Chapitre 71 : L’impuissant, partie II

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Comme l’explique Erwann à Quentin, « faire les choses bien » signifie pour lui commencer par prendre rendez-vous illico presto avec un toubib pour diminuer progressivement le traitement sans risquer une rechute. Même si Erwann l’encourage à y aller petit à petit, il argumente néanmoins en faveur d’un arrêt total de cette camisole chimique, comme il l’appelle. Et le plus tôt sera le mieux, précise-t-il avec un regard décidé car, selon lui, ce genre de cachetons a l’inconvénient de masquer les symptômes sans traiter le fond du problème. Une thérapie sera toujours plus adaptée pour aider un patient en difficulté.

Quentin prend bonne note de ces suggestions, attendant la suite. Erwann poursuit, de plus en plus enthousiaste à l’idée que son meilleur ami est en train de démarrer une belle histoire, qui va probablement l’aider à passer le cap. En effet, il ajoute que ce dernier va être bourré d’endorphines, de dopamines et de sérotonines. Des hormones qui, à son humble avis, vont largement remplacer les merdes de synthèse que Quentin gobe comme des bonbons en pensant se faire du bien. Pour défendre son propos, il argue qu’il ne faut pas se leurrer sur les intentions des médecins, car la pharmacopée allopathique, dont ils usent et abusent, est avant tout une industrie. Une industrie florissante dont tout ce beau monde tire un énorme profit sur le dos des patients désespérés.

C’est avec un cynisme affiché qu’Erwann rappelle à son ami que les médecins et les pharmacies ont besoin de clients pour vivre et qu’il n'est donc pas dans leur intérêt que ceux-ci aillent mieux. Il termine son discours en précisant que tant que cela reste ponctuel, ce genre de médocs ne portent pas à conséquence, mais que dans l’idéal, il est préférable de les éviter à tout prix. Ils doivent rester le dernier recours en cas de pathologies, surtout dans celles où interfère une grande part de psychologie.

Après toutes ces explications scientifiques, censées renforcer son argumentaire, Erwann en vient aux faits :

— Puisque tu les prends depuis huit semaines à peu près, t’es parti pour huit semaines à faire patienter Manuella. Pour qu’elle ne se doute de rien, premièrement, espace vos prochains rendez-vous, mais sans devenir fuyant. Contacte-la par message, dis-lui que tu penses à elle, appelle-la, fais-lui livrer des fleurs, en gros, qu’elle sente que tu ne l’as pas ghostée.

Quentin opine du chef, ravi qu’Erwann prenne son rôle de conseiller très à cœur. Leur relation lui avait manqué et c’est avec plaisir qu’il partage à nouveau avec lui ses problèmes personnels, comme au bon vieux temps.

— Jusque-là, ça me paraît clair. Ensuite ?

— Ensuite, organise des dates à l’extérieur : cinéma, restaurant, bowling, billard, karaoké, tu as l’embarras du choix. Le principal c’est qu’elle ne soit pas tentée de te mettre la main dans le calcif. Si elle est comme Gwen, il va te falloir la calmer.

— La calmer ? Gwen est si chaude que ça ?

Même s’il ne veut pas paraître offensant, Quentin ne peut pas s’empêcher de réagir à cette annonce.

Eh bah mon cochon, tu dois pas t’ennuyer avec elle !

— Pas du tout, s’emporte Erwann, irrité par cette remarque. Elle est normale, mais je ne voulais pas la baiser. Je voulais qu’on prenne notre temps. Le problème, c’est qu’elle était tellement habituée à faire passer le sexe au premier plan qu’elle ne comprenait pas mon manque d’ardeur. En vérité, je n’avais qu’une envie, comme tu t’en doutes, mais j’ai tout fait pour repousser l’échéance. Je ne répondais pas favorablement à ses allusions, j’évitais qu’elle me touche. Elle ne m’a jamais vu nu dans les premiers temps. Je gardais mon calbute pour dormir. Si elle m’avait peloté, je me connais, je n’aurais pas pu dire non.

De plus en plus convaincu que les idées de son ami d’enfance peuvent marcher, Quentin hoche la tête avec vigueur, prêt à tout tenter.

— Ok, je vais faire ça. Pour toi, ça a marché ?

— Oui. Mais ça, ce n’était que la première phase. Plus tard, vous allez en venir aux choses sérieuses. Si vous êtes dans des endroits plus intimes et que tu veuilles qu’elle laisse ta teub tranquille, satisfais-la. Mais genre, jusqu’à plus soif, quoi. Tant qu’elle ne roupille pas comme une bienheureuse, fais-la jouir. J’ai filé deux orgasmes à Gwen lors de nos premiers ébats et elle était tellement assommée de fatigue et de bien-être qu’elle n’a pas cherché plus loin.

— Wow, mais quel amant dévoué tu es... se marre Quentin.

— Ah ah, fous-toi de ma gueule mais n’empêche que mon plan a marché. On a fait l’amour que six mois plus tard...

— HEIN ????

Entendant cela, Quentin manque de s’étrangler. C’est impossible ! Comment deux êtres normalement constitués peuvent passer six mois à se regarder dans le blanc des yeux ? Ils sont tarés ces deux-là. Mais Erwann n’a pas terminé son explication et arrête son ami en pleine divagation. Il reconnaît à contrecœur que s’ils ont dû patienter aussi longtemps c’est parce qu’entre-temps, à la suite de son engueulade avec Quentin, il n’a pas donné signe de vie à sa compagne pendant plusieurs jours. Son silence a créé un quiproquo malheureux qui a conduit sa partenaire à le lourder comme le dernier des moins que rien, ce qui bien sûr, n’était pas du tout prévu dans son plan d’action pour la faire patienter.

— Je suis vraiment désolé, intervient Quentin, dépité.

— C’est bon, tu ne vas pas t’excuser à chaque fois que j’en parle. T’inquiète, c’est oublié. Il faut aller de l’avant.

— Vraiment ?

— Vraiment.

— Et pour Bud ? Tu vas aller de l’avant aussi ?

— Comment ça Bud ? Toi aussi, t’es au courant pour lui et Anthony ?

Quentin reconnaît l’avoir été avant lui, bien qu’Erwann fut pourtant le principal intéressé. Il confirme avoir découvert par inadvertance ce qui se passait entre eux un jour avant son ami. Erwann paraît chiffonné par l’information, réalisant qu’ils l’ont tous bien pris pour un con sous son propre toit. Il regrette que Quentin ne lui en ai pas parlé, comme il l’a fait au sujet de Manon, lorsque cette dernière s’est invitée dans son lit.

— Ça m’aurait évité de déconner, renchérit-il, amer.

— Gaz.... C’était pas à moi de le faire. Est-ce que tu vas réussir à lui pardonner à lui aussi ?

Après un moment de réflexion, Erwann se montre dubitatif, arguant que les deux situations sont différentes. L’histoire fâcheuse entre Quentin et lui ne concernait que le mal que l’on pouvait lui faire à lui. Pour ce qui a trait à Richard, il s’agit d’un de ses enfants, ce qui les choses plus compliquées à oublier.

— Bud n’a pas fait de mal à Anthony, tu le sais bien, objecte Quentin, les sourcils froncés. Si j’avais accepté l’offre de Manon, là, oui, j’aurais déconné. J’aurais profité d’une jeune fille vulnérable et influençable, et puis, t’aurais eu la loi pour me faire coffrer, avec un détournement de mineur à la clef. Mais dans le cas de Richard, il n’y a rien de tout ça.

— J’ai l’impression qu’il a fait ça pour se venger de moi.

— Se venger de quoi ?

— D’avoir repoussé ses avances.

Quentin sourit et ajoute qu’Erwann ne peut pas reprocher à leur ami d’enfance d’avoir tenté le coup, renchérissant sur le fait que si lui-même avait été gay, il aurait peut-être agit de la même façon.

— Beau comme t’es, même balafré, j’aurais sûrement adoré te brancher, le taquine-t-il avec un rictus malicieux.

— Putain, mais vous êtes infernaux tous les deux ! Pas un pour rattraper l’autre.

Tous les deux se mettent à rirent, plus complices que jamais. Puis, Quentin reprend plus sérieusement en défendant Richard, persuadé qu’une vengeance n’était pas dans son intention en se comportant ainsi. Il rappelle à Erwann tout ce que leur ami a fait pour lui, lors de son récent séjour en prison, mais plus anciennement aussi, après son divorce. Et cela par pure amitié. Selon lui, concernant la relation que Richard a démarré avec Anthony, il s’agit très certainement d’une réelle passion qui, comme toutes les passions, les a complètement dépassés. Pour lui, même si la situation est délicate, il n'est pas question d’une faute à proprement parlé.

— Ils étaient consentants tous les deux, plaide-t-il encore. Tu peux pas lui en vouloir pour ça.

— Tu prends son parti à ce que je vois...

— Gaz, je comprends ta position, vraiment, surtout de la façon dont tu l’as appris. Mais tu as fait montre d’une grande générosité envers moi, alors que je n’ai jamais rien fait pour le mériter, ce qui n’est pas le cas de Bud. Tu sais très bien qu’il a fait énormément pour toi. Plus que moi, à n’en pas douter. S’il y en a bien un que tu doives pardonner, c’est lui.

Le propriétaire des lieux se tait, partagé entre les arguments recevables de Quentin et sa difficulté à tout oublier. Certes, sa discussion avec Richard a été plutôt positive mais pour le reste, il craint de voir les choses mal tourner. Que l’un ou l’autre se fasse souffrir, que son fils morfle dans cette relation que le père juge déséquilibrée. Pour le moment, il a du mal à envisager une fin heureuse pour ces deux-là.

— Je verrai... J’ai besoin de temps pour digérer tout ça.

— Prends-le, mais sache quand même que Bud est sûrement très mal. Il a beau faire le mec qui encaisse, je sais qu’il n’en mène pas large.

— C’est bien beau de me faire la morale, mais pour Manuella, tu vas faire quoi ?

— Suivre tes conseils : Je vais tellement la faire décoller qu’elle ne pourra plus remettre les pieds sur terre.

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