Chapitre 5 : La lampe

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Alors que les deux hommes quittent Rennes, Anthony lui fait le récit de son entrevue avec son père. À sa façon plus chaleureuse d’évoquer Erwann, Richard comprend qu’une fois de plus, l’aura de son meilleur ami a fait des merveilles. Il ne s’en étonne pas. Même défiguré par son imposante cicatrice, qui lui traverse la joue du coin de l’œil interne jusqu’à la mâchoire, son charisme agit. Erwann séduit comme il respire, sans effort, naturellement. L’homme n’a jamais rencontré de difficulté pour charmer son entourage, homme ou femme, petits ou grands. Son physique de dieu grec l’y aide, mais c’est au-delà : il émane de lui quelque chose d’attractif, d’irrésistible. Peu de gens y échappent et ce, malgré le fait qu’il soit derrière les barreaux. Et son fils, avec ses yeux noisette identiques et son regard ténébreux, dégage la même intensité.

Au volant de son Audi, Richard sourit en écoutant Anthony raconter sa visite d’une voix plus enjouée qu’à l’aller. Ce dernier lui fait part des quelques anecdotes que son père lui a confiées. Il évoque son codétenu, Amir, un jeune trentenaire tombé pour braquage, avec lequel le détenu s’entend bien depuis le début de son incarcération. Erwann en a loué l’humour et la gentillesse. Richard sait le rôle primordial qu’a joué Amir auprès de son ami. Si celui-ci remonte la pente au quotidien, après une période très difficile à son arrivée en prison, c’est en partie lié au fait qu’ils partagent désormais la même cellule.

Tandis que richard trace sur la nationale, Anthony est intarissable au sujet de son paternel.

— Cette fois, il ne m’a rien demandé sur ma vie privée, ajoute-t-il, satisfait. Il a dû sentir que je n’avais pas envie de m’étendre dessus, alors il m’a surtout parlé de lui.

— C’est un mec respectueux. Il a toujours été très correct avec ta sœur. Ce n’est pas parce qu’il désapprouve quelque chose qu’il va s’y opposer. Au contraire, il fait avec, même si cela ne lui plaît pas. Je l’ai vu supporter beaucoup de choses durant son mariage et même s’il était malheureux, il n’a jamais envisagé de quitter sa femme. C’est un homme d’engagement.

— Sauf avec ma mère.

L’habituel ton de reproche refait surface. Richard tique. L’histoire est vieille comme Hérode et Erwann n’avait que vingt-deux ans à ce moment-là. Ce dernier avait été pris en flagrant délit d’adultère, sous le toit qu’il partageait avec Solvène, celle qui allait devenir la mère d’Anthony. Lorsqu’Erwann l’avait quittée, elle était déjà enceinte mais il n’en avait jamais rien su. L’enfant avait été élevé par un autre, avant de se faire connaître récemment auprès de son vrai père.

— Il était très jeune et immature à l’époque. Que celui qui n’a jamais merdé à cet âge-là lui jette la première pierre... Et puis, c’est différent. Même s’ils étaient en couple depuis deux ans, Solvène et Erwann n’étaient pas mariés.

— C’était une raison pour la tromper ?

— Non, évidemment, ce n’est pas ce que je dis, reconnait Richard pour calmer le jeu. Je n’étais pas dans leur couple mais quand il y a un problème, c’est toujours cinquante cinquante, tu sais. Je n’ai jamais vraiment su ce qui s’est passé entre eux, en dehors du fait qu’Erwann est tombé fou amoureux d’Alice dès qu’il l’a rencontrée. Un coup de foudre, ça ne prévient pas. Ça ne se contrôle pas non plus.

Le regard de Richard quitte brièvement la route pour venir se planter dans celui de son passager. Les deux hommes se dévisagent. Anthony opine lentement du chef, silencieux, se retenant d’ajouter que tous les deux en savent quelque chose. Il sait qu’il n’a pas besoin de prononcer les mots car l’expression de Richard traduit la même pensée.

Le passager repose sa tête sur le siège tandis que le conducteur, de nouveau concentré sur la route, allume machinalement la radio. Bercé par la musique douce et le moteur ronronnant du véhicule, les yeux du jeune homme commencent à papillonner. Il lutte un peu mais n’y parvient pas, baillant sans cesse, la bouche cachée derrière sa main. Son visage juvénile affiche des traits tirés et Richard l’encourage à se reposer le temps du retour. Il sait le gamin exténué par ses études prenantes et ce genre de rencontre avec son père génère un stress émotionnel éreintant. Du coin de l’œil, Richard l’observe se détendre et s’enfoncer dans le siège. Après quelques minutes, sa tête se met à dodeliner avant d’aller s’écraser contre la tôle de la carcasse d’acier.

Richard sourit. C’est un gamin de dix-huit ans. Mais putain, qu’est-ce qu’il lui plaît.

Deux heures plus tard, le bruit du frein à main tiré d’un coup sec extirpe violemment Anthony de son somme, le faisant sursauter.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te réveiller ainsi.

La tête dans le coaltar, le passager se tourne vers le conducteur et répond tout bas :

— Ah oui ? Comment l’aurais-tu fait alors ?

Le quadragénaire ne dit rien mais la commissure de ses lèvres ne peut s’empêcher de remonter.

Toujours aussi rentre-dedans celui-là.

— Viens à l’intérieur, une douche brûlante et un repas chaud t’attendent.

Et plus si affinité....

Richard, le ventre bouillonnant de désir, s’attend à ce que le jeune homme lui saute dessus à peine passée la porte d’entrée. Mais il n’en est rien. Anthony, qui commence à connaître les lieux, se déchausse et se dirige vers la chambre d’ami, armé de son gros sac à dos. Une fois entré dans la pièce, il l’ouvre et en sort une boîte rectangulaire. Richard le suit d’un pas discret et s’arrête dans le couloir, aux aguets. Il tend le cou vers la porte entrebâillée pour regarder ce qui s’y passe. Les bras croisés sur le torse, il observe Anthony défaire le carton. La curiosité le pousse à s’approcher pour découvrir ce que cache l’emballage en polystyrène.

— Qu’est-ce que tu as ramené ?

— Une lampe.

Éclats de rires sonores et simultanés. L’ancienne lampe de chevet de la chambre d’ami n’avait pas survécu aux retrouvailles passionnées entre Erwann et sa compagne. Quand Anthony avait vu le luminaire brisé en plusieurs morceaux, lors de son premier séjour ici, il en avait demandé la raison. Depuis, l’anecdote était devenue une private joke entre eux. La lampe symbolise à leurs yeux la puissance d’un désir torride, de celui qui balaie tout sur son passage.

Exactement comme celui qu’ils ressentent tous les deux.

Richard déglutit avec peine, conscient de la signification du geste et de la force de l’attraction qui les relie.

— C’est... c’est très sympa de ta part mais il ne fallait pas.

— Pour te remercier de ton accueil.

— Tu n’étais pas obligé. Je le fais avec plaisir, t’inquiète.

Anthony baisse le regard, une pause pour se donner du courage. Puis le relève pour fixer son hôte droit dans les yeux. De sa voix rauque, il déclare :

— Je sais, mais je n’aime pas faire l’amour dans le noir.

Le cœur de Richard rate un battement.

On y est.








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