Chapitre 84 : Les folies qu’on ne regrette jamais

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Gwendoline abandonne son téléphone sur le lit improvisé et se lève en direction d’Erwann, qui attend calmement qu’elle lui apprenne les dernières nouvelles. Elle s’approche de lui, encore sous le choc des découvertes que vient de lui apporter son ancien client. Erwann lui ouvre les bras et l’invite à se blottir contre lui, rassuré de voir sa fiancée de plus en plus en souriante. Même s’il n’en a pas encore la confirmation, son regard rieur parle pour elle. II suppose que les annonces sont allées dans leur sens.

— Tu es officiellement le père des enfants que je porte, déclare-t-elle avec une voix tremblante.

— Mon Dieu... en voilà une révélation qui vient sceller cette demande en mariage de la plus belle des façons.

— Je suis tellement soulagée, si tu savais.

Erwann l’étreint contre son torse robuste, lui transmettant sa force à travers ses bras solides. La joue posée sur son cœur battant avec énergie, Gwendoline savoure le bien-être qui s’empare d’elle à l’idée que l’une des principales énigmes qui les perturbaient vient enfin d’être élucidée. Elle retrouve une confiance absolue en l’avenir, ce futur si incertain et sombre ce matin qui, soudain, semble se parer de couleurs lumineuses. Elle reprend la parole en murmurant, partageant avec son amour son ressenti de l’instant :

— Nous sommes à présent fiancés et bientôt parents de deux bébés et je suis la plus heureuse du monde.

Erwann sourit, notant mentalement qu’elle a pris sa décision au sujet d’un potentiel avortement. Finalement, il réalise que l’annonce inattendue de cette grossesse gémellaire n’a fait que les précipiter vers la vérité, cette délicieuse vérité à laquelle ils aspiraient tant. Erwann s’en réjouit à son tour :

— Ex-aequo avec moi, mon cœur, alors. Car il n’y a pas d’homme plus heureux que moi sur cette Terre en ce moment. Je plane complètement. Je n’ai même plus de mots pour te remercier d’être entrée dans ma vie.

Gwendoline relève le menton vers lui, un grand sourire affiché sur son visage rayonnant. Il saisit cette occasion pour l’embrasser, doux partage de leurs sens après celui de leur cœur, rempli de gratitude. Enlacés, ils se bercent l’un l’autre, au comble du bonheur de voir enfin une de leurs inquiétudes s’éloigner. Libérés du poids de cette enclume angoissante qui les amarrait malgré eux à une vie incertaine, ils respirent enfin à pleins poumons. Ils profitent désormais de cet instant de grâce, semblable à nul autre, dans lequel ils s’immergent pleinement. Puis, Erwann reprend la parole en chuchotant :

— Je ne veux pas casser ce moment si parfait, mais je dois être avant vingt heures au commissariat de Police.

Elle le regarde en oblique, intriguée par cette dernière remarque, attendant un éclaircissement imminent.

— Simple formalité. Je ne serai pas au bon endroit ce soir et je dois leur expliquer pourquoi je n’ai pas respecté mon contrôle judiciaire.

— Il y a un risque que tu retournes en taule ? s’enquiert-elle, la voix montant dans les aigus.

— Non. Je mise tout sur de plates excuses, de longues explications et sur la promesse de ne pas recommencer, pour qu’ils me laissent dehors.

— Erwann... nous n’aurions pas dû. C’était de la folie.

— Nan, ma chérie, j’ai bien fait d’agir ainsi. Tu n’allais pas bien. Et finalement, tout cela nous a permis d’obtenir enfin les réponses dont on avait besoin pour avancer plus sereinement. Comme disait Oscar Wilde, « les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais ». Il avait raison.

Gwendoline acquiesce à cette citation qu’elle adore et dont elle s’est souvent inspirée. Elle reste confiante malgré la peur qui s’empare d’elle de voir son homme, nouvellement promu fiancé, retourner derrière les barreaux. Mais ce dernier a vu juste. Les règles sont faites pour être enfreintes, sans cela, les êtres humains ne seraient que des robots répondant aux injonctions froides de la société. Des injonctions qui frisent parfois le ridicule et auxquelles il est bon de ne pas toujours se soumettre. Suivre son instinct reste une de ses principales caractéristiques, et lorsqu’elle écoute celui-ci, elle finit toujours par retomber sur ses pattes et vivre l’existence qui lui convient le mieux. Qu’Erwann partage cet avis la rassure quant à leur futur car ils ont la même façon d’aborder leur avenir. Comme ils l’ont toujours rêvé, ils forment une équipe soudée, prête à tout affronter.

Pour profiter de ces quelques instants de sérénité avant de repartir dans le tourbillon qui les attend à l’extérieur, elle propose à Erwann de s’allonger sur le lit. Il ne demande que ça et la conduit vers le matelas, sur lequel ils s’allongent tous les deux, dans les bras l’un de l’autre, le visage orienté vers le plafond. Les yeux dans le vague, ils écoutent leur respiration apaisée, faisant écho au ressac de la mer qui borde le phare dans lequel ils ont pris très provisoirement leur quartier. Il lui promet de la ramener ici dès que l’occasion se présentera, car c’est en ces murs sécurisants qu’ils ont bâti la forteresse de leur amour. C’est à présent leur repère secret, leur cocon protecteur, indestructible muraille face aux aléas de la vie.

— On se mariera quand tu le souhaiteras… commence Erwann en se projetant avec joie dans cette célébration de leur union. Si tu veux attendre de savoir comment mon sort va être fixé, savoir s’il y aura un procès ou non, on peut attendre autant que tu veux...

— Si procès il y a, il aura lieu dans un an et demi ou deux peut-être. J’accoucherai d’ici six mois à peu près, probablement au début de l’été. J’aime les mariages d’automne.

— Dans moins d’un an alors ? Avant le procès ? l’interroge Erwann, pour vérifier s’il a bien tout compris.

— Eh bien, oui, on aura le temps de préparer les filles, de s’installer ensemble à Crozon, sans trop de précipitation, de régulariser notre situation à tous et de faire les choses bien. Ça me paraît raisonnable, non ?

— Ce serait bien la seule chose raisonnable qu’on aura faite jusqu’ici, sourit-il.

Ils pouffent de rire l’un contre l’autre, sur la même longueur d’ondes, comme la plupart du temps.

Peu avant vingt heures, Erwann et Gwendoline arrivent au commissariat. Il demande à voir le lieutenant-chef et explique sa situation, selon laquelle il lui est impossible d’être à son domicile de Nantes à l’heure dite, comme indiqué sur le planning de sorties qu’il a validé avec le SPIP. Son bracelet électronique risque alors de signaler son absence, ce qui déclenchera l’intervention des forces de police et le conduira directement en prison. Pour éviter cela, Erwann reconnaît à l’officier avoir préféré prendre les devants en avertissant lui-même les autorités compétentes, dans l’espoir d’obtenir leur compréhension et leur clémence au sujet de cette incartade.

— Monsieur Le Bihan, si tout le monde fait comme vous, on ne s’en sortira jamais. Un dispositif de surveillance électronique, c’est pas à la carte, vous vous en doutez bien.

— Veuillez m’en excuser. J’ai pris des libertés pour m’occuper de ma femme qui n’allait pas bien. Elle est enceinte et j’ai paniqué.

Le Lieutenant-chef observe la fiancée d’Erwann et lui demande comment elle se sent à présent. Elle lui assure qu’elle va mieux grâce à son compagnon qui a réagi comme il le fallait, en dépit des sanctions qu’il encourait. Elle s’excuse à son tour des problèmes causés par le non-respect des mesures auxquelles son homme doit se soumettre. Le couple est amené dans un local adjacent. Durant ces minutes qui s’éternisent, au cours desquelles ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés, Erwann et Gwendoline essaient de garder leur sang-froid et de ne pas se laisser aller à imaginer les pires scénarios. L’officier leur demande de patienter dans son bureau, déclarant devoir en référer à son supérieur pour voir ce qu’il doit faire en ces circonstances particulières. Il revient quelques instants plus tard, la mine grave.

— Monsieur Le Bihan, dans la mesure où nous devons trouver une solution plus efficace pour vous garder sous le coude et vu votre tendance à vouloir vous volatiliser, on va vous demander de rester avec nous ce soir. Vous appréciez peut-être de défier les règles mais la loi est la loi et elle s’applique à tout le monde, vous y compris. Vous n’aurez pas de passe-droit pour cette fois car vous resterez en cellule, à compter de maintenant. Il est vingt heures et votre garde-à-vue peut durer jusqu’à vingt-quatre heures. Je ne vous mets pas les menottes, vous n’en avez pas besoin. Vous pouvez appeler votre avocat, en espérant que celui-ci soit en mesure de faire quelque chose pour vous, ce qui n’est pas gagné.

Étonnamment, Erwann garde son calme et ne s’offusque pas de cette décision, bien conscient d’avoir enfreint les règles de son contrôle judiciaire. Il compte désormais sur l’incroyable Maître Le Tonquédec pour le sortir à nouveau de ce mauvais pas.

— Et ma femme ?

— Elle vous reverra demain. Vous, vous restez ici cette nuit.

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