Prologue

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La lumière des deux lunes envahissait les sous-bois, éclairant l'herbe de toutes ses nuances d'argenté. ou de bleuté. Il ne faisait, ni trop frais, ni trop chaud, ni trop sec, ni trop humide. On se sentait totalement à l'abris, sous le couvert des arbres. Il y faisait si bon !

Pourtant, aucun bruit, aucun souffle, aucun murmure ne perçait le silence insoutenable. Les oiseaux dormaient dans leurs nids, les écureuils dans les creux des arbres, et les souris, bien au chaud au fond de leurs terriers.

Mais, venu du fin fond de la forêt, résonna soudain un bruit de pierre déplacée. Un bruit sourd, qui résonnait, dans les entrailles de la terre, sous les feuilles veinées d'émeraude, entre les brins d'herbe verte. Un bruit sec, et étrange, un raclement de rocher, le bruit des montagnes qui bougent, le bruit de la glace qui se casse, le bruit du feu qui crépite. Et un souffle. Un seul souffle.

Un être encapuchonné se tenait là, devant l'entrée d'une crypte, là où il avait déplacé le rocher qui en bloquait l'entrée. Il portait une longue robe grise, maintenue par une ceinture de cuir, et son visage disparaissait dans l'ombre de sa capuche. Ses yeux bleus scintillaient comme ceux d'un félin la nuit, comme deux éclats de saphir. Une fine barbe grise dépassait un peu de son capuchon, et ses mains étaient squelettiques.

Après une courte hésitation, il pénétra dans la grotte, et disparut dans l'obscurité.

Il leva légèrement la main, et une boule de lumière y apparut, plongeant le couloir de la crypte dans une froide lueur blanche. Le sorcier distingua de drôles d'inscriptions cunéiformes gravées sur les murs, et son visage ridé s'illumina. Il toucha du bout des doigts les inscriptions, tout en continuant d'avancer.

La crypte était un véritable labyrinthe, le sorcier se retrouva à de nombreuses reprises dans une impasse, parfois juste bouchée par de lourdes pierres qu'il soulevait grâce à un sort d'altération simple et à la fois impressionnant. Il contournait parfois des tombes tombées en travers du passage, suite à des tremblements de terre ou à d'autres mésaventures. L'homme encapuchonné débouchait souvent sur une salle circulaire contenant sept tombes et des urnes remplies de trésors et d'héritages. Mais il ne toucha à rien ; les tombeaux étant des lieux sacrés.

Enfin, il aperçut une lueur dorée derrière une colonne de pierre gravée. Il courut vers la source de cette chaude lueur, et arriva en haut d'une immense salle, où, au milieu, trônait un orbe de métal où des écritures incompréhensibles luisaient de doré, noyant la pièce dans cette lumière tamisée.

A côté, il y avait une table, chargée de victuailles pourries, de chairs putréfiées, de fruits moisis, d'os rongés et d'autres nourritures décomposées. Les chaises étaient toutes bien rangées, sauf une, celle en bout de table, qui était légèrement écartée, comme si quelqu'un s'était déjà assis là. La puanteur des victuailles moisies jurait avec la beauté du couvert, et des inscriptions d'or de la pièce.

Le sorcier descendit de l'endroit où il était perché par un escalier de bois pourri. Il s'approcha de l'orbe doré qui tournait sur lui-même, porté par une force invisible. Il le contempla un instant, avant d'entendre un craquement. Il tourna vivement la tête vers l'origine du bruit. Ce qu'il aperçut l'horrifia.

Une femme affreuse, faite de chair putréfiée, d'os et recouverte d'une armure de fer, s'avançait vers lui d'un pas léger. A chacun de ses mouvement, une partie de son corps craquait, et ses yeux luisaient comme deux vives flammes vertes. Elle trainait une lourde épée rouillée mais bien aiguisée par terre, créant de petites étincelles qui crépitaient un instant avant de disparaître. Un sourire cruel restait figé sur ses dents, qui ne possédaient d'ailleurs plus de gencives.

- Longtemps j'ai attendu ce moment, gronda-t-elle d'une voix caverneuse.

- Ma'drona la Corrompue, siffla le sorcier.

- Je vais faire semblant de ne pas être vexée par ce ridicule surnom que les mortels m'ont donné, cracha - bien qu'elle n'ait pas de salive - la morte-vivante. Tu ignores sans doute que cela fait des milliers d'années que j'attends d'être délivrée de ma prison que vous appelez tombeau royal.

- Non, je ne l'ignores pas, ignoble créature, pesta l'homme barbu aux yeux bleus. Tout le monde connait l'histoire de Ma'drona, la reine déchue de Rovalen, tombée honorablement au combat, lors de la bataille du pont de Forgowel, il y a cinq mille ans.

- Alors je suis restée cloitrée ici pendant autant de temps ? ricana Ma'drona. Hmmm, il m'avait semblé, disons cela comme ça, que ma peine ait été plus longue. La faute aux humains et aux elfes, j'imagine. Un envoûtement ou deux sur mon tombeau, cela aurait été vraiment prévisible, de votre part.

- Aucun sortilège n'a été jeté sur ta dernière demeure, ainsi que celle de tous ceux tombés lors de la bataille de Forgowel, railla le sorcier. Tu as reçu la bénédiction d'Orgomos, dieu des décès et des naissances, et du repos éternel.

- Je me contrefiche de ces croyances stupides, rugit la morte-vivante en faisant cogner son épée contre le sol avec vigueur.

- La Ma'drona d'hier n'aurait pas été aussi négligente.

La reine déchue s'arrêta d'avancer, ses yeux de feux verts perdus dans le vague.

- La reine que les anciens connaissaient de leurs anciens n'existe plus, désormais, gronda-t-elle. Aujourd'hui, je suis ramenée à la vie, je suis une Navesdzinin assoiffée de vengeance contre les hommes et les elfes, ingrates créatures, qui m'ont condamnée pour toujours. Tu mens, perfide, une malédiction a été jetée sur tous les tombeaux, transformant les cadavres en Navesdzinins.

- J'ignorais l'existence d'une telle malédiction ! affirma le sorcier, prit au dépourvu.

- Evidemment, siffla Ma'drona. Mais toi, tu n'es pas venu pour me délivrer, j'imagine ?

Le sorcier en robe grise scruta la pièce. A part l'échelle d'où venait, il n'y avait aucune autre issue de secours. Si la reine Navdzi perdait la tête, il n'aurait nul part d'autre où fuir. Il choisit de lui répondre, et sans mentir, car une légende dit que les Navesdzinins avaient le don de savoir si notre parole était sincère ou trompeuse.

- Je suis à la recherche d'un livre, déclara-t-il. Le livre de Dumnondis le Foudroyant.

- Le livre de Dum' ? grogna Ma'drona. En effet, il est ici, et sur cette table, devant moi, vois-tu ? Il fait partie de ma famille, ou plutôt de son héritage, et tu comptais le dérober pendant mon repos ? Les humains iront vraiment jusqu'au bout des possibilités pour parvenir à leurs fins.

- Si vous me l'accordez, alors je vous laisserais en paix, promit le sorcier barbu en avançant d'un pas. Je vous le jure, sur la couronne des Damagons.

- Et pourquoi aurais-tu besoin de ce cher ouvrage ?

- Pour mettre fin à la tyrannie des dragons, par-dessus tous les autres dessins ! s'exclama-t-il. Ignorez-vous combien d'elfes et d'humains, mais aussi de toutes autres créatures vivantes meurent chaque jour sous les flammes des lézards ?

- Je ne suis pas d'accord, crissa la Navdzi. Les dragons sont mes protecteurs assurés, et je leur octroie une place dans le monde, comme tous. Connais-tu le draconis, très cher sorcier ?

- Le langage des dragons, répondit assurément l'autre.

- Et des Navesdzinins, gronda la reine en faisant valser son épée dans les airs. La première langue du monde. Tuer les dragons serait un crime au-dessus des autres.

- Mais des gens meurent, là-haut ! hurla le barbu en pointant le plafond du doigt. Ils ont besoin du secours que peut apporter le livre de Dumnondis le Foudroyant !

- Non ! cria Ma'drona à son tour. Les Navesdzinins ont attendu trop longtemps. Levez-vous, mes frères, mes sœurs, mes fils et filles, levez-vous, sortez de vos tombes, sortez de vos ombres, et répandez chaos et terreur sur le monde du dessus !

Paniqué, le sorcier regarda les tombes alentours s'ouvrir, et des Navdzi en sortir, coiffés de casques rouillés ou d'armures sales. Des paquets d'os et de chair pourrie, marchant comme une horde de zombie, regagnant peu à peu les couloirs de la crypte.

- Non ! s'écria l'humain.

- Tu es pathétique, railla la reine déchue. Tu vas mourir, pour s'être introduit dans ma demeure, et tu vas rejoindre mes rangs. Un sorcier Navesdzinin nous serait très utile.

Elle poussa un cri rauque en draconis qui fit trembler les murs de la crypte, leva son épée, prête à frapper le sorcier de toutes ses forces. Mais l'homme esquiva, et fit naître une flamme dans sa main, qu'il jeta sur le paquet de chair putréfiée. Le bras gauche de Ma'drona prit feu, mais la morte-vivante l'ignora, et courut pour porter un nouveau coup au mage.

Le sorcier saisit le livre de Dumnondis, qu'il fourra dans son sac de peaux, et courut se mettre à l'abris derrière une colonne.

- Portan instantanis foresta Iuni ! cria-t-il, sous les yeux horrifiés de la Navdzi.

Une seconde plus tard, il était de retour dans la forêt. Le calme était assourdissant, après les hurlements des morts, dans le tombeau de Ma'drona. Il reprit son souffle, regarda autour de lui, mais il était seul.

Il entendit tout à coup une vibration. Comme... des pas. Une marche désordonnée, presque macabre, une marche de guerre.

- Non...souffla le sorcier.

Il s'enfuit à travers les bois, ignorant les épines de ronces qui déchiraient sa robe de mage, ignorant les cris indignés des chouettes en chasse. Il dévala la colline, sortit de la forêt, traversa la lande en courant, pour regagner la ville.

L'invasion avait commencé.

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