Chapitre 35

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La date de la soutenance du Mémoire d'Ace et de Tyler approchait à grands pas. Les deux amis s'étaient revus une dernière fois quelques jours auparavant pour apporter les corrections nécessaires que Mrs. Pierce avait notées. Ils regrettèrent de ne pas pouvoir revoir leur professeure avant le jour J. Elle aurait pu leur donner d'ultimes conseils et ils auraient pu s'entraîner tout ensemble. Mais le rôle que tenait Mrs. Pierce n'était pas essentiel, loin de là.


Le jour fatidique, Ace s'était levé très tôt, bien qu'ils passaient leur oral en plein milieu de l'après-midi. Il avait répété tout seul mais il connaissait quasiment son texte sur le bout des doigts. Maintenant, il devait réussir à utiliser la bonne intonation, celle si spéciale que l'on pouvait entendre lors de grandes plaidoiries.

Ensuite, il avait rejoint Tyler chez lui. Ils avaient décidé d'y aller ensemble. Cela avait un côté plus rassurant, moins stressant que de se préparer et d'arriver seul.


Ils retrouvèrent Mrs. Pierce dans le couloir de la fac, juste devant la salle de l'épreuve. Elle leur souhaita une pleine réussite et ils entrèrent.

Ace et Tyler étaient prêts. Il avait travaillé cinq mois durant pour ce jour. Et Dieu que cinq mois pouvaient sembler être une éternité. Ace et Tyler en étaient les preuves vivantes. Ils n'auraient jamais pensé une demi-année plus tôt, qu'ils allaient se retrouver là, en cet instant précis, plus soudés que jamais. Nul n'aurait imaginé que leur relation au départ strictement professionnelle et impersonnelle allait se transformer en une liaison magique.

Leur soutenance fut incroyable. Ace et Tyler jouèrent leurs rôles à la perfection et même Mrs. Pierce y avait mis du sien. Ils connaissaient parfaitement leur sujet et répondirent à toutes les questions que les examinateurs leur avaient posées. Mrs. Pierce, légèrement en retrait, était fière de ses étudiants. Elle n'aurait pu rêver mieux. Ils avaient tiré de son enseignement et de ce programme des solides connaissances, tant sur le savoir que sur leur aisance à l'oral, qui feraient d'eux de très bons juristes, elle n'en avait aucun doute.

Lorsqu'ils sortirent tous les trois de la salle, Mrs. Pierce félicita ses étudiants.

— Bravo à tous les deux. Vous avez su répondre impeccablement à leurs questions. Et votre plaidoirie était parfaite pour des étudiants de deuxièmes et troisièmes année. Je peux d'ores et déjà vous dire que vous obtiendrez une très bonne note.

Tyler rayonna de bonheur.

— Vous pouviez pas savoir à quel point j'étais stressé, s'exclama-t-il. Mais avoir Ace avec moi m'as permis de mieux me dominer.

Mrs. Pierce remarqua le regard que les deux jeunes hommes s'échangèrent. Il était différent des autres fois, lorsqu'ils avaient rendez-vous à la bibliothèque pour travailler tous les trois.

— Je suis heureuse de voir que ce programme vous a rapprochés. C'est aussi cela son objectif : nouer de nouveaux liens qui, nous l'espérons, resteront longtemps.

Ace sourit.

Croyez-moi, on ne veut pas qu'il se coupe maintenant.

Ils rirent tous les trois, évacuant leur stress accumulé.

— Bien, c'est ici que nos chemins se séparent, reprit Mrs. Pierce. J'ai été ravie de travailler avec vous, vous êtes des étudiants brillants. Et je ne dis pas ça parce que vous aviez eu une très bonne professeure, ajouta-t-il, arrachant un sourire à Ace et Tyler. Peut-être aurions-nous l'occasion de nous revoir pour de nouveaux projets, ou même en cours.

— Je l'espère aussi, répondit Ace. Votre aide nous a été très précieuse.

Mrs. Pierce le remercia d'un sourire.

— Profitez-en pour souffler un peu. Mais pas trop, les examens de fin d'année vont arriver très vite.

Tyler leva les yeux au ciel.

— Nous avons encore quelques mois devant nous, tout de même !

— Ça va très vite Tyler, tu verras, rétorqua-t-elle. Prenez soin de vous, chers étudiants, et passez une bonne fin de journée.

— Merci, répondirent-ils en chœur.

Puis, ils regardèrent la jeune femme s'éloigner, ses talons résonnant dans le couloir.

— J'ai l'impression qu'une page se tourne, souffla Tyler en regardant la silhouette de leur professeure référente disparaître au bout du couloir.

— C'est un peu le cas, répondit Ace sur le même ton.

Les deux amis se regardèrent, comprenant tous les deux ce qu'Ace voulait insinuer. Ce Mémoire avait été le point de départ de leur relation. C'était comme s'ils devaient maintenant voler de leurs propres ailes, car dorénavant, ils ne pouvaient plus invoquer ce prétexte pour continuer de se voir si leur relation venait à se dégrader. Techniquement, ils n'avaient plus rien en commun, plus rien qui les rapprochait. Ils devaient créer des souvenirs communs, des activités communes. Mais pour cela, ils avaient un tremplin : la toile d'Andreï.


XXX


Le rendez-vous artistique arriva plus rapidement que prévu. Andreï était impatient de commencer, et il avait le week-end suivant de libre pour le faire. Après avoir demandé à Tyler si c'était possible, le russe avait commencé à tout préparer. Le petit atelier devint un véritable champ de bataille car Andreï changeait d'idée tous les jours. Il en avait toujours une meilleure que les précédentes et Ace avait cru qu'il n'allait jamais pouvoir trouver la bonne. Le vendredi soir, Andreï fut enfin satisfait. Il ne voulut pas répondre aux questions de son meilleur ami lorsqu'il lui demandait des explications. De toute façon, Ace ne saisirait pas tout et son rôle n'était que de poser quelques heures, c'est tout. Les jeux de lumière, les accessoires utilisés ainsi que tout le « reste » ne regardaient que lui. Ace avait fini par abandonner.

La sonnerie retentit dans l'appartement et Ace alla ouvrir. Tyler attendait patiemment derrière.

— Hey, souffla Ace.

— Salut ! s'exclama Tyler enjoué. Prêt pour faire le beau ? Il faudra que tu gonfles tous ces muscles.

Il passa devant Ace en l'embrassant.

— Tu es bien heureux aujourd'hui, remarqua Ace en fermant la porte.

— Pourquoi, je ne devrais pas ?

Ace haussa les épaules. Tyler échangea une poignée de main avec Andreï ainsi que des banalités polies.

— Vous voulez qu'on s'y mette tout de suite ? demanda alors Andreï. On sera débarrassés après.

Tyler regarda Ace.

— Si tu veux, c'est toi le chef, répondit Ace.

Andreï sourit et les emmena dans son petit atelier. La pièce était comme le jardin secret de son meilleur ami. Elle avait une odeur particulière, celle de la peinture fraîche. Il y faisait toujours un peu plus frais que le reste de l'appartement, car elle n'était pas chauffée.

Des pots de peinture traînaient un peu partout, et des trois chevalets étaient posés en plein milieu. Le sol était parsemé de taches de tailles variées. Mais il était facile à nettoyer, un simple coup de serpillière et une bonne dose de détachant feraient l'affaire.

Ace remarqua alors une chaise haute en plein milieu de la pièce. Il s'approcha et toucha des doigts deux grands tissus respectivement rouge sang et bleu roi.

— C'est pour quoi faire ?

— C'est pour vous, rétorqua Andreï. Vous devrez les porter sur vous. Je vais vous montrer, ajouta-t-il sous les regards perplexes des garçons.

Il poussa tous les objets près des murs pour faire un peu de place. Il replace correctement la chaise au centre de la pièce.

— Je vais vous demander de vous déshabiller. Il faut que vous ne gardiez que vos sous-vêtements, indiqua-t-il avec un regard quelque peu embarrassé.

Ace haussa les épaules et commença à se dévêtir. Tyler le suivit en enlevant son pull noir et son pantalon bleu marine.

Une fois fait, ils se tournèrent vers Andreï.

— Bien, maintenant je vais avoir besoin de toi, Tyler. Assis-toi sur la chaise.

Andreï avait pris le regard sérieux qu'Ace lui connaissait bien et sa voix était posée mais dure. Il avait toujours cette attitude quand il devait se concentrer et qu'il s'apprêtait à travailler.

Tyler s’exécuta sans rien dire.

— Il faut que tu tiennes bien droit, légèrement tourné vers la fenêtre, ta tête orientée vers le mur.

Le blond corrigea sa posture.

— Je peux ? demanda Andreï en s'approchant de lui, s'apprêtant à le toucher.

— Bien sûr.

Il releva le menton de Tyler, appuya sur son dos pour qu'il se redresse encore un peu plus.

— Pose ton pied gauche sur la barre de la chaise et le droit sur le sol.

Encore une fois, il rectifia sa posture.

— Je ne vous ai pas prévenus que ça pourrait être inconfortable, s'excusa-t-il, penaud. Surtout que vous devrez bouger le moins possible.

— Ce n'est pas grave, le rassura Tyler d'un sourire.

Rien ne semblait pouvoir entacher son enthousiasme. De toute manière, être avec Ace lui suffisait pour être heureux. Et partager quelque chose de si singulier encore plus.

Le russe se saisit du drap bleu. Il était plus long que l'avait pensé Ace. Il le posa alors sur l'épaule droite de Tyler et vint l'enrouler autour de ses hanches. Ainsi, le tissu coupait une partie du torse de Tyler avant de recouvrir intégralement son entrejambe et le haut de ses cuisses.

— Parfait, souffla Andreï. À toi, Ace.

— Que dois-je faire ?

— Va te poster en face de Tyler. Place ta jambe gauche entre les siennes, de sorte qu'elle soit à moitié cachée par celle de Tyler. L'autre, devant sa jambe gauche. En gros, il faut qu'on ait l'impression que vos jambes se confondent, qu'elles ne fassent quasiment qu'unes.

Ace obéit, essayant de reproduire ce que son meilleur ami avait en tête.

— Rapproche-toi de Tyler, l'aida Andreï. Je vous rappelle que vous formez un couple.

Tyler regarda son compagnon, un sourire malicieux aux lèvres.

— Voilà. Maintenant Tyler, regarde Ace dans les yeux, la bouche légèrement entrouverte, comme si tu étais subjugué par sa beauté.

— Pas bien difficile, chuchota-t-il, faisant sourire Andreï et Ace.

— Ace, rends-lui son regard et pose ta main sur la joue de Tyler, comme si tu voulais la caresser du bout du pouce. Et toi, Tyler, prends son poignet délicatement, comme si tu voulais l'empêcher d'enlever sa main de ta joue.

Les deux hommes échangèrent un petit rire, devant l'embarras de la mise en scène. Enfin, Andreï recouvra Ace du drap rouge, en le posant sur son épaule droite. Il noua adroitement le tissu autour des hanches de son ami et camoufla la chute derrière sa jambe.

— Parfait. Je vais maintenant vous demander de ne plus bouger et de garder cette pose. Vous avez le droit de respirer, bien entendu, de parler aussi. Mais doucement.

Andreï se recula et admira la scène.

— C'est impeccable. Encore mieux que je ne l'imaginais, souffla-t-il, les yeux brillants.

— Où as-tu trouvé ces tissus ? demanda Ace. Ils sont très doux et légers.

— Ils viennent de la fac. Ils étaient pliés dans un placard. C'est en les voyant que l'idée m'est venue.

Les trois amis se turent, chacun plongés dans ses pensées. Andreï s'était assis devant eux, face à la fenêtre. Il tenait entre ses mains un carnet et un crayon. Il commença par dessiner grossièrement les contours des formes.

— Vos regards doivent être constamment braqués dans les yeux de l'autre. Il faut qu'on arrive à comprendre que vous vous aimez à la folie, indiqua Andreï. Ou du moins, feignez-le pour le tableau, si c'est pas le cas.

Tyler gloussa légèrement. De son côté, il n'y avait aucune difficulté. Il adorait se perdre dans les yeux de son compagnon. Leur vert était si intense que ça en devenait douloureux de soutenir son regard.

Ace n'en menait pas large également. Tyler, joueur, ne cessait de sourire narquoisement, ou bien de faire des mimiques plus qu'expressives lorsque Andreï ne les regardait pas, plongé dans son petit carnet. Avoir l'autre à portée de main, quasiment nu, mais ne rien pouvoir faire leur déplaisait autant que cela les excitait.


Ils ne firent aucune pause. Même si leurs muscles commençaient à devenir de plus en plus douloureux, ils essayèrent de bouger le moins possible. Andreï leur laissa tout de même l'occasion de respirer, lorsqu'il termina le croquis. Les deux jeunes hommes roulèrent leurs épaules et se détendirent tandis qu'Andreï posait une toile sur son chevalet. Ils leur restaient un peu de temps devant eux, et après avoir demandé à ses amis, le russe voulait commencer à reporter sur sa toile son croquis. Même s'il avait bonne mémoire, Andreï ne voulait pas tenter le diable, au risque de ne plus réussir à reproduire ses souvenirs.

Bien qu'Ace et Tyler n'avaient plus la même posture au millimètre près, cela n'était pas très grave. Il n'avait plus qu'à les dessiner en s'appuyant sur ses notes.

Andreï posa pour de bon son pinceau lorsque le soleil commençait à se coucher. Il était très content du résultat. Il avait avancé plus vite que prévu, et il ne restait que de très petites retouches à faire. Il montra alors le résultat à ses amis.

— Eh bien, t'as du talent, souffla Tyler, impressionné.

Andreï le remercia, touché. Le russe avait entièrement représenté la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Au fond, on pouvait apercevoir la fenêtre, qu'il avait dessiné ouverte. Sur le mur, on pouvait retrouver les taches de peinture telles qu'elles étaient en réalité. Au premier, plan, deux hommes se regardaient droit dans les yeux, un sourire ému et amoureux aux lèvres. La toile était emplie de contrastes saisissants : le tissu bleu roi tranchait violemment sur la peau blanche de l'homme assis, qui lui-même, contrastait avec celle de son amant, debout et recouvert du tissu rouge sang

Les ombres des muscles d'Ace et les jeux de lumière avaient été reproduits à la perfection, et les tissus semblaient aussi fluides qu'en vrai. Enfin, il était impossible de reconnaître les modèles, avec leurs visages de profil, légèrement orientés à l'opposé du peintre.

— C'est étrange, on dirait le feu et la glace, s'exclama Ace, subjugué.

Andreï hocha a tête.

— C'est vrai. Mais c'est un peu la vérité. Le rouge représente aussi bien la chaleur que la colère ou l'amour. Le bleu, la fidélité, la complicité et l'eau. Ton tempérament bouillonnant conte celui, plus calme de Tyler.

Les deux amis se regardèrent en souriant. Ainsi, c'était ce que leurs amis voyaient en eux.

— C'est sûr, tu vas gagner, s'écria Tyler.

— Pas sûr. Il y a de nombreux artistes plus doués que moi.

— Ne te dévalorise pas comme ça ! rétorqua Ace. Ta toile sort de l'ordinaire. Elle se fera forcément remarquer.

— Mais il y a des défauts. Je peux en voir quelques-uns, souligna Andreï en montrant du droit certaines endroits, légèrement contrarié.

— Tu es encore étudiant, forcément tout ne peut pas être parfait. Mais personnellement, je pourrais pas faire le quart de ce que tu as fait.

Tyler appuya les dires d'Ace d'un signe de tête.

— Bref, nous verrons bien. Pour l'instant, je n'en peux plus. Ça vous dit, une petite bière ? demanda Andreï en se levant.

Les deux autres répondirent par l'affirmative. Ils se rhabillèrent rapidement et allèrent dans le salon.

Ils restèrent quelque temps à discuter de tout et de rien, Andreï les remerciant de leur temps et de leur patience. Puis Tyler rentra chez lui.


— Je ne sais pas si tu te souviens, commença Andreï alors qu'ils dînaient devant la télévision, mais je vais rendre visite à mes parents le week-end prochain. Tu auras l'appartement pour toi tout le week-end.

Ace réfléchit une seconde.

— C'est vrai, je me rappelle maintenant.

Le silence revint, quand Ace releva soudainement la tête.

— Je pourrais inviter Tyler à venir dormir. D’habitude, on se voit tout le temps chez lui, mais cette fois-ci, ça peut être chez moi.

— C'est une bonne idée, l'encouragea Andreï avec un sourire.

— Je lui demanderais quand on se verra à la fac.

Puis Ace prit une bouchée de son repas, absorbé par la série qu'ils regardaient. Il ne remarqua pas le sourire moqueur de son meilleur ami.

Autant Ace pouvait souvent se montrer vif d'esprit, autant sur des sujets comme ça, il avait besoin d'un petit coup de pouce. Au fond, il restait toujours le même.

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