Chapitre 55 : Quelle mouche l’a piqué ?

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Manuella n’en finit plus de s’empourprer, à présent gênée par les compliments de Quentin. Ce dernier la regarde avec douceur, sans la quitter des yeux, conscient qu’il y a va un peu fort dans son approche de séduction. Ce n’était pas son genre, autrefois, de flatter l’ego des femmes, loin de là. Il avait plutôt tendance à les rabaisser. Mais pourquoi le ferait-il désormais, alors qu’il est parfaitement lucide ? Elle est belle, gentille et s’intéresse à son métier, à son fils, à lui... Même s’il n’avait pas prévu de remettre aussi vite le pied à l’étrier des relations avec l’autre sexe, il réalise que c’est très agréable de s’adonner à ce petit jeu, avec ces regards appuyés et ces mots doux échangés.

De plus, sa proposition est bien réelle, car il est toujours à l’affut pour dénicher de nouvelles personnes compétentes pour travailler dans son équipe. Il ne veut que les meilleurs, c’est à ça qu’il doit son succès. Et Manuella a tout à fait le profil qu’il recherchait pour étoffer sa team, comme il la surnomme. Pour la convaincre de son idée et la rassurer, il enchaîne sur de nouveaux arguments :

— Tu serais nourrie, logée et défrayée pour tes déplacements, car tu viens de loin.

— Logée ? Chez Erwann tu veux dire ?

— Gaz n’est pas le seul à avoir un joli pied à terre à Crozon... Je n’ai certes pas la vue sur la mer, mais on est sur une Presqu’île, l’océan nous entoure et je suis situé juste à côté.

Elle le remercie de son offre et se dit partante pour participer à sa prochaine convention. Aussitôt, une idée surgit en lui. Quentin n’a pas envie d’en rester là, sur ces échanges de type professionnel. Certes, il vient presque d’embaucher Manuella pour qu’elle travaille avec lui, mais à cet instant précis, ce sont d’autres relations, plus intimes, qui lui viennent à l’esprit.

— Tu aimes la moto ?

Elle sourit, ce qui est une réponse satisfaisante pour Quentin, qui y voit un grand oui.

— J’ai garé la mienne à côté de celle d’Anthony, devant l’entrée. Si tu veux, on peut aller faire un tour pour sortir un peu de cette ambiance ultra surveillée. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais Erwann et Gwen ont constamment les yeux rivés sur nous. Et je ne parle même pas de Bud qui a l’air d’avoir vu sa grand-mère en slip en train de faire des saltos arrière sur un trampoline.

Elle part d’un grand éclat de rire en rejetant la tête en arrière. Il est sous le charme de ses fossettes mutines et de sa longue crinière.

— Tu veux m’emmener où ? reprend-elle, en le regardant dans les yeux.

Et ces yeux, ces yeux... pensent-ils tous deux simultanément.

— Dans un endroit sympa, que peu de personnes connaissent, car il est bien caché. À moins d’être un vrai crozonnais, comme moi, personne ne peut en deviner l’existence. C’est assez féérique comme ambiance. On peut rouler un peu, histoire de décrasser ma bécane et, ensuite, aller faire un tour et se poser tranquillement... juste pour profiter de l’instant.

Le petit-déjeuner terminé, tous deux s’éclipsent vers le hall d’entrée de la maison, sous les regards plus ou moins discrets des autres convives, dont celui d’Erwann, qui affiche un visage enjoué.

Et voilà, se dit ce dernier pour lui-même, une bonne chose de faite !

Il est presque midi lorsque Manon-Tiphaine apparaît enfin, une tête proche d’un lendemain de cuite. Pourtant elle n’a siroté qu’une coupe de champagne pour accompagner son gâteau d’anniversaire mais, apparemment, c’est autre chose qui lui donne mal à la tête. En se levant, une demi-heure auparavant, elle est passée devant la grande baie vitrée de la terrasse supérieure, située au premier étage. De là, elle a tout juste eu le temps d’observer Quentin et une femme aux longs cheveux bruns partir vers la sortie, visiblement harnachés pour une virée à moto. Elle a reconnu Manuella, l’amie de Gwendoline et son cœur s’est serré, comme pris dans un étau de fer. Après cela, elle s’est enfermée dans les toilettes un moment, pour pleurer tout son soûl à l’abris des regards.

À peine arrivée au rez-de-chaussée, Manon-Tiphaine apostrophe son père, assis sur le canapé :

— Pa’ ?

— Tiens, bonjour ma grande ! Bien dormi ? Prête pour ton deuxième jour de célébration ?

— Vire tout le monde.

— Hein ?

Mais il n’a pas le temps d’en savoir plus qu’elle fait volte-face et retourne à l’étage sans un mot de plus. Erwann regarde Gwendoline, qui regarde Anthony, qui regarde Richard, qui regarde vers l’escalier où Manon s’est échappée.

— Bon, qui y va ? demande ce dernier, une pointe de sarcasme dans la voix.

— Moi, évidemment, répond Erwann, énervé.

Il se lève d’un bond, fustigeant son meilleur ami du regard, avant de poursuivre :

— Nan, mais ça va bien ! C’est ma fille, quand même ! À quoi je sers, sinon ?

— Ouais, mais t’es pas toujours le mieux placé pour lui parler, Gaz, objecte Richard. C’est peut-être plus un problème de meuf. Laisse Gwen y aller.

— Hein ? s’insurge l’intéressée.

Aussitôt Gwendoline prend la défense de son homme, assurant qu’Erwann est le mieux placé pour gérer la situation. Elle ajoute que c’est lui le maître des lieux et que si la fête doit être annulée, c’est vers son père que Manon doit se tourner pour lui en donner les raisons.

— Merci de me soutenir, ma chérie, dit Erwann à sa compagne, d’un ton reconnaissant. Toi, je te retiens Bud, toujours prêt à m’enfoncer ces derniers temps, on dirait.

Erwann fulmine, mais Richard n’y prête pas attention. Bien que l’atmosphère soit déjà électrique entre eux, il lève les yeux au ciel en se fendant d’un rictus moqueur, histoire de remettre de l’huile sur le feu, puis ajoute :

— C’est ça. Si c’est un problème lié à son homosexualité, préviens-moi, je saurai le gérer mieux que toi ! C’est pas franchement ton fort tous ces trucs de désaxés.

Erwann marque un temps, le regard flamboyant. Il ne comprend pas une seconde ce qui se trame entre Richard et lui depuis sa sortie de prison. Il ne l’a jamais vu comme ça. Ce n’est plus une mouche qui l’a piqué à ce train-là, c’est un énorme essaim d’abeilles surexcitées et dopées à la haine. Il résiste à l’envie de rétorquer quelque chose, conscient que cela ne ferait qu’envenimer la situation. Voyant le regard paniqué de sa compagne, qui le supplie de ne pas réagir à la provocation, il la rassure en hochant la tête, et reprend le chemin de l’escalier, où a disparu sa fille précédemment.

Une fois Erwann monté à l’étage, Gwendoline se tourne vers Richard, le visage décomposé.

— Nan mais ça va pas ? demande-t-elle, à son tour en colère. Qu’est-ce qui t’a pris de lui dire ça ?

— J’en ai marre de l’entendre chouiner.

Anthony, qui assiste sans mot dire à ces échanges depuis le début, se prend le visage entre les mains. Il commence sérieusement à s’inquiéter de la tournure que prend cette conversation. Ses mains moites et son cœur battant lui indiquent que la panique le guette. Il sait l’animosité que ressent son homme depuis quelques temps vis-à-vis de son père et ne peut s’empêcher de craindre que son amant se laisse emporter par sa rancœur. Une rancœur que Richard nourrit depuis qu’il a compris que la sortie de prison d’Erwann allait signer la fin de la légèreté de leur relation. La liberté d’Erwann s’est assortie de la perte de celle dont ils avaient joui jusque-là dans leur idylle. Tous les deux se sentent désormais surveillés, avec une énorme épée de Damoclès au-dessus de la tête, prête à les trucider.

Et quand Gwendoline, sa nouvelle belle-mère, se lève avec fureur et que, de son regard vert, devenu noir, elle fixe son amant, il a peur que les choses dégénèrent...







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