Vision Nocturne

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Un mot d'accueil, avant le cercueil. Son oeil tourne, il se retourne et convulse. On l'éviscère, de colère amère, de dégout, et de dépit. Mettre fin à sa vie, à sa litanie, à sa mélancolie. Trois compagnons, se retrouvent soudain, unis par l'envie de retrouver la nuit, et ses périls. Ils se précipitent tant et si vite, qu'en quelques minutes, ils quittent cet endroit méphitique.

Ne pouvant se résoudre à passer la nuit ici, il faut s'activer, et chercher si cela se peut, une autre travée, et braver les dangers entassés sous les arbres recroquevillés. Ils sont vaillants et ne veulent s'arrêter. On marche, on râle, on frappe. On souffle, on souffre, et s'avance la succinte procession, traversant sans grande ambition, vers un nouvel horizon.

Après que l'usure a repris ses droits, qu'on a sué, et sermoné le dératé qui a eu cette idée peu futée, on étoffe la discussion, vers de plus nobles aspirations. On s'approche à tatons des haut-fonds. Leur esquif est amaré. La navigation sera leur salvation. On s'installe, on saisit la barre. Le bateau part.


Peu à peu s'éloigne le récif aux infects monstres, au mal sans masque. Les ondes noires sous le ciel nocturne défilent sous la coque au bois léger. Dodelinant doucement d'arrière en avant, de babord à tribord, la frêle noix défile silencieusement sous les astres. On observe, on se dirige à leur lueur. Arpal s'est endormi, blasé, exténué. Seris le malicieux retire sa botte et la plonge dans l'eau froide. Il s'imagine sitôt l'expression enpourprée de son compagnon au pied mouillé. Il sourit à la lune. Lorcal rame tranquillement, inlassablement, soulevant en silence des volumes d'eau qu'il repousse vaillament. Il est l'énergie, la vie, l'envie, et il ne vit que pour voir un jour le paradis tant recherché. Il cherche à quoi se raccrocher, quels souvenirs garder. Il n'oubliera pas le sourire résigné de sa mère emportée. La Masse Noire a tout avalé. Sentence tendant ses nerfs. Pour ne pas se perdre, il est Lorcal, un homme fort et robuste, au buste fort, humiliant la mort à plusieurs reprises. Il rit haut et parle parfois à tort. Il déteste dormir dehors, et ne s'y résoud que forcé et contraint par le sort. Il observe les idioties de Serris. Il ne pense pas à ses bras s'affaiblissant, à ses souvenirs lancinants.

Serris est drôle, et étrange, mais très efficient. Il a fui la Masse Noire au dernier moment, taloné, cherchant encore son aimée, n'osant y croire. Partir explorer a-t-elle dit. Partir échouer avait-t-il crié. Elle l'avait précédé. Il pensait qu'elle reviendrait. Que rien ne serait vrai. Une histoire pour effrayer les crédules. Lui avait la présence d'esprit du philosophe, du sage ; la logique et la planification du tacticien ; la dextérité et la discrétion de l'assassin. Le monde, son monde, ne pouvait s'effondrer. Mais il s'effondra. Esseulé, fondant en larmes, il avait attendu l'ultime seconde avant de s'arracher aux griffes de la mort. Pulsion de vie vivifiant ses muscles, il s'était volatilisé hors des mains sombres et griffues, hors de la mort, de l'ombre et de ce qui est perdu. Il avait couru, comme il savait le faire. Pris un bateau, ramé de sa force relative. Un homme sous les eaux. La Masse Noire approchait. Il avait attrapé le corps inanimé d'Arpal, cerné, presque suicidé. Revenu en conscience, ce dernier l'avait insulté, s'était énervé, avait pleuré.

Arpal dans son sommeil ne rêvait à rien. Les rares pensées ruisselaient et roulaient dans le noir. Rire était une histoire d'avant. Sourire, un arrachement. Parler était ridicule. Vivre était risible. Il n'avait rien raconté. Saurait-on jamais pourquoi le néant l'habitait ? Il n'avait que répondu brièvement. Non, pas de femme perdue. Non, pas d'enfant avalé. Non, de famille à pleurer. Non, pas de foyer regretté. Pas d'espoir, pas d'envie, pas de croyance en ce voyage. Il se disait lucide. D'aucuns diraient acide. Il semblait avoir lui même assassiné son espérance. Le temps en dirait peut-être plus.


Trois compagnons naviguant silencieusement sous la lune d'argent. Trois destins incertains, un chemin vers le lointain.


Soudain plus loin, la masse de l'océan s'élève. Les eaux se déversent sur un corps puissant. Beaucoup trop grand. La coquille vascille, on s'arme, on observe, l'oeil ahuri. Est-ce le début, ou la fin de nos ennuis ?

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