Chapitre 38 : Coup de foudre

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— Je te jure, la cliente voulait ressembler à Melania Trump, mais elle était plus proche de Donatella Versace que de l’épouse refaite de l’autre con avec sa perruque en renard. Je lui ai dit que j’étais coiffeur, pas magicien. Elle l’a mal pris, je comprends vraiment pas pourquoi.

Manuella part d’un nouvel éclat de rire, succédant aux dizaines d’autres qu’elle a eus depuis que Richard lui fait le récit de savoureuses anecdotes vécues dans son salon de coiffure.

Tout en racontant ses blagues à son auditoire enthousiaste, il garde un œil sur Anthony, à quelques dizaines de mètres de lui. Celui-ci lui apparait noyé au milieu d’une marée humaine. Pourtant, il fait preuve de bonne volonté et tente maladroitement de discuter avec sa sœur et ses amis. Richard remarque avec plaisir que Manon-Tiphaine se montre plus avenante envers lui, comme si elle avait enfin pris conscience de leur lien de parenté. Néanmoins, le jeune homme semble toujours aussi mal à l’aise. L’entrevue qu’il a eue avec son amant, dans l’une des chambres d’ami, ne semble pas l’avoir beaucoup déridé. Richard a pourtant fait ce qu’il fallait pour le mettre bien... Pour preuve, le goût persistant de foutre qu’il a encore sur les lèvres...

— Allô, tu es là ?

Manuella le rappelle à l’ordre, ses grands yeux bleus le dévisageant, circonspects.

— Excuse ! Tu disais ?

— Je te demandais c’était qui, le gars-là, celui qui vient d’arriver, répète-t-elle en se penchant vers lui.

Il essaie de se concentrer sur la question tout en persistant à faire le guet sur son amant d’un seul œil. Il aura de la chance si, à la fin de cette soirée, il ne finit pas avec un strabisme divergent. Puis, réalisant que Manuella s’est interrompue et affiche désormais un air étrange, il se reprend et essaie de lui dédier toute son attention.

— Quoi ? demande Richard, largué.

— Pas quoi, qui ! Lui, là ! Le brun au crâne rasé.

Richard affiche une moue de dégoût à l’idée d’un tel massacre capillaire.

— Ben déjà s’il a le crâne rasé, ce n’est pas un de mes clients. Je ne fais pas les coupes militaires. Où ça ?

Manuella désigne d’un geste de la tête l’entrée ouest de la propriété, par laquelle l’inconnu vient de pénétrer dans son champ de vision. Richard suit le regard hypnotisé de son interlocutrice, curieux de savoir ce qui captive aussi soudainement cette dernière. Puis s’immobilise, les yeux écarquillés, comme s’il avait vu un fantôme.

— Putain de merde, qu’est-ce qu’il fout là, ce con ?

— Mais, c’est qui ? Dis-moi !

Devant l’air ahuri de son conteur de blagues, Manuella le tire par la manche pour qu’il lui réponde. Richard marmonne, presque sans voix :

— La pièce manquante de notre trio, à Erwann et moi.

— Hein ? Tu peux me la refaire en français ?

Mais Richard ne prend pas le temps de lui répondre et la plante là, sans demander son reste. Il se dirige tout droit vers le nouvel arrivant. En marchant vers lui, il constate qu’il n’a pas beaucoup changé depuis leur dernière rencontre, six mois auparavant, en dehors de sa nouvelle coupe de cheveux ratée et de son air de... de... qu’est-ce qu’il lui arrive, à ce crétin ? Il a bonne mine maintenant ? V’là autre chose !

— Qu’est-ce que tu fous là ? l’invective Richard lorsqu’il arrive à sa hauteur.

— Tu m’as invité.

— Jamais eu de réponse.

— Je pouvais pas, j’étais pas chez moi.

— Sans dec’ ! Tu crois qu’on s’en n’est pas rendu compte ? Ça fait des semaines qu’on te cherche !

— J’étais... occupé.

— Trop occupé pour répondre au tel ou envoyer un message ? Bah voyons !

— Là où j’étais, je n’avais pas de portable. Je suis sorti y’a deux jours.

— T’étais où ? En prison ?

Presque, pense son interlocuteur, qui se retient de le dire. Il a entendu parler des déboires d’Erwann récemment et suppose qu’il serait de mauvais goût d’y faire référence maintenant. Mieux vaut éluder le sujet et changer de conversation.

— On peut en parler dehors ? demande-t-il, la voix posée. Erwann est là ?

Richard et l’inconnu cherchent l’intéressé du regard et le trouvent, Gwendoline dans les bras, entouré de ses parents et d’Emma.

Gwendoline, Quentin, aïe...

Richard ne le sent pas. Sur les nerfs, il commente :

— Il est avec sa meuf, là-bas.

Les bras croisés sur le torse, il affiche un visage désapprobateur, persuadé que Quentin comprendra que ce n’est pas le bon moment pour venir le faire chier.

Parce que c’est bien ce qu’il est venu faire, non ?

— Je peux te demander un service ? poursuit le nouvel invité.

— Hum.

— Demande-lui si on peut se rejoindre dans un endroit privé tous les trois. J’ai à vous parler. Ne le presse pas. Laisse-le finir sa discussion tranquille, j’ai tout mon temps.

Richard lève les yeux au ciel. Ce ton cérémonieux et ces pincettes ne lui siéent guère. Ça sent la mauvaise nouvelle à plein nez. Si Quentin est venu pour plomber la fête qu’il s’est échiné à organiser, ça ne va pas du tout le faire. Néanmoins, le tatoueur apparaît calme, ce qui est bien la première fois depuis longtemps. Durant plusieurs mois, Richard a eu le sentiment de ne le voir qu’à cran et déglingué. Or, aujourd’hui, Quentin a l’air sobre. Qui plus est, Richard ne pense pas qu’il soit venu pour créer des problèmes. Alors, même s’il le fait à contrecœur, il accepte néanmoins de faire la commission.

— Attends-nous dans le patio, face à la piscine. Je vais le chercher.

Comme le patio contient les réserves du jardinier, il est fermé à clef et personne n’y a accès. Sauf son propriétaire, bien sûr, et son bras droit, Richard, en l’occurrence. En plus, l’endroit est éloigné. Quel con ! Il réalise qu’il n’y a même pas pensé quand il cherchait une cachette pour se mettre à l’abri des regards indiscrets avec Anthony...

Crétin !

Richard indique le lieu à Quentin, qui s’y dirige tranquillement, furetant entre les convives, déjà bien éméchés pour certains. Espérons qu’Erwann ne s’en rende pas compte, lui qui a menacé de couper les réserves d’alcool si les choses dégénéraient. Or, Richard sent qu’il va avoir besoin d’un petit remontant avant de participer à cette réunion d’anciens vétérans.

Il suit Quentin des yeux, avant de se remettre en branle, inépuisable. S’il avait su tous les tracas que lui causerait cette soirée, il aurait dit non à Manon !

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