Chapitre 5 : L’Ange de la Mort emporte le Démon de la Vie

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Sentia ouvrit les yeux et se crut toujours dans la grotte.

Cependant, le décor était bien différent. De l’autre côté des murs de magilithe, des chauves-souris voletaient en émettant des sons suraigus. Proches de la zone où elle était, elle reconnaissait des capitaines maudits, ces morts-vivants typiques des… mines de Lhusu. Elle se trouvait sur le continent volant de Dorstonis, non loin de la cité céleste de Bhujerba. Prise d’une nausée, elle se leva machinalement et se traîna vers un cristal régénérateur qui se trouvait là. Mais hélas, elle ne sentit même pas la moitié de son énergie physique revenir. Elle prit le temps de respirer, s’adossa contre le mur et scruta un instant le plafond rutilant.

Bergan du Bélier. Que faisait-il, à présent ? Etait-il toujours en quête de combats plus difficiles les uns que les autres ? Il aurait été ravi de se trouver avec elle face à ces géants. Et Drace du Sagittaire, alors ? Celle qui avait fait mine de s’intéresser à son malheur alors qu’elle ne comprenait rien ? De quel « espoir » parlait-elle ? Il n’y avait aucun espoir, à présent qu’Il l’avait abandonnée. Lui, bien sûr… À eux quatre, ils en avaient vécu, des aventures. Drace et Lui étaient passés maîtres en magie de soutien, en contrôle de la vigueur, de la vitesse et en sagesse de l’art du combat. Tandis que Bergan et elle avaient toujours foncé sur leurs ennemis tête baissée, se croyant invulnérables – ce qu’ils étaient, grâce à leurs camarades restés en retrait. Rien ne pouvait les arrêter. Telle était la force que lui avaient apportée ces trois amis. Ses meilleurs amis. Ses seuls amis…

Les larmes coulaient tandis qu’elle hésitait à se rendre dans la pièce connexe, cernée par les magilithes et ne donnant sur aucune issue. La seule amie qu’elle avait à présent, si elle en était une, était cette étrange fillette qui ne vivait que sous forme de spectre. Qu’était-elle exactement ? Pourquoi se trouvait-elle à ses côtés à chaque combat ? Quel était son objectif ? Et surtout… Où était-elle à présent ? Pour la première fois, il n’y avait aucune trace de fantôme, alors même qu’un ennemi imposant l’attendait dans la zone voisine. Soudain, elle tendit l’oreille. Elle aurait juré avoir entendu… Des cris ? Qui pouvait bien crier dans un endroit pareil ? Il s’agissait vraisemblablement d’un cri de détresse. Mais comme les autres fois, elle se sentait beaucoup trop faible pour affronter une épreuve supplémentaire.

— À l’aide !

Cette fois, pas de doute. Elle serra ses deux katanas contre elle et franchit la limite qui la séparait du danger.

— Qu’est-ce que… fit-elle, complètement abasourdie.

— Au secours !

Devant elle se trouvait le spectacle inédit de, non pas une, mais deux créatures au centre de l’arène. Un immense squelette ailé de couleur violacée et aux motifs dorés lévitait paisiblement, aussi effrayant qu’intrigant. Sentia frotta ses yeux, de peur d’avoir des visions. Mais non… Ce que le squelette tenait, le long de son aile droite, était bien la jeune fille des combats. Elle semblait cette fois-ci exister sous forme de morte-vivante et non plus de spectre, complètement encastrée dans l’aile, de laquelle sortaient une demi-douzaine de griffes aussi redoutables que des lances.

— Mais qu’attendez-vous ?! cria-t-elle ! Sortez-moi de là !

— Attends… Je ne… Vous êtes deux… Les Gémeaux ?

— Oui, je suis des Gémeaux… ! fit la jeune fille d’un air coupable. Mais j’ai toujours dit à Gerun que je n’avais rien à voir avec Zaléra ! C’est d’ailleurs pour cela que j’ai été…

C’est alors que ledit Zaléra battit des ailes en vociférant un son aussi dérangeant que mille stryges en même temps.

— Sauvez-moi ! résuma la prisonnière.

Sentia remarqua que les yeux, sans doute suppliants, étaient couverts d’un bandeau rouge, et que les cheveux étaient longs et noirs, aux reflets violets comme ceux de son co-éon.

— D’accord, accepta la combattante en étirant ses bras le long de son corps. Mais comment je fais, moi, pour t’éviter ?

— Frappez-moi ! Assommez-moi ! Peu importe ! Il ne m’arrivera pas grand-chose… L’essentiel est de me séparer de ce détraqué !

Il ne fallait pas le lui dire deux fois. La jeune femme prit son élan et allait s’élancer, lorsque Zaléra déploya son aile droite – faisant sursauter la fillette au passage – et trois morts-vivants supplémentaires apparurent.

— Des âmes en peine, hein ? Amenez-vous !

— Ne m’oubliez pas ! fit la captive en remuant dans tous les sens.

Sentia acquiesça et évita un coup de lance de la première âme en peine. Elle riposta avec deux coups de katana ainsi qu’une magie de feu, et le squelette disparut. Se tournant vers les deux autres, elle constata qu’ils avaient déjà préparé leurs magies – de foudre et de glace – et s’apprêtaient à les lancer. Elle poussa un cri de douleur lorsqu’elles l’atteignirent, et posa un genou à terre. Les deux squelettes en profitèrent pour sauter vers elle avec leurs lances. La combattante ferma les yeux et se concentra.

— Coup du pèlerin !

Les dégâts, accumulés au fur et à mesure de ses pas à travers contrées et dangers, s’abattirent sur les deux morts-vivants qui tombèrent d’un seul coup. Sentia grinça des dents : elle savait qu’elle ne pourrait plus utiliser cette technique une autre fois.

Elle se releva et dévisagea Zaléra d’un air décidé. Cette fois-ci, il ne s’agissait pas d’elle : une âme innocente était en jeu – aussi embêtante fût-elle.

— Fuyez ! fit celle-ci de sa voix enfantine.

— Comment ça ?

— Vous ne pourrez pas gagner ! L’élément de Zaléra est la mort. Vous n’avez aucun moyen d’échapper au Coma, et comme vous n’avez pas de compagnons, vous pourrirez ici pour l’éternité.

« Merci de me le rappeler », se dit Sentia, légèrement désabusée.

Mais elle n’avait pas dit son dernier mot.

« Si je suis suffisamment rapide, il pensera – ou ils penseront ? – uniquement à défendre et n’aura – n’auront ? – pas le temps de riposter avec Mort. »

Elle s’exécuta en s’élançant avec ses katanas, frappant les os aussi fort qu’elle le pouvait. Visiblement, cela faisait des dégâts, car Zaléra reculait en criant de nouveau. La prisonnière cria elle aussi. Mais elle s’exclama aussitôt :

— Ne faites pas attention à moi ! Continuez ! Mais fuyez !

— Je ne comprends rien à ce que tu dis ! fit Sentia en serrant les poings.

Zaléra se tourna vers elle, et des lumières rouges apparurent au fond de ses cavités oculaires. Et alors, il n’y eut plus qu’elles. La solitude. La trahison. La responsabilité. La haine. La couleur froide de la tristesse éternelle. La…

— MOOOORT ! hurla la captive, agitée au point de faire tomber l’éon, qui lançait son sort.

Sentia courut. Aussi loin que ses jambes meurtries purent la porter. Voilà un poids qu’elle ne pouvait pas assumer. Et pourtant c’était ce qu’elle voulait depuis le début… Pourquoi courait-elle ? Pourquoi ne s’arrêtait-elle pas ? Pourquoi ne pas finir en chair à canon au fond de cette mine lugubre ? Les larmes s’échappaient tandis qu’elle atteignait la limite de la zone, à bout de souffle.

Un mélange de lueurs rouges et noires s’échappa du monstre tandis que la jeune fille s’égosillait à faire percer les tympans. La combattante, reprenant ses esprits, s’aperçut que ses yeux étaient grands ouverts, et que son cœur continuait à battre. Mais la mort… Elle n’avait pas réussi à se la donner jusqu’alors. Elle leva en conséquence sa dague et la dirigea vers son avant-bras qui peinait à cicatriser des précédentes blessures. La main tremblante, elle grinça des dents et finit par abattre l’arme sur sa cible, marquant de nouveau la peau blanchie par les années de réclusion. La douleur la faisait grimacer de plus belle, mais elle continua, tenace et précise, de s’infliger toujours plus profondément ces mêmes mutilations qui l’avaient conduite devant Famfrit. C’est alors qu’elle l’entendit :

— Que faites-vous ?

Elle releva sa dague, déterminée.

— Ne tombez pas dans le piège !

Cette fois-ci, elle s’arrêta net. Qui parlait ? La fillette ? Elle tendit l’oreille, mais la distance était trop grande pour qu’elle perçût la moindre parole distincte. La jeune femme déglutit, considéra son arme quelques secondes, puis la lâcha en soupirant dans un demi-sanglot. Pourquoi faisait-elle cela ? À quoi cela rimait-il ? Avait-elle échappé à la mort de Zaléra pour s’en infliger une autre, plus lente et plus pénible ? Les bras flageolants, elle se retourna définitivement pour foncer dans la salle de l’éon.

Dès qu’elle arriva devant la double créature, la jeune prisonnière fit un énorme sourire, que Sentia distingua parfaitement étant donné sa forme de zombie dépourvue de lumière. Très vite, la combattante tenta d’attaquer, et prépara sa plus féroce magie de feu… qui eut pour effet de disparaître sitôt l’éon touché.

— Nous sommes immunisés à tous les éléments, expliqua la jeune fille avant que la partie squelettique la fît voltiger pour riposter.

Sentia était bien trop faible pour utiliser une magie noire non-élémentaire, catégorie qui demandait beaucoup de ressources. Ce qui voulait dire que…

— Attention ! Il va recommencer ! Quand je crierai, vous vous enfuirez !

Elle n’allait pas s’enfuir. Tête baissée, elle ressortit ses katanas, qui avaient visiblement un résultat sur le monstre, et s’appliqua à frapper celui-ci le plus de fois possible. Très vite, la souffrance dans laquelle ses bras la mettaient lui arracha des cris de douleur, qui se mêlaient au cri féroce de Zaléra, bonne et mauvaise partie confondus. Au fond du site numéro 7 des mines de Lhusu, tout le monde criait dans une cacophonie morbide qui rebondissait sur l’éclat des magilithes et restait coincée dans les afflux de myste ambiants. Sentia sentait que la fin était proche… Elle n’allait plus pouvoir attaquer et Zaléra allait la mettre dans le Coma. Néanmoins, elle cèderait peu à peu et non pas d’un seul coup : sentant que son bras droit était hors d’usage, elle cessa de l’utiliser et se concentra sur ses assauts à l’aide de son bras gauche, le moins précis et le moins fort – les dégâts étant déjà de facto réduits de moitié. Etait-ce faisable ? Elle n’en savait rien, et Zaléra, sa force vitale baissant, faisait usage de toutes sortes de techniques dont Sentia n’avait pas la moindre cure. Soudain, un craquement d’os se fit sentir. Les cris de la prisonnière se firent plus aigus, mais la combattante savait qu’il fallait continuer. Zaléra se tourna vers elle et ses yeux s’allumèrent de nouveau. N’ayant plus perception de son bras, elle poursuivait ses efforts machinalement, consciente que si le monstre réussissait à lancer Mort, elle demeurerait là pour toujours. Enfin, au comble du supplice, elle rata sa cible ; néanmoins, l’éon ne se retourna pas contre elle. Ce dernier chancelait dans tous les sens, tournait sur lui-même… et finalement tomba d’un seul coup, se volatilisant au passage. Le médaillon des Gémeaux était posé au centre de la pièce.

Sentia courut le récupérer, et, à bout de forces, tomba à terre et scruta le moindre recoin de la pièce. Aucune trace d’une quelconque autre âme que la sienne…

— Eh ! Eh… t’es là ?

Personne ne lui répondit.

— Eh ! Je ne sais même pas comment tu t’appelles… Je ne t’ai pas tuée, hein ?

Ses yeux se remplirent de larmes et, sentant l’évanouissement proche, elle rampa jusqu’au cristal voisin afin de poursuivre les recherches. C’est alors qu’elle la trouva, là, au pied des magilithes, brillant de mille feux.

— Tu es là !

Elle tomba sur elle et l’entoura de ses bras… qui se refermèrent sur eux-mêmes, la jeune fille étant transparente. Lentement, celle-ci bougea, étira ses membres, puis prit la parole :

— Je… Je suis vivante ?

— Oui, sous ta forme spectrale.

— Je sais bien que je suis sous ma…

Elle s’arrêta net et baissa la tête.

— Je suis une shaman qui travaillait avec Gerun. Mais Gerun et les autres Occurias ne se sont plus occupés de moi ces derniers temps. J’ai acquis une certaine liberté et je me suis intéressée au monde des humains et d’Ivalice. Cette information est tout ce que je peux vous offrir comme récompense de m’avoir sauvée.

Sentia ne se sentait pas encline à quémander un supplément. Elle garda seulement ses bras à la même position, imaginant que la petite pouvait sentir un semblant de chaleur de ce geste, et murmura, le regard ailleurs :

— Je veux mourir…

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