Chapitre 45 : Sans armure

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Erwann passe son bras par-dessus l’épaule de Quentin pour l’emmener un peu à l’écart. Surpris par ce geste de camaraderie, ce dernier se laisse faire, heureux de retrouver leur complicité d’autrefois. Il ne savait pas à quoi s’attendre en revenant à la villa sans préavis, mais est ravi de constater que son ami d’enfance semble avoir tout oublier, y compris la sculpturale cicatrice qui lui défigure le visage et dont il est, pourtant, à l’origine. Cependant, s’il est vrai qu’elle l’a bien abîmé, Quentin trouve Erwann toujours aussi séduisant et ce n’est pas sa récente carrière de tombeur en série qui le fera mentir. Quentin n’a jamais compris ce qui avait pris à Erwann de sauter sur tout ce qui bougeait pendant quelques mois, étant donné qu’il avait pratiquement eu une vie de moine avant de rencontrer Gwendoline, mais après tout, chacun ses passages à vide...

Son hôte le mène vers le salon et attrape deux verres au passage, dont il s’assure auprès du serveur qu’il s’agit bien de cocktails sans alcool. Premièrement, parce que lui-même ne boit pas ; deuxièmement, car Quentin est alcoolique. Après avoir reniflé le contenu, il en tend un à son interlocuteur et prend une lampée de son verre, avant de se lancer :

— Tu restes dormir ici cette nuit ? Je sais que tu n’habites pas loin, mais cela me ferait plaisir de te savoir avec nous.

Quentin opine du chef. Erwann l’informe qu’il reste des pièces à squatter et qu’il peut le dépanner en fringues propres, s’il le veut, étant donné qu’ils ont une corpulence similaire. Il termine son petit laïus en déclarant que la personne qu’il veut lui présenter devrait lui plaire. Ces dernières paroles sont énoncées avec un clin d’œil, qui laisse peu de place au doute ou à l’imagination. Erwann fait allusion à une femme, il en mettrait sa main à couper. Quentin s’étonne que son meilleur ami joue les marieurs, lui qui est plutôt du genre à ne jamais se mêler de la vie privée des gens. Décidément, ce soir, il lui paraît méconnaissable.

Pris au jeu, Quentin lui demande à qui il pense et Erwann lui montre la direction de Gwendoline et de la personne qui l’accompagne, désignée comme l’amie d’enfance de cette dernière. Toutes deux plongées en grande discussion.

— Tu vois cette belle brune à côté de Gwen ?

Quentin hoche la tête, le regard éclairé d’une réelle attention. La femme est sublime. D’une taille supérieure à celle de Gwendoline, elle affiche un corps parfait, que dévoile une robe près du corps qui met en valeur sa silhouette gainée. Ses cheveux bruns sont maintenus en un chignon flou, d’où s’échappent quelques mèches venant encadrer un visage fin et parfaitement dessiné. À première vue, une bombe, donc.

— Cette belle brune s’appelle Manuella. Elle a quarante ans, pas d’enfants, un caractère à te faire regretter d’être né, mais comme tu peux le constater, elle est carrossée comme tu les aimes, airbags avant et arrière inclus. Mon seul problème, c’est qu’elle se tape ma femme dès que j’ai le dos tourné.

Entendant cela, Quentin recrache dans son verre la gorgée qu’il vient de prendre.

— Gwen est bi ?

— Nope. Sauf si Manuella est dans les parages. Là, apparemment, elles ne répondent plus de rien. Tu me connais, je ne peux pas interdire à ma femme de s’envoyer en l’air avec elle, ce n’est pas dans ma mentalité. Mais si Manuella avait un homme dans sa vie, elle serait peut-être moins encline à vouloir lui bouffer la chatte.

À ces mots, une fois encore, Quentin manque de s’étrangler.

Mais qu’as-tu fais de mon pote d’enfance ? semble-t-il demander secrètement à Erwann en le dévisageant d’un air ahuri.

Il ne reconnaît plus ce dernier. Jamais celui-ci n’avait tenu de tels propos. Est-ce la jalousie qui met ce langage fleuri dans sa bouche ? Quentin n’en sait rien, mais la situation l’amuse beaucoup. Décidément, il ne regrette vraiment pas d’être venu à l’improviste à cette soirée. Entre sa réconciliation entérinée avec ses meilleurs amis et la bonne humeur qui règne ce soir, sans parler de cette proposition plus qu’alléchante de faire du gringue à cette beauté, tout s’annonce sous les meilleurs auspices. Cependant, malgré qu’on la lui serve sur un plateau d’argent, quelque chose le chiffonne.

— Je te la présente ? lui demande Erwann, toujours aussi enthousiaste.

Quentin marque un temps d’arrêt, comme s’il faisait marche arrière. Erwann s’en étonne et lui demande s’il est déjà avec quelqu’un ou s’il a repris contact avec la mère de son fils, Coralie, dont il ne voulait plus entendre parler aux dernières nouvelles.

— Non, rien à voir...

Le voyant hésiter, Erwann lui précise :

— Si elle ne te plaît pas, il n’y a pas d’obligation, bien évidemment. Ni moi, ni Gwen n’en seront offusqués. Je trouverai bien un autre beau mec à lui refourguer dans les pattes. Vu l’avion de chasse que c’est, cela ne va pas être difficile...

— C’est pas ça, c’est juste que cela fait bien longtemps que je n’ai pas dragué une fille en étant sobre...

Soudain, Erwann réalise sa méprise et s’en veut d’avoir été si peu prévenant. Il sait que son ami vient de sortir d’une période difficile et comprend qu’il est plus fragile psychologiquement qu’il ne l’a jamais été. Quentin lui a confié être entré en thérapie, comme lui, pour soigner ses maux par des mots, en espérant que tous deux fassent la paix avec la vie, le passé, et tout ce qu’ils ont à surmonter chacun de leur côté. Il sait que c’est le seul moyen d’y arriver, de ne pas replonger dans les vieux travers d’autrefois, même si, à leur stade, rien n’est encore gagné. Il comprend la retenue affichée par Quentin, et en devine la raison. Sous ses airs de gros durs, celui-ci cachait simplement ses blessures et le voici à vif, sans sa muraille d’autrefois. L’alcool a servi aussi bien de pansements que d’armure et, aujourd’hui sans, Quentin doit réapprendre à vivre normalement.

— Tu sais ce que je te propose ? Ne fais rien pour le moment. Prends ton temps, fais ce que tu as envie.

— J’irai peut-être lui parler... en revanche, j’ai vraiment besoin de discuter avec ta femme, si tu me le permets.

— Bien sûr.

— J’ai envie de m’excuser. J’ai été un vrai connard avec elle et je voudrais repartir sur de bonnes bases.

— Tu m’en vois ravi. Gwen n’a pas la rancune tenace. Elle pardonne vite. Quand elle m’a parlé de l’attirance de Manuella pour toi, on aurait dit qu’elle avait déjà tout oublié.

Soulagé, Quentin lui annonce qu’il va aller lui parler de ce pas, ce qu’Erwann approuve avec un franc signe de tête. Il le regarde se diriger vers sa compagne, toujours en train de discuter avec sa meilleure amie.

À peine a-t-il fini sa conversation avec Quentin que c’est au tour de Richard de venir le solliciter. Ce dernier l’apostrophe d’une tape dans le dos, les traits tirés, ce qui fait rire Erwann, conscient que son ami n’en peut plus et ne rêve que d’une chose : aller dormir.

Erwann aussi est crevé. Il regarde sa montre en baillant, dans l’espoir d’y découvrir une heure assez décente pour planter ses convives et aller se coucher. Enfin, aller dans son lit surtout, et surtout bien accompagné. Cette soirée lui paraît interminable et il n’a plus qu’une hâte : faire l’amour à sa femme, non pas dans une voiture, ni sur le marbre de sa salle de bain, mais douillettement installé dans son grand lit, qu’il n’a pas encore retrouvé.

23 heures seulement ?! Putain de bordel de merde, mais cette soirée ne s'arrêtera jamais !?

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