal, que tout le monde a compris qu’il ne fallait pas être dans les parages. Même Vladimir a pris soin de se tenir à l’écart pendant plusieurs jours. Je n’aime pas lui cacher des choses, encore moins une information aussi importante, mais je ne m’immiscerai pas dans leur couple. Katherine le lui avouera lorsqu'elle jugera le moment opportun. En espérant que d’ici là, nous ayons trouvé une échappatoire.
Je tourne la tête vers Adrian au volant. Il conduit avec une prudence presque excessive. J’adore la vitesse. Lui, visiblement, beaucoup moins. Mais ça ne me dérange pas. J’apprécie chaque instant passé à ses côtés, avec cette impression sourde que tout cela pourrait s’arrêter du jour au lendemain. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais un meilleur endroit où être. Toute mon après-midi est dédiée à notre petite virée.
Je me penche vers lui pour allumer la radio. Il m’adresse un coup d’œil amusé, suivi d’un sourire éclatant, avant de reporter son attention sur la route.
Fast Car de Tracy Chapman résonne dans l’habitacle, une de mes chansons préférées. Je commence à fredonner, sans vraiment m’en rendre compte.
— Maybe we can make a deal, maybe together we can get somewhere…
Mes yeux glissent vers Adrian. Il me fixe, les sourcils légèrement froncés. Le rouge me monte aux joues. Je sais que je ne chante pas juste, mais tout de même.
Il ne dit rien. À la place, il tend la main vers la radio et monte le volume.
— Any place is better, starting from zero, got nothing to lose… fredonne-t-il en me regardant droit dans les yeux.
Son regard est si intense qu’il me fait oublier à quel point sa voix est belle, comparée à la mienne.
— Maybe we’ll make something, soufflé-je à mon tour.
— Me, myself, I got nothing to prove, répond-il doucement avant de poser un baiser léger sur mon poignet, puis de reporter son attention sur la route.
Je ne cherche pas à savoir s’il y a un sens caché à ses paroles, s’il essayait de me dire quelque chose. Je préfère simplement fredonner avec lui, me laisser bercer par la chanson et par ce moment suspendu.
Peut-être que j’aurais dû creuser un peu plus.
***
— Ne me juge pas, lancé-je à Adrian une fois le serveur parti avec nos commandes.
C’est l’heure de la pause déjeuner, le restaurant est bondé. Malgré l’affluence, nous avons trouvé une table à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. Merci au gérant, une vieille connaissance. Ici, personne ne nous connaît. Et surtout, personne du club ou du centre ne vient jusqu’ici pour rapporter quoi que ce soit à Vladimir.
Le Sunday Grill est une enseigne de pizzas présente un peu partout dans le pays. Réputée pour la qualité de sa cuisine, à juste titre, je n’ai jamais mangé d’aussi bonnes pizzas ailleurs. Le service est rapide, et la décoration change selon les régions. Rien à voir avec un fast-food. On dirait plutôt un restaurant élégant, monomaniaque dans son art.
Adrian et moi sommes assis côte à côte sur une banquette au fond de la salle. Les grandes fenêtres laissent filtrer la lumière du jour, et les plantes vertes disposées un peu partout donnent l’impression d’être ailleurs. On quitte la poussière du désert et ses tons arides pour un oasis verdoyant.
— Je ne le ferai jamais, répond-il en dégageant une mèche de cheveux de mon front.
Je n’assume pas ma préférence pour la pizza hawaïenne avec supplément, beaucoup trop d’ananas. On me regarde toujours de travers quand je passe commande. J’ai donc développé le réflexe de me justifier à chaque fois. La différence, cette fois, c’est qu’Adrian n’a montré aucun signe de jugement.
Peut-être qu’il était déjà au courant de mes penchants.
— Et toi ? C’est quoi ton plat préféré ? demandé-je en me rapprochant de lui.
Nous sommes à présent presque collés l’un à l’autre. Je pose ma main sur sa cuisse. Son regard descend, suit mes doigts s’aventurer un peu plus haut sur son jean. Je m’arrête juste avant la limite. Il relève lentement les yeux vers moi. Nos regards s’accrochent. Un sourire innocent se dessine sur mes lèvres, qu’il me rend me faisant comprendre qu’il sait très bien à quel jeu je joue.
Et pourtant, il ne fait rien pour enlever ma main.
— J’ai…
Il s’éclaircit la voix, comme pour reprendre le contrôle.
— J’ai mangé une fois un plat à base de patate douce. Pas les rouges, les jaunes, précise-t-il aussitôt. Des petits morceaux coupés grossièrement, frits à l’huile. Et c’était l’une des meilleures choses que j’aie mangées de ma vie.
Son regard s’illumine à l’évocation du souvenir, comme s’il pouvait encore sentir le goût exact sur sa langue.
— Je rentrais tard un soir, raconte-t-il, et je suis tombé sur ce food truck. L’odeur m’a littéralement arrêté. Je suis revenue sur mes pas, j’ai demandé ce que c’était, et la cheffe m’a tendu un morceau à goûter. C’était brûlant… et ma langue s’en souvient encore.
Un rire m’échappe à l’idée d’Adrian, la bouche en feu, tentant d’avaler sans se brûler davantage. L’image est délicieusement ridicule.
— Mais cette bouchée, reprend-il, c’était comme… voir enfin la lumière au bout du tunnel.
Je laisse échapper un petit gloussement, avant de me reprendre aussitôt. Je reconnais à peine cette version de moi. Celle qui rit si facilement.
— J’étais affamé ce soir-là, ajoute-t-il avec un sourire. Ça doit jouer dans l’obsession que j’ai pour ce plat. La cheffe m’a donné la recette, mais à chaque tentative, c’était un désastre. Alors, à force, j’ai pris l’habitude d’y retourner. Pour un emporté… ou deux.
Un léger sourire flotte sur ses lèvres à la fin de son récit. Son regard se perd un instant dans le vide, comme s’il revivait chacune de ces soirées passées près de ce food truck. Quand ses yeux reviennent enfin se poser sur moi, ils sont teintés de nostalgie, pas seulement pour ce souvenir, mais pour d’autres, plus anciens, enfouis quelque part derrière lui. Je cesse aussitôt mes caresses.
— Ça te manque, ton ancienne vie ? demandé-je, en le fixant droit dans les yeux.
Il reste silencieux quelques secondes, puis son regard se pose sur moi.
— Certains moments, oui. Mais il y a plusieurs choses auxquelles je ne souhaite plus jamais revenir.
Une ombre traverse son regard, et je me surprends à me demander s’il pense à la fin de son mariage. Regrette-t-il l’absence de son ex-femme, ou seulement la version de lui qu’il était alors ?
Il glisse sa main dans la mienne, ses doigts s'enroulent doucement autour des miens.
— Je veux créer de nouveaux souvenirs avec toi, Catelyn.
Il tourne ma main, ma paume orientée vers lui, et dépose un baiser léger sur mon poignet. Puis il relève la tête, un éclat amusé dans le regard.
— Et je pense que tu adoreras les patates douces frites.
— Pas les rouges, les jaunes, dis-je en riant doucement.
Son pouce vient effleurer ma lèvre pincée. Il rapproche lentement nos visages.
— Oui, pas les rouges… les jaunes, répète-t-il dans un murmure.
Nos souffles se mêlent, mais juste avant que nos lèvres ne se rejoignent, le serveur revient avec notre commande. Nous reculons d’un même mouvement, un sourire contrarié aux lèvres.
Adrian a choisi une sicilienne, rien de plus opposé à mon plat.
Pendant tout le déjeuner, il s’est contenté de m’observer dévorer le mien.
Mon appétit est revenu peu à peu, et je crois même avoir repris quelques kilos, une chose qui me réjouit. Voir mes formes revenir me fait plaisir, et il est toujours agréable de se regarder dans le miroir et d’apprécier son reflet.
Un mouvement au-dessus de nous attire mon attention. Je lève les yeux et tombe sur la télé.
— Regan Martin, commente Adrian en suivant mon regard.
— Il est pressenti pour la vice-présidence si Harrison l’emporte, ajoute-t-il en remarquant mon absence de réaction.
Regan Martin. Son nom revient partout depuis quelques mois. Sénateur du Texas. À seulement trente-neuf ans, il est déjà l’un des hommes les plus influents du pays. Charismatique, imposant, il attire les regards, même en silence. Pas étonnant que les adolescentes le dévorent ainsi des yeux même à la télévision. Harrison, gouverneur de Californie, est son exact opposé. Stricte politique sur les armes, restrictions renforcées, contrairement à Martin qui lui est pro-armes. Tous deux dominent les sondages, surtout chez les jeunes.
— Je sais, dis-je en détournant le regard. Mais Wood le talonne. Ça ne m’étonnerait pas qu’il soit nommé à la place de Martin. Il semble être le favori d’Harrison. Leur politique sur les armes s’aligne mieux. Mais si les démocrates veulent l’emporter, ils devront forcer Wood à se retirer.
— Et toi, qu’aimerais-tu ? demande Adrian en m’observant voler une part de pizza dans son assiette.
Je mâche lentement, prenant le temps de réfléchir. En réalité, j’y ai déjà pensé.
— J’ai besoin d’alliés si je veux vendre mes armes comme je l’entends, dis-je en m’essuyant les lèvres. Martin…
Je marque une pause et fixe l’homme, saluant la foule rassemblée pour son discours.
— Semble le choix le plus approprié.
Nous avons terminé notre déjeuner en parlant de la météo. L’hiver est habituellement sans pitié dans cette région, mais cette année tarde à venir. Toutefois, on annonce une chute brutale des températures d’ici quelques jours. Je redoute toujours cette saison. Les missions deviennent pénibles. Chaque couche de vêtement alourdit les pas, chaque arme semble peser le double, et le moindre mouvement perd de sa fluidité. Mais le plus difficile n’est pas le froid, ni la fatigue. C’est la période des fêtes. Ce sont les lumières de Thanksgiving et de Noël, qui brillent partout sauf au centre. Elles creusent le silence, rappellent les visages absents, et renforcent cette solitude qui colle à la peau. L’hiver, pour moi, n’a jamais eu la moindre douceur.
Nous sortons du restaurant et nous nous dirigeons vers le parc d'attractions à une vingtaine de minutes à pied. Le soleil a disparu derrière les nuages, mais la chaleur imprègne toujours l’atmosphère. Nous passons à côté d’un couple qui s’embrasse au beau milieu de la voix. À leur vue, je détourne le regard et fixe un point devant moi.
— Tu n’aimes pas les couples qui s’embrassent dans la rue ?
Je me tourne vers Adrian.
— Les démonstrations d’affections en public me mettent mal à l’aise.
— Et ceci ? dit-il en prenant ma main dans la sienne. Est-ce trop ?
Il lève les yeux vers moi, attendant ma réponse. Je regarde nos doigts entrelacés et balaye du regard les environs. Tout le monde semble occupé à ses affaires, personne ne fait attention à nous. Nous sommes juste deux personnes qui se tiennent la main. Rien d’anormal. C’est parfaitement ordinaire et horriblement banal. Ce constat me remplit de joie et mes doigts raides se détendent dans sa main.
— Non, c’est parfait. Dis-je le sourire aux lèvres.
Le parc d’attractions s’étend sur plusieurs kilomètres, saturé de bruits, de couleurs et d'odeurs. Impossible d’en explorer toutes les activités en une seule journée. Des montagnes russes gigantesques rugissent dans un fracas métallique, si rapides qu’elles brouillent la vue. Des carrousels en forme de chevaux de rodéo, en passant par les piscines à vagues aux décors de canyon, les rivières lentes ou encore les toboggans vertigineux dont l’un, transparent, traverse un aquarium rempli de requins. Il y en a pour tous les goûts et de quoi combler chaque personne.
Adrian et moi déambulons au milieu de la foule compacte, happés par mille sollicitations. Nous passons devant un groupe d’acteurs déguisés en cow-boys. Leurs bottes martèlent le sol, leurs revolvers factices claquent dans le vide, et leurs voix forcées résonnent en écho. On ne sait plus où donner de la tête, entre l’éclat des costumes colorés, les rires des enfants bondissant d’excitation et les parents excédés qui tentent en vain de les retenir.
Je tends la main vers Adrian. Il rapproche le seau de pop-corn de sa main libre et j’y plonge aussitôt, attrapant une poignée entière que je fourre dans ma bouche. J’ai été trop gourmande, j’en ai pris trop. J’ai du mal à fermer la bouche et à mâcher. J’ai l’air d’un écureuil bourrant ses joues de noix. La vision me fait glousser, manquant de m’étouffer. Quand je lève les yeux vers Adrian, son visage est rosé par l’effort de rester impassible. Ses lèvres tremblent sous le rire contenu. Sous mon regard insistant, il détourne la tête, mais quelques secondes plus tard, il se retourne et perd le peu de retenue qu’il avait réussi à récupérer. Il explose de rire. Je fronce les sourcils, prête à le réprimander, mais un nouveau gloussement m’échappe, qui enfle en un rire incontrôlable jusqu’à me faire recracher tout le contenu de ma bouche.
Après avoir repris nos esprits, nous nous dirigeons vers la tour de chute libre. La hauteur vertigineuse me serre la gorge et je déglutis difficilement. Soudain, je ne suis plus si sûre de vouloir monter. La file d’attente est longue, alors Adrian s’éloigne pour prendre le pass VIP et nous permettre de passer plus vite. Pendant son absence, j’observe les occupants. Certains crient à pleins poumons, tandis que d’autres en ressortent chamboulés, avec des taches jaunâtres sur leurs vêtements. Pourquoi ai-je accepté de faire ça ?
— On peut s’en aller si tu veux.
Adrian surgit à mes côtés, me faisant presque sursauter, et me fixe, les sourcils légèrement froncés. Il attend ma réponse, silencieux, tandis que je relève de nouveau les yeux vers la tour. Jusqu’ici, notre petite escapade se déroule sans accroc. Je ne veux pas rentrer en regrettant de ne pas avoir au moins essayé. Faire tout ce chemin pour repartir maintenant serait inconcevable.
— On rentre, dit-il en me prenant la main.
— Non ! lançé-je précipitamment. Je vais le faire. On y va, ajouté-je d’une voix plus assurée.
Adrian me fixe un long moment, puis finit par hocher la tête.
Je ne comprends pas pourquoi cette attraction me terrifie autant. Je fais face tous les jours à des personnes dangereuses, je navigue entre elles sans sourciller et là, je me chie dessus devant une tour ? Ce n’est que quelques mètres après tout. Je ne suis pas une mauviette. Je suis Catelyn, bon sang.
Ses paroles, censées me rassurer, n’ont aucun effet. Mais je refuse de laisser Adrian voir de nouveau ma peur. S’il la devine, il exigera de repartir, et cette fois je ne pourrai rien y faire.
Je prends sur moi et avance dans la queue, Adrian à mes côtés. Lorsque notre tour arrive, un employé nous invite à monter dans la cabine. Nous grimpons les petites marches et prenons place sur nos sièges. L’opérateur s’approche pour boucler ma ceinture, mais Adrian l’arrête doucement. Il se penche vers moi, puis attrape la branche de la ceinture sur mon épaule et l’accroche au fermoir. Il répète le geste de l’autre côté. Une fois assuré que je suis bien attachée, il fait de même pour lui. Enfin, il laisse l’opérateur vérifier que tout est correctement fermé. Celui-ci nous répond par un pouce levé et passe aux personnes suivantes. Adrian tend la main et serre mes doigts.
— Je ne te lâcherai pas, m’assure-t-il en posant un baiser au-dessus de ma main.
Il me fixe intensément et je me perds dans son regard. Et tout comme la première fois, je sens mes épaules s’alléger de leur tension. Je prends une profonde respiration et les battements de mon cœur ralentissent peu à peu. Il m’adresse un sourire confiant que je lui rends en hochant la tête.
J’entends derrière nous l’opérateur signaler le départ. La cabine monte lentement le long du rail vertical, et nous prenons rapidement de la hauteur. Le parc s’étend sous nos yeux, chaque attraction rétrécit, la foule devient un point noir au loin. La cabine atteint le sommet. Je ferme les yeux pour maîtriser mon vertige, puis les rouvre, fascinée par le panorama. Manèges, couleurs éclatantes, files d’attente, arbres et plans d’eau s’entrelacent en une harmonie parfaite. Une brise légère soulève mes cheveux. Je me tourne vers Adrian, qui m’observe déjà. Mon sourire s’élargit, je suis contente de ne pas avoir fait demi-tour.
Mais avant même que je ne termine ma pensée, la cabine chute brutalement. Trop vite. Mes cheveux se dressent, ma vision se brouille, mon estomac se retourne. Soudain, tout s’arrête. Les cris autour de nous s’éteignent. Je baisse la tête, le sol est encore loin. Je serre la main d’Adrian. Il me regarde, inquiet, comme pour demander si ça va. Je hoche la tête.
La cabine tremble, prête à retomber. Je le sens. Et avant que je ne puisse respirer, elle chute de nouveau. La terre se rapproche, et mes cris se mêlent à ceux des autres passagers, emportés par la descente vertigineuse.
***
Il m’a fallu une bonne quinzaine de minutes pour récupérer de la chute rapide. Nous sommes à présent de retour dans la voiture en direction du centre. Je n’avais pas le cœur à prendre un dessert, mais Adrian a insisté, alors nous l’avons pris à emporter. Je suis recroquevillée contre la vitre, un sourire béat accroché aux lèvres, tandis que le paysage défile. Quand je m’autorise à rêver, à imaginer ma vie hors du centre, c’est souvent une journée comme celle-ci que j’imagine. Simple, normale. Faire des choses d’humains ordinaires, libres de leurs mouvements et de leurs actes
Le soleil est couché, la route se vide, et je remercie intérieurement Adrian de rouler enfin plus vite qu’à l’aller. Aussi parfaite qu’ait été cette journée, la fatigue me tombe dessus. Et je n’ai qu’une envie, retrouver mon lit.
Je me tourne vers lui. Il garde les yeux fixés sur la route, concentré. Pourtant, quelque chose dans sa posture me met mal à l’aise. Je me redresse complètement et l’observe. Il m’adresse un bref regard avant de se reconcentrer sur la voie. Mon sourire s’estompe lorsque je me rends compte que nous ne prenons pas le chemin du centre.
— Adrian ? dis-je, hésitante.
Il tourne la tête vers moi, brièvement.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Nous avons un dernier endroit où aller, répond-il avec un demi-sourire.
Je fronce les sourcils. Je ne me souviens pas d’une autre destination dans le programme qu’il a énuméré en début de journée. L’a-t-il ajoutée en cours de route, ou l’avait-il prévu depuis le départ ? J’ai horreur des surprises, et il le sait. Alors pourquoi ce changement soudain ?
Il prend un virage à gauche, s’engage dans une petite allée. Mon appréhension monte. Je tends machinalement la main vers l’arrière de mon jean avant de me rappeler que je n’ai pas pris mon arme. Merde.
La voiture s’immobilise devant un bâtiment gris, à l’allure d’entrepôt.
— Où sommes-nous ? Et que faisons-nous ici ?
Adrian se tourne vers moi, et me fixe d’un regard solennel.
— Rappelle-toi que je ne te trahirai jamais, Catelyn.
Il tend la main, mais je recule. Son regard se fige, comme si je l’avais frappé au visage, mais il reprend aussitôt contenance.
— Est-ce que tu me fais confiance ?
Les secondes s’étirent. Voyant que je ne répondrai pas, il sort de la voiture et me fait signe de le rejoindre. Je ferme les yeux.
Qu’est-ce qui se passe ?
Je fouille l’habitacle en espérant trouver une arme. Mais rien. La boîte à gants est vide. Bon. J’ai au moins mes poignards.
J’inspire profondément et sors à mon tour, faisant claquer la portière qui retentit dans la ruelle déserte.
Il n’y a rien autour de nous. Pas une âme qui vive à l’horizon. Même l’air semble avoir été aspirée ailleurs. Je fais le tour du regard, et remarque une berline noire garée au loin. Trop loin pour que je distingue la plaque.
Adrian me fait signe d’avancer. Son visage est neutre, néanmoins une douce chaleur brille dans ses yeux. Une chaleur que je refuse de reconnaître. Je marche vers lui. Nous nous retrouvons côte à côte. Il m’adresse un long regard, puis prend la tête et pénètre dans l’entrepôt.
L’air y sent le renfermé et la poussière. L’endroit paraît abandonné. Le hall d’entrée est plongé dans la pénombre, mais une lumière blanche perce au fond. Mes pas résonnent derrière ceux d’Adrian, prudents, presque hésitants.
Nous avançons jusqu’à une vaste pièce, inondée de lumière. Vide. Silencieuse. Puis lentement, Adrian s’écarte me laissant découvrir toute la salle.
Un hoquet m’échappe.
Deux hommes nous font face. À leurs costumes sobres, chaussures cirées, montres discrètes, je n’ai pas besoin de plus pour comprendre.
— Le FBI, soufflé-je entre mes dents serrées.

Annotations
Versions