Orphée aux enfers
Les yeux du souverain des enfers et de sa femme ne me quittaient pas. J'aurais pu défaillir à tout moment, m'écrouler sans aucune dignitié, mais après tout ce chemin... Mes pensées revenaient toujours à elle. Elle qui m'avait été volée. Il m'était inconcevable de repartir en la laissant ici. Alors, avec le don qui m'avait été fait, je pris une grande inspiration, et parlai ainsi :
-Eurydice, c'est à ce nom que je frémis.
Toujours, tout me ramène à elle.
Sa grande douceur, toute sa vie
Toujours, elle fut la plus belle.
Eurydice, c'est la douceur d'un matin
Quand Hélios se lève et dévale
La pente du Ciel avec son char d'airain
Découvrant un monde qui part en cavale
Eurydice, c'est la caresse d'une mère
A son enfant. Douce, tendre et agréable
Elle éteint la flamme de la colère
Pour laisser place à la joie inespérable
Eurydice, c'est le ruisseau qui coule
Abreuvant champs, forêts et fleurs.
Il s'en échappe un doux son qui roucoule
A vous tirer des larmes de pleurs
Eurydice, c'est le rire d'une mignonne
Qui s'esclaffe à en rougir jusqu'au front
D'un naturel qui vous étonne
Et qui une fois fini nous désirerons
Eurydice, c'est l'odeur des fleurs en été
Qui de leurs bourgeons enfin sont sorties
Qui vous ennivrent, qui vous laisse hébété
De son charme dont on se languit
Eurydice, c'est à ce nom que je frémis
Toi ma bien-aimée qui me fut ravie
Toi ma douce, mon étoile, mon amie
Eurydice, c'est à Ton nom que je frémis.
Ma voix avait été claire et mon coeur ouvert. Je sus que j'avais attiré l'attention du couple royal car Perséphone leva la main, arrêtant les soldats cadavériques qui avaient voulu s'emparer de moi, si mon chant ne les avait pas calmé. De son autre main elle m'encouragea à continuer. Ils savaient pourquoi j'étais ici, j'en étais certain, mais ils voulaient l'entendre. Ils voulaient mon coeur à nu et ma détresse aux aboies. Alors je leur offris.
-C'est dans l'amour perdu que l'on trouve le sens des mots.
Et que du haut de son trône céleste, que Zeus m'en soit témoin
Jamais on a vu, et jamais on ne verra plus un amour comme le mien.
Qu'Eros s'instruise de mon exemple, qu'Aphrodite prenne des notes,
Je ferais affront à tous les dieux si Eurydice me le demandait
Je volerais la pierre de Sisyphe, je donnerais du pain à Tantale
Je retirerais Ixion de sa roue, si Eurydice me le demandait
Je brûlerais Troie, et son cheval, j'arracherais son miroir à Narcisse
Je referais les douze travaux d'Héraclès, si Eurydice me le demandait.
Mais Eurydice n'est plus.
Comme Perséphone fut arrachée à Déméter par amour,
Je viens à mon tour faire ma quête pour la chercher.
C'est par amour qu'Hadès l'a enlevé.
C'est par amour que je viens que je viens la récupérer.
Je renoncerai aux Champs Élysées pour la revoir.
Lui tenir la main dans le pré de l'Asphodèle pour l'éternité serait mon seul réconfort
Ô Eurydice entend ma complainte, c'est à toi que je m'adresse.
Mon coeur a cessé de battre au moment où tu t'es arrachée à ma vue.
Entends les forêts qui pleurent ton nom, les rivières qui crient pour te revoir
Regarde les étoiles qui s'éteignent car elles ne peuvent plus t'éclairer
Sens le parfum de ton absence dans le creux des fleurs
Touche le sol rugueux du désespoir qui m'afflige
Goûte le goût amer qui me reste de mon honneur perdu
Je t'offre mon chant d'espoir où je me meurs d'amour
Je t'offre la vue de ton amant qui vient ici te chercher
Je t'offre ma vie vide de sens de t'avoir perdu
Et pour finir, je jure sur le Styx que jamais plus on ne m'entendra chanter
Tant qu'Eurydice je n'aurais pas retrouvé !
Ainsi cloturai-je ma plaidorie. Le couple divin étaient rivés sur moi. Je crû même percevoir une larme dans les yeux d'Hadès, mais au fond de moi je savais que leurs coeurs pleuraient bien plus qu'ils ne voudraient le montrer. Mon désespoir les avait touché, tout comme la main d'Eurydice à ce moment-là sur mon épaule. Les dieux avaient exaucé mon voeu. Eurydice était de retour et mon amour pour elle s'embrasa. Un amour tel qu'il ne me ferait qu'aller de l'avant, sans jamais regarder derrière. Vraiment ?
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