Désirs en crue
Une autre signature, un autre rapport. Élisa jeta un regard désespéré à la pile de papiers qui s’élevait dans le coin de son bureau. Ça n’en finissait pas…
Cela faisait quelques mois qu’elle s’occupait tant bien que mal des affaires de la famille, sans avoir été préparée pour ça. Tout était arrivé si soudainement !
Elle regrettait l’insouciance de son existence avant l’accident de ses parents. Du jour au lendemain, peu avant son vingt-cinquième anniversaire, elle s’était retrouvée à la tête d’une famille de la haute noblesse. Une responsabilité écrasante dont elle ne parvenait pas à s’accommoder, sans personne sur qui se décharger. Elle avait l’impression de ne prendre que des mauvaises décisions, mais elle n'arrivait pas à voir les erreurs qu’elle aurait pu faire.
Elle prit le papier suivant sur la pile, mais les chiffres des comptes se brouillaient devant ses yeux, elle n’arrivait pas à empêcher ses pensées de divaguer. Excédée, elle laissa tomber sa plume et consulta sa montre. Il n’allait pas tarder à arriver. Perdue dans ses rêveries, la jeune femme sursauta en entendant toquer à la porte.
« Entrez ! », répondit-elle en attrapant avec précipitation un papier au hasard.
La porte s’ouvrit pour laisser entrer son majordome, une liasse de lettres à la main. Élisa aimait bien Armand. Il avait le don de la rassurer, tout paraissait plus simple avec lui. Il émanait de lui une présence puissante et discrète qui emplissait la salle sans même qu’on s’en rende compte, qui la mettait tout de suite en confiance. Et puis, il était bel homme… Elle ne pouvait s’empêcher de le remarquer chaque fois qu’elle le voyait. Un visage doux et franc encadré par une barbe soigneusement taillée, des épaules larges qui remplissait bien son costume. Mais c’était ses yeux qui faisaient chavirer Élisa. Des yeux d’un bleu profond, chaleureux, avec une pointe de mystère et…
« Tout se passe bien, mademoiselle ? »
Armand se sentait mal pour la jeune femme, assise bien sagement derrière son bureau, cernée par une montagne de documents qui menaçait de l’engloutir. La pièce était lumineuse, avec de grandes fenêtres qui illuminaient les meubles en bois exotiques, pourtant il la voyait s’étioler jour après jour comme une plante privée de soleil. Ce n’était pas une vie pour elle ! Il l’avait toujours connu si vivante depuis qu’il travaillait au château. Il se souvenait qu’elle chantait souvent quand elle était seule, et qu’il s’arrêtait parfois pour écouter les échos de sa voix. Il ne l’avait plus entendue depuis qu’elle avait repris les affaires de la famille. Non pas que la disparition de ses parents l'ait beaucoup affectée. Distants, trop occupés pour consacrer du temps à leur fille, ils étaient presque des étrangers pour elle. Non, Armand voyait bien que le rôle qu’elle devait endosser n’était pas fait pour elle. Élisa était une artiste née, une âme créative, enjouée, en perpétuelle réinvention d'elle-même et de son univers. La cloîtrer derrière un bureau, c’était lui couper les ailes, la tuer à petit feu.
« Oui, ça avance... » répondit-elle sans conviction.
Elle avait levé les yeux vers lui dès qu’il était entré, avec un regard plein d’espoir qui le suppliait de la sortir de là. Ses longs cheveux d’un noir de jais tombaient en cascade sur ses épaules, moirés de reflets par le soleil. Armand remarqua qu’elle tenait son papier à l’envers et réprima un sourire, malgré son inquiétude. Malheureusement, il n’était pas là pour la sauver aujourd’hui.
« Heureux de l’apprendre. J’ai des nouvelles importantes, vous avez reçu une missive de l’héritier de la famille Joalev.
- Encore ? Faites moi voir, je vous prie.
Armand lui tendit l’enveloppe. Elle brisa le sceau d’un geste méfiant et sortit la lettre, écrite à la main sur du beau papier parfumé, comme on attraperait un insecte venimeux. Le majordome vît les traits délicats de la jeune femme se couvrir d’un voile d’inquiétude, qui se transforma en panique à mesure qu’elle lisait.
« Il réitère sa demande en mariage ? Mais… Je lui ai dit que j’avais besoin de temps !
Armand sentit son cœur tomber comme une pierre dans sa poitrine en entendant ses craintes se confirmer. Il ne voulait pas la voir partir. Pas comme ça. Il voulait la voir heureuse, vivre une vie pleine de joies, de liberté et d’amour. Qu’elle ait l’espace pour être elle-même, créer, chanter, vivre… Déployer ses ailes et voler ! Ce mariage serait purement politique. Elle serait exposée comme un joli vase précieux, condamnée à porter les enfants d’un homme qu’elle n’aimait pas. Tous ses désirs, sa personnalité, enfermés comme un oiseau dans une cage. Une cage dorée, il ne doutait pas qu’elle aurait tout le luxe dont on puisse rêver, mais une cage quand même.
Cependant, Armand était contraint de jouer son rôle. Il avait fini par devenir une sorte de conseiller officieux pour les parents d’Élisa et la jeune femme s’appuyait toujours sur lui.
Il se força à prendre un ton neutre :
« Je sais que le deuil de vos parents vous demande du temps (c’était la raison qu’elle avait invoquée pour retarder l’échéance), mais un nouveau refus vous mettrait dans une situation compliquée. Les Joalev ont prêté beaucoup d’argent à votre famille au fil des années. Si l’alliance entre vos deux familles venait à se rompre, ils vous demanderaient de rembourser ces dettes alors que la famille est déjà dans une situation compliquée. »
Le regard désemparé que lui lança Élisa lui fit l’effet d’un coup de poignard. Il avait beau se répéter que c’était la seule solution, il ne parvenait pas à se défaire de l’impression de commettre une trahison. Et s’ils pouvaient faire autrement ? L’espace d’un instant, il se prit à envisager d’autres options. Avec le soutien de leurs alliés dans la noblesse mineure, peut-être que… Non, il ne pouvait pas s’autoriser à explorer cette piste. C’était beaucoup trop risqué. Même s’ils s’en sortaient, le statut de la famille serait terriblement diminué. Il détourna les yeux en reprenant la parole pour tâcher de la convaincre, n’osant pas croiser le regard de la jeune femme :
« Devenir l’épouse d’un homme aussi puissant n’est pas une mauvaise position, je suis sûr que vous finirez par vous y plaire.
- Mais je vais me retrouver seule, au milieu d’inconnus !
- Vous ne serez pas complètement seule. Vous avez déjà rencontré votre prétendant, il vous a rendu visite plusieurs fois.
- Ça ne me rassure pas. Il me met mal à l’aise, je n’aime pas la façon dont il me regarde.
- Vous apprendrez à le connaître avec le temps. Et puis, votre dame de compagnie viendra avec vous. Il me semble que vous êtes assez proches, voir un visage familier vous aidera à faire la transition.
- Mais vous, je ne vous verrais plus…
Élisa se mordit les lèvres, gênée d’avoir laissé échapper cette pensée à voix haute. Armand s’interrompit, coupé dans son argumentaire, ne sachant comment réagir à ce que venait de dire sa maîtresse. Elle se leva brusquement, renversant au passage une pile de papiers soigneusement triés. Prenant une inspiration pour dire quelque chose, elle se tint gauchement à côté de son bureau, évitant son regard, les mots refusant de sortir de sa bouche. Aucun des deux n’osait briser le silence étrange qui s’était installé. Au bout d’un instant qui leur parut une éternité, Élisa se mit à marcher vers lui d’un pas hésitant, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Son visage s’illuminait, baigné de lumière par le soleil printanier qui inondait la pièce. Elle était belle, pensa Armand. Quelque chose céda en lui. Il en avait assez d’être raisonnable, de jouer un rôle qui les faisait souffrir tous les deux. Il voulait juste la protéger, la rendre heureuse, devenir son chevalier blanc ! Au bout de quelques pas, la jeune femme s’effondra, juste à côté de lui. Il n’eut qu’à tendre les bras pour la rattraper. Elle n’était pas une bonne actrice. Son majordome se rendit tout de suite compte qu’elle jouait la comédie, mais il décida de jouer le jeu. Il la retint fermement contre lui, puis la souleva sans difficulté. Les yeux fermés, Élisa se laissa aller dans ses bras en toute confiance. Ses mains puissantes la soutenaient avec douceur et ce contact délicat provoquait en elle un torrent de sensations qui la transperçaient jusqu’au fond de son être avec une agréable chaleur. Armand la porta sans effort à travers la pièce puis, délicatement, comme si elle risquait de se briser au moindre choc, la posa sur le sofa. La jeune femme restait sur sa faim, elle avait encore envie de sentir ces mains si chaudes sur son corps. Il l’appela d’une voix inquiète, dévoué au bien-être de sa maîtresse :
« Mademoiselle, est-ce que vous m’entendez ?
- J’ai du mal à respirer... »
Obéissant à ses moindres désirs, il se pencha sur elle pour l’aider. « Si vous me permettez... » murmura-t-il. Elle émit un petit bruit d’assentiment, et son majordome défit les boutons de son chemisier.
« Est-ce que vous vous sentez mieux ? »
Élisa ouvrit les yeux et découvrit le beau visage d’Armand, si proche, ses yeux bleus rivés dans les siens. Elle avait envie de lui. Elle se releva légèrement pour déposer un rapide baiser sur ses lèvres. Bien trop rapide pour apaiser sa faim. Elle passa les mains dans son dos, tâtonnant fébrilement pour défaire l’accroche de son soutien-gorge. Elle y parvint au bout de quelques secondes de lutte, et la pièce de tissu noir glissa pour révéler sa poitrine.
« Ça va un peu mieux, oui !»
Le majordome sentit monter en lui le désir à la vue de sa maîtresse dénudée étendue sur le canapé, lascive. Ils restèrent durant quelques secondes à se regarder tendrement, tout proches, savourant leur attirance réciproque et la frustration que créaient ces quelques centimètres de distance.
« Ça doit être la chaleur, reprit-elle. Tu devrais enlever ta chemise aussi, on ne sait jamais...
- Tu as raison, il fait si chaud ! »
La jeune femme eut un sourire, amusée par leur petit jeu, pendant qu’Armand défaisait un à un les boutons de son vêtement. Élisa eut envie de le toucher, d’un coup. Un désir violent et irrépressible de sentir sa peau nue et ses muscles bien dessinés sous ses mains. Elle se remit debout, effleura timidement son torse, avant de s’enhardir. Tandis que ses mains caressaient son corps, éprouvant avec délice sa chaleur et sa fermeté, elle se colla à lui, pressant ses petits seins dressés contre sa peau. Leurs lèvres s’unirent dans un baiser sensuel et plein de promesses, alors qu’ils parcouraient et caressaient l’un l’autre leurs corps entremêlés. À travers le pantalon d’Armand, Élisa sentit son sexe durci par l’excitation contre sa jambe. Sa main descendit pour frotter doucement cette bosse qui l’émouvait tant. Submergée par le désir, ses lèvres s’entrouvrirent et leurs langues s’entremêlèrent avec passion, comme s’ils voulaient fusionner pour ne plus faire qu’un. La jeune femme était parcourue de délicieux frissons jusqu’au plus profond de son être, son corps souple accueillant avidement ce contact intime comme une plante assoiffée qui s’épanouit sous une pluie d’été. Armand la poussa gentiment vers le canapé et elle se vit tomber au ralenti, comme dans un rêve. Elle atterrit parmi les coussins bras et jambes écartés, retenant son souffle, languissante des caresses de son majordome.
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