Chapitre 68 : D’homme à homme II

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Erwann arrive comme convenu à la plage, en bas de la villa, près de la carcasse du voilier délaissé. Son interlocuteur est déjà là, seul, le visage dur, dans le même état où il l’a vu hier. Sans tergiverser, il se râcle la gorge et se lance :

— J’imagine que la seule chose que je puisse te dire par rapport à mon comportement de cette nuit c’est que je suis désolé.

— C’est ce que tu es, vraiment ? demande Richard, sardonique. Toi, tu es désolé ?

— Bien sûr que je le suis, tu le sais très bien.

— Crois-moi que l’évidence ne me saute pas aux yeux.

Le visage d’Erwann se pare pourtant d’une profonde affliction, dont même Richard reconnaît l’authenticité. Pourtant, très en colère, il s’ingénue à enfoncer son meilleur ami. Incapable de contrôler sa rage à la suite de ce qui s’est passé, il préfère se défouler en étant malhonnête que révéler le vrai fond de sa pensée. Il sait qu’Erwann s’en veut mais n’en a strictement rien à faire. Il a besoin de gueuler.

— Est-ce que tu te rends compte du mal que tu lui as fait, bordel ? reprend Richard, à présent hors de lui.

— Évidemment. Dès qu’il acceptera de me parler, je m’excuserai aussi auprès de lui. Je l’ai déjà fait par message, mais je n’ai pas obtenu de réponse.

— Et ça t’étonne ? poursuit Richard, de plus en plus sarcastique.

— Non.

S’installe alors entre eux un silence gêné. Tandis qu’Erwann regarde la mer monter et descendre à intervalles réguliers, son comparse de toujours triture un bâton qu’il a trouvé sur le rivage. Le bruit de l’océan couvre le murmure de leurs pensées, de celles qui virevoltent dans tous les sens quand on essaie de se faire comprendre mais qu’aucun mot ne parvient à exprimer ce que l'on ressent. Le roulement des vagues, si apaisant d’ordinaire, leur donne l’impression d’être un grondement sévère aujourd’hui. Il semble un avertissement, une mise en garde. Que chacun se retient de parler sans réfléchir. Les conséquences qui pourraient en découler seraient terribles pour leur amitié fragilisée. Dans un sursaut de courage, Erwann s’aventure :

— Écoute Bud, je peux pas revenir sur ce que j’ai fait ou dit, alors dis-moi quelle est la solution. Si aucun de vous deux n’accepte mes excuses, il me reste quoi pour me faire pardonner ?

— Rien, tu as raison, car je ne suis pas sûr que cela soit pardonnable.

— Mets-toi deux secondes à ma place, bordel. Je sors de taule depuis quarante-huit heures et je vous retrouve au plumard en train de...

— S’enculer, le coupe Richard en regardant droit devant. Oui, tu l’as déjà dit.

Rhalala mais arrête de me rappeler ces images, nom de Dieu, elles m’ont déjà suffisamment traumatisé !

— Peu importe ce que vous faisiez, reprend Erwann, agacé. C’est pas ça le problème... mais tu te tapes mon gosse, et il a vingt-trois ans de moins que toi. Même si ma réaction était disproportionnée, et je le reconnais volontiers, elle était légitime. Je t’assure que sur le coup je me suis pris un quarante-cinq tonnes en pleine tronche. Mais maintenant, ça y est, je l’ai digéré.

— Tu l’as digéré, vraiment ?

Le cynisme de la remarque n’échappe pas à Erwann qui sent combien cet échange est un dialogue de sourds. Mais perdu pour perdu, il joue franc jeu :

— Non. Honnêtement, non pas encore, soupire Erwann. Mais je vais le faire.

— Qu’est-ce qui te chiffonne tant que ça ? Qu’on s’encule, comme tu l’as si bien fait remarquer à de nombreuses reprises ? Qu’il soit gay et que ce soit le deuxième de tes gosses à être homo ? Ou qu’il ait la moitié de mon âge ?

Erwann essaie de se retirer l’image des deux hommes en plein acte, mais celle-ci semble tatouée sur sa rétine. Il a l’impression que depuis qu’il les a vus ensemble, cette vision forme un filtre qui apparaît quelque que soit l’endroit où ses yeux se posent. Et que le fait que Richard le lui rappelle sans cesse ne l’aide pas à s’en débarrasser. Contenant son malaise, il répond :

— Ben déjà, ça fait pas mal, non ? Bon, pour la première... chose, j’avoue, je me suis comporté comme le dernier des connards. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait une telle fixette là-dessus. C’est juste que bon, tu sais bien, je n’ai pas de penchants, je n’ai même jamais essayé, juste par curiosité, alors clairement, oui c’est un truc qui me fait.... comment dire ?

— Gerber ?

— Mais non, c’est pas ça...

— T’es homophobe, mec, j’espère que t'en as conscience.

— Rien à voir. Que ma fille ou ma femme se tapent des gonzesses ne me dérange pas...

— Gwen se tape des gonzesses ?

Erwann réalise qu’il vient de parler de la vie privée de sa compagne sans son autorisation et cela le dérange. Ce genre de secrets doit rester dans l’alcôve de leur intimité. Il s’en veut d’avoir évoqué ce détail mais ne peut revenir en arrière. Il s’oblige néanmoins à rectifier ses propos au sujet de la situation, qu’il a malgré lui exagérée.

— Une gonzesse. Une seule. Gwen n’est pas bi.

— Sérieux ? C’est qui ? Manuella, j’en suis sûr...

— Ouep.

— Et ça te dérange pas ?

— Si, mais ça m’excite carrément aussi.

Richard ne peut s’empêcher de pouffer de rire tant la réaction d’Erwann est cliché.

— T’es vraiment un bon hétéro de base, toi. Je suis sûr que tu te branles sur des lesbiennes, des infirmières sexy et que tu as une passion pour les seins comme des obus.

Au point où il en est, son ami décide de continuer à jouer cartes sur table. C’est avec une franchise presque candide qu’Erwann déclare :

— En vérité, ouais, je suis un peu tout ça. Depuis que Gwen est enceinte et que sa poitrine est énorme, je ne vais pas te cacher qu’elle me rend complètement dingue, mais bon je sors de taule aussi. Comme je te l’ai dit, savoir qu’elle se fait kiffer avec une femme, ça m’excite grave et concernant le fantasme de l’infirmière, je me suis tapé la mienne lorsque j’étais hospitalisé. Tu marques un point, je suis un gros connard d’hétéro avec des gros fantasmes stéréotypés. Qu’as-tu d’autres à me reprocher ? Vas-y lâche-toi, je t’en laisse l’opportunité.

Sa récente discussion avec Gwendoline lui revient en mémoire. Elle lui avait avoué que Richard s’en était ouvert à elle à propos de son ressentiment envers lui, sous de faux prétextes tels que son fric, son physique, son charisme, qui faisaient qu’on lui pardonnait tout. Pour finalement se demander si la vraie raison de son animosité n’était pas plutôt cette attirance que Richard lui avait confiée fut un temps, lorsqu’il avait évoqué ses sentiments.

Des sentiments ambigus, confus, dont il n’avait pas réussi à en exprimer la teneur. Éméché, son discours n’avait eu ni queue ni tête. Richard avait parlé d’attraction physique, de camaraderie, d’amitié, mais aussi de la possibilité d’avoir ressenti davantage, quelque chose de plus fort, d’indescriptible, dont il n’arrivait pas à se défaire. Certes, ce jour-là, Richard était bourré, voilà pourquoi Erwann, parfaitement lucide, quant à lui, ne lui en avait pas tenu rigueur. Pourtant il sait bien que ce qui se dit sous l’influence de l’alcool reflète toujours une part de vérité. Ce qu’il ne sait pas, c’est la proportion de celle-ci et ce qu’il en est aujourd’hui.

— Je n’ai rien à te reprocher, répond Richard, tu es comme tu es. Je t’ai toujours accepté avec tes défauts, comme tu m’as toujours accepté avec les miens.

— Tu es volage, tonne Erwann.

Richard émet un rictus victorieux en acquiesçant, ravi d’avoir mis le doigt sur le vrai problème.

— Ah, je vois. C’est ça qui te fais chier, n’est-ce pas ?

— Bien sûr. Je ne sais pas du tout où vous en êtes dans votre relation avec Anthony, mais je te connais, et plus que mon fils malheureusement. Alors c’est quoi le délire avec lui ? Tu joues avec jusqu’à ce que tu t’en lasses, comme Alban, comme tous les autres mecs avant lui ?

— Alban... je ne l’aurais pas jeté sur un coup de tête si je n’étais pas tombé amoureux de ton fils.

— Amoureux ? répète Erwann abasourdi. Tu es amoureux d’Anthony, sérieux ?

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