Le Mont des Oliviers

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Maria fut réveillée par une main douce posée sur son épaule. Ses yeux se posèrent sur une femme aux cheveux grisés et au visage tendre. Celle-ci l’aida à se lever et lui proposa des vêtements plus confortables.

« Qui êtes-vous ? demanda la jeune femme, à moitié endormie.

- Je suis Eva, répondit-elle. J’ai été nommée pour vous assister pendant votre séjour dans le palais.

- Oh— mais je n’ai pas besoin de servante, rétorqua Maria, surprise. Je suis sûre de pouvoir me débrouiller seule.

- Je n’en doute pas, ma dame, mais sa Majesté insiste pour que vous soyez le plus à l’aise possible. »

La romaine revêtit la robe bleue qu’Eva avait déposée sur le lit puis le foulard blanc qu’elle lui tendait. La servante grimaça en apercevant l’état des cheveux de la fille ; elle délia sa natte puis la fit à nouveau en prenant soin de la soigner. Elle y glissa un ruban, pratique commune des femmes de la Cour.

« Le roi voudrait que vous l’accompagniez au Mont des Oliviers, reprit doucement Eva. Je vous ai préparé des vêtements plus amples pour que le voyage en cheval soit plus agréable.

- Le Mont des Oliviers ? Avec le roi ?

- C’est un lieu magnifique que chaque résident de Jérusalem se doit de visiter. De plus, vous êtes une invitée d’honneur. Il va de soi que votre hôte souhaite vous rencontrer de temps à autres. »

Maria sortit de ses appartements suivie de la femme plus âgée. Cette dernière lui montra le chemin d’un petit jardin dissimulé. Elles traversèrent ensemble les allées de roses que les jardiniers du palais s’affairaient à perfectionner avec finesse. La romaine s’émerveilla de la splendeur des lieux : des murs de mosaïques au sable fin sur lequel elle marchait, tout semblait être issu d’un rêve. Elle se souvint de ce que l’on disait de Jérusalem et de la version qu’Aegyptus lui avait donnée. Elle ne pouvait s’empêcher d’alimenter dans son coeur les légendes démesurées sur la ville d’or tant elle en était époustouflée.

Eva l’emmena hors du jardin vers des remparts. Les pierres qui les composaient semblaient faites de sable. Maria put admirer la ville que tout le monde voulait voir au moins une fois dans sa vie ; elle était vivante, ses habitants s’attelant à leurs tâches respectives, les marchés bougeant au gré du flux des passants, des bêtes, du chameau à la simple chèvre, traversant les allées étroites à la suite de leurs maîtres ou poursuivis par des chiens de troupeau. Les habitations, de tailles variées, offraient un détail et une diversité à la cité, s’adaptant à chaque citoyen et chaque famille ; des fenêtres pendaient vêtements ou pots et des murs, de mosaïques ou de pierre dure, des tapisseries multicolores.

« C’est le beau quartier de la ville, intervint Eva en s’apercevant de la distraction de la jeune fille. Si tout le monde dit que Jérusalem est magnifique, c’est parce-que leurs pèlerinages ne les emmènent pas du côté des pauvres. »

Maria remercia intérieurement la servante d’avoir détruit son beau rêve et se remit à la suivre le long des remparts. Lorsqu’enfin elles en descendirent, un cheval l’attendait devant une des nombreuses portes de la cité. Celle-ci était mineure et peu fréquentée par les nobles, bien plus petite. Un garde qui attendait aida la jeune femme à monter sur la monture baie. Quelques instants plus tard, une jument grise apparut et sur son dos, Baudouin en vêtements modestes.

« Pardonnez-moi. J’espère ne pas vous avoir fait attendre. » s’excusa t-il.

Il fit un signe au garde et celui-ci enfourcha son propre cheval. Le roi se remit en marche, suivi par la jeune fille, et ils traversèrent la porte. Eva, quant à elle, s’assit sur un banc en attendant le retour de sa nouvelle maîtresse.

« Nous venons d’arriver, reprit-il, mais je pense qu’il est nécéssaire que vous fassiez plus ample connaissance avec la ville.

- Oui, monseigneur, il va de soi.

- Vous n’avez pas à être aussi polie. Il n’y a que nous deux. »

Baudouin jeta un oeil derrière lui.

« Enfin, il y a aussi un de mes hommes, souria t-il. Jérusalem est infestée de malfrats depuis quelques temps, mais j’en fais mon affaire. »

Ils déambulèrent le long d’une route sableuse pendant une vingtaine de minutes. En se retournant, Maria constata que le palais n’était pas aussi haut qu’elle l’avait imaginé, bien qu’il surplombait les fortifications. Elle se réjouit en apercevant de la végétation sur le chemin. Bien que très différente, elle lui rappelait celle de Chypre où elle se plaisait à se cacher, enfant.

« C’est ici que le Christ a rejoint les Cieux. » fit remarquer le garçon en montrant la colline de la main.

Bien qu’élevée dans un monastère, Maria ne croyait pas vraiment aux histoires que l’on racontait sur les prophètes. Elle était convaincue de leur existence, bien sûr, mais pensait que leur vie avait été embellie et rendue spectaculaire —au limite du ridicule— par les prédicateurs de la foi. Elle se prêta cependant au jeu et hocha la tête en souriant.

Baudouin continua de lui montrer l’étendue de ses connaissances jusqu’à leur arrivée à l’entrée d’une abbaye. Il se tut et pour la première fois depuis un long moment Maria put s’entendre penser. Lorsqu’il se remit à parler, elle leva discrètement les yeux au ciel.

« Et voici la tombe de la Vierge.

- En effet, fit-elle.

- Elle a été ravagée par les musulmans mais reconstruite par mes pairs. »

Elle ne répondit pas, les yeux rivés sur l'édifice de pierre blanche et le dos tourné à son interlocuteur.

« Je vous ennuie, Maria ? » demanda t-il sur un ton inquiet.

Elle lui fit face, l’air embarrassé.

« Je me demandais simplement ce que vous attendiez de moi, sire, avoua t-elle. Je ne vois pas comment la compagnie d’une romaine sans fortune ni grande éducation puisse vous apporter satisfaction.

- Ce ne sont pas des temps faciles pour vous, poursuivit-il gravement. Je pensais que cela vous ferait plaisir de visiter ce lieu pour vous changer les esprits. De plus, Chypre est une île qui, me dit-on, est recouverte de forêts. Le Mont des Oliviers a quelques arbres... voyez-vous où je veux en venir ? »

Elle ne put s’empêcher de pouffer.

« Et je vous fais rire ? s’indigna t-il.

- Non, non. C’est très gentil de votre part. Je vois ce que vous avez essayé de faire. J’apprécie votre geste. Je ne pense pas que j’aurais été aussi bienveillante avec la nièce d’un traître.

- Vous n’avez eu d’autre choix que de le suivre. Je ne peux pas vous punir pour ses méfaits. »

Le garçon talonna sa monture et s’engouffra dans un petit sentier caché par quelques broussailles. Elle le suivit, bien qu’hésitante. L’étroit chemin montait de façon très raide. Maria eut du mal à se tenir à sa selle. Des feuilles et des branches lui attaquaient le visage, si bien qu’elle se mit à croire que Baudouin faisait exprès de se coller le plus possible aux arbres. Ses doutes se confirmèrent lorsqu’elle l’entendit glousser. Enfin, ils émergèrent du sentier et retrouvèrent le calme et la sécurité d’une étendue d’herbe et de sable. Maria s’aperçut de la hauteur à laquelle ils se trouvaient quand elle vit Jérusalem, bien plus bas, et le tombeau de la Vierge, au loin et minuscule.

Baudouin s’arrêta pour contempler la vue. La romaine en profita pour l’observer un moment. Ses cheveux mi-longs bouclés étaient de la couleur du sable et du soleil ; avec le vent, ils cachaient par moments son visage rond et ses grands yeux bleus. Son nez était grand et aquilin ; il lui rappelaient ceux des nombreuses statues antiques qui décoraient les grandes places de Constantinople. Elle remarqua sur son visage de petites lésions sur lesquelles elle ne put s’empêcher de s’attarder. En baissant les yeux, elle se rendit compte que sa main droite était gantée et pendait le long de son corps, inanimée, alors qu’elle l’avait vu tenir une épée au Mont Gisardus.

« Êtes-vous blessé ? demanda t-elle en faisant un signe de tête vers l’objet de son attention.

- Blessé ? Oh, non. Je ne peux pas bouger cette main là.

- Comment est-ce possible ? Vous vous êtes bien battu avec cette main.

- L’épée y était attachée avec des bandages. Je peux lever le bras, c’est tout. »

Curieuse, elle saisit doucement le gant et l’attira vers elle, désireuse de l’examiner de plus près. Le garde, resté à l’arrière, ne put s’empêcher de faire avancer sa monture en leur direction dans l’espoir d’intervenir. Un geste discret du roi le maintint à sa place. Baudouin la laissa faire, amusé.

« Un stratagème efficace, commenta t-elle sans lever les yeux. Est-ce guérissable ?

- Non, j’en ai peur. »

Lorsque Maria tenta d’ôter le gant pour poursuivre son enquête, le garçon ramena subitement le bras vers lui. Elle sursauta.

« Vous ne devriez pas me toucher directement, lança t-il, les sourcils froncés.

- Pardon, je ne voulais pas vous offenser…

- Je ne veux contaminer personne. »

La mine enfantine du roi s’assombrit soudainement. Il talonna sa monture et s’éloigna du bord de la colline sans un mot. Maria s’empressa de le suivre pour s’excuser.

« Je ne voulais pas—

- Ce n’est rien. Personne ne peut rien faire.

- Je suis sûr qu’un médecin expérimenté pourrait trouver un remède à vos maux, insista t-elle.

- Comment pouvez-vous ne pas savoir ? fit-il d'un ton surpris. Le monde entier est au courant de mon cas. J’imagine que votre oncle a dû employer cette raison pour haïr mon peuple davantage.

- Je ne comprends pas.

- Je suis un lépreux, Maria. Je ne peux guérir. Je vais mourir jeune, et mon royaume en est affaibli. »

La jeune femme resta muette. Ses yeux dorés n’osèrent plus croiser son regard. Elle se souvint des malades qu'elle avait cotoyés à Constantinople lorsque ses rues furent infestées. Il lui semblait avoir déjà vu quelques lépreux : même à seize ans, voir leur visage décharné et leurs membres tordus l'avait gardée éveillée la nuit.

« Allons, allons, reprit-il plus joyeusement. C’est la volonté de Dieu, et c’est ce que je suis. Je dois aimer cette vie, puisque c’est celle qui m’a été offerte.

- Oui. » balbutia t-elle.

Défiguré, défiguré !

Baudouin et Maria continuèrent leur promenade sur le Mont des Oliviers. Ce premier se permit de glisser quelques informations supplémentaires sur l’histoire du lieu et cette fois, elle l’écouta. La bravoure et la gentillesse du garçon l’avaient adoucie. Elle s’était prise d’intérêt pour lui. Sur le chemin du retour, alors que le ciel s’assombrissait, il changea de ton pour un sujet plus grave.

« Je veux que vous sachiez que je ne prends aucun plaisir aux exécutions. J’aimerais alléger la peine de votre oncle si cela pouvait atténuer votre souffrance, mais ma morale me l’interdit.

- Je comprends. Tout mon amour lui est dédié, mais je ne peux pas oublier ce que j’ai vu à Lydda. La haine a envahi son coeur.

- La haine motive les hommes aux pires méfaits.

- C’était— les hommes, femmes, enfants… noircis, maigres… tous morts. Je n’arrive toujours pas à imaginer de quelle façon il a pris leur vie. »

L’image des fantassins égyptiens brûlant devant elle lui revint à l’esprit. Elle frémit.

« Non. Je me plais à imaginer que le chevalier Leufroy a exagéré ses propos pour mieux dormir la nuit, ajouta t-il.

- Je vous remercie de votre générosité. Vous auriez pu l’abattre sur le champ de bataille.

- Je ne peux pas me résoudre à tuer un homme en face de sa fille.

- Je suis sa nièce, le corrigea t-elle.

- Vous avez les mêmes yeux. C’est bien surprenant. »

Cette remarque la laissa bouche bée. Il avait raison.

« Je rendrai son jugement demain. Vous n’êtes pas obligée d’y assister. »

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