Chapitre 28 : La repentie

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Ils arrivent aux abords de la Presqu’île de Crozon, le fief d’Erwann. Ce dernier sourit en revoyant les lieux qui lui sont familiers. Il a l’impression d’être parti depuis des années.

— Que penses-tu de deux femmes qui font l’amour ensemble ? demande Gwendoline à brûle-pourpoint.

Erwann s’esclaffe, décontenancé par cette question surgit de nul part. Il ne comprend pas. La seule personne qu’il connaisse et qui s’adonne à ce genre de pratiques est sa gamine et il n’a pas vraiment envie d’y songer. Ce qui est déjà trop tard car il se revoit cette fameuse après-midi de septembre lorsqu’il était rentré à l’improviste de son travail et que sa grande était en train de s’envoyer en l’air avec Clara, sa petite amie...

Beurk...

— Heu... tu parles de ma fille, j’imagine ?

Gwendoline rit devant son air gêné. Il a toujours l’air aussi mal à l’aise à l’idée que sa fille ait des relations sexuelles...

— Ah, non, pardon, effectivement, ça portait à confusion, rectifie-t-elle aussitôt pour dissiper l’incompréhension. Non, excuse-moi, je voulais dire, est-ce un fantasme, pour toi, deux femmes qui font l’amour ensemble ?

Il repense à présent à son audition avec l’inspecteur de police au début de son enquête, après sa nuit en garde à vue. Il grimace, se rappelant leurs propos échangés sous la pression de cet interrogatoire musclé. Lorsque le flic lui avait demandé quel genre de film porno il regardait, Erwann avait répondu qu’il lui arrivait de mater des vidéos de lesbiennes, les seuls qui pouvaient éventuellement le stimuler...

— C’en est un, reconnaît-il à demi-mots. Ce n’est pas le seul, mais c’en est un... Classique pour un homme, non ?

Il sait Gwendoline plutôt ouverte d’esprit, elle ne va pas lui en tenir rigueur, quand même ? D’autant plus que c’est elle qui amène le sujet sur le tapis... Que veut-elle ? L’exciter à nouveau ? À ce rythme-là, ils n’arriveront jamais à la villa avant le début des festivités...

— Je crois, répond-elle, mais peut-être fait-on erreur... Est-ce que cela resterait un fantasme si ton imaginaire était rattrapé par la réalité ?

Erwann, les yeux sur le volant, relève un sourcil, ne comprenant rien à la question. Sa compagne est plutôt franche d’ordinaire... D’où vient cette façon alambiquée de lui parler ? Pourquoi tourne-t-elle ainsi autour du pot ?

Oh wait... nan...

— Heu, je ne serais pas contre une discussion un peu plus... claire. Où veux-tu en venir, ma chérie ?

— J’ai parfois des relations avec une femme. Des relations sexuelles, j’entends.

— Sérieux ? s’étonne-t-il.

Ah bah je ne l’avais pas vu venir celle-là !

Décidément, il n’est pas au bout de ses surprises avec sa compagne aux multiples facettes. Y a-t-il des choses qu’elle n’a jamais testées, jamais vécues, qu’elle puisse encore être surprise à ses côtés ?

— Tu es bi ? reprend-il dans la foulée.

— Non. Non, vraiment pas. Je n’ai pas d’attirance pour les femmes en général, juste pour une en particulier.

Elle n’épilogue pas sur ses fantasmes à elle, ni sur sa façon de s’exciter en pensant aux femmes nues quand elle veut se caresser. Il ne faudrait pas l’embrouiller en plus de ça...

— Je ne parle pas de relation sentimentale avec cette femme, juste de... de ... tu vois, des fois, on fait l’amour ensemble, parce que, euh... juste parce que c’est bon et qu’on aime ça, mais il n’y a pas d’attentes derrière... c’est juste comme ça, en passant...

Erwann éclate de rire et demande :

— Manuella ?

Sa compagne émet un son guttural d’assentiment.

— Depuis longtemps ?

— De nombreuses années évidemment, avec beaucoup de périodes où il ne s’est rien passé... Mais... mais, en fait, ça s’est reproduit... récemment.

— Quand j’étais en taule ?

Il pose la question de manière factuelle, sans élever la voix, ce qui surprend Gwendoline. Elle s’attendait à ce que cette révélation le mette davantage à cran. Pour toute réponse, elle refait le même son de gorge qui, de toute évidence, est une traduction explicite d’une affirmation gênée. Puis lui explique que ce n’était pas arrivé depuis longtemps. Mais après leur soudaine et inespérée réconciliation, elles l’ont refait. Gwendoline affirme que, sur le coup, elle n’a pas pensé que ça pouvait s’apparenter à de la tromperie, mais maintenant que cela a eu lieu, elle réalise que ça en était une, d’une certaine manière.

— Je suis vraiment désolée... Vraiment, Erwann, je me sens super mal à présent.

— Eh bien, tu m’en parles, c’est déjà ça...

Ça vrai qu’à une époque Erwann et elle se sont cachés tellement de choses que cette sincérité est à porter à son crédit. La voix de son homme est toujours neutre mais sous son apparente indifférence, elle le sent tout de même un peu chafouin. Il a l'air d'essayer de mettre un couvercle sur son tempérament de feu ; la marmite serait-elle en train de bouillir ? Après leurs retrouvailles aussi chaudes que tendres, elle s’en veut d’aborder le sujet maintenant et de casser l’ambiance légère dans laquelle ils baignaient jusque-là. Mais il fallait qu’elle s’en ouvre à propos de ce qu’elle considère être une vraie trahison.

— Merde, je suis tellement désolée, je ne pensais pas que cela te ferait ça, je t’assure, je ne voulais pas te tromper... Pour moi, ça ne voulait rien dire, je te jure ! C’est juste une vieille habitude, mais si ça te pose problème, et de toute évidence, ça te pose un problème, je te promets que cela ne se reproduira plus.

— Ok...

Le ok qui ne vient rien dire et tout dire à la fois. Elle préfèrerait encore qu’il s’énerve et qu’il dise vraiment ce qu’il a sur le cœur. Le voyant rester hermétique, elle s’oblige à éclaircir les choses et ne pas laisser les non-dits s’immiscer encore entre eux.

— Erwann, tu m’en veux ?

— Non.

Après sa dernière manœuvre au volant, il repose la main sur sa cuisse d’où elle n’a pas bougé depuis leur départ de Rennes. À lui seul, ce geste prouve qu’il ne lui tient pas rigueur de ses récentes incartades mais elle préfère en avoir le cœur net.

— Mais je t’ai trompé. Ça craint, tu peux me le dire.

— C’est juste une erreur d’appréciation, Gwen... J’avoue, je ne m’attendais pas à cette révélation, surtout maintenant, car tu ne m’en as jamais parlé jusqu’à aujourd’hui... mais très honnêtement, je ne suis plus tellement en position de dire quoi que ce soit.

— Bien sûr que tu l’es ! s’offusque-t-elle. Tu ne vas pas tout accepter sous prétexte que tu es victime de fausses accusations.

— Non, je ne vais pas tout accepter... si tu m’avais dit que tu allais recommencer parce que tu aimais ça, je pense qu’au bout d’un moment, cela aurait pu me blesser. Parce que j’aurais l’impression de ne pas remplir mon rôle, de ne pas te satisfaire comme il se doit, d’être inutile, et mon égo de mâle l’aurait difficilement surmonté... mais tu viens de me dire que cela ne se reproduira plus, alors que veux-tu que je rajoute à ça ? Tu es ma femme, pas un objet qui m’appartient et dont je dispose à ma guise. Tu es libre d’agir comme tu le sens. Dans un couple, l’important est de savoir ce que l’on s’autorise à faire ou pas. Je ne t’interdis pas de recommencer, je te dis juste que cela pourrait, à terme, me faire du mal.

Peut-elle l’aimer davantage ? Comment fait-il pour toujours trouver les bons mots au bon moment ?

— Ce n’est pas ce que je veux, évidemment. Ça n’arrivera plus, Erwann, je te le promets. Et je m’excuse encore si cela t’a blessé.

Erwann se met à rire en secouant la tête, avant d’ajouter :

— Ah la la... sacrée Manuella, je comprends mieux d’où lui vient sa hargne envers moi ! Il va vraiment falloir qu’on lui trouve quelqu’un à celle-là !

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