Lola : les conseils d'un père

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— Donc, je vais avoir un petit frère, observa Hanako en regardant mon ventre, la tête sur le côté.

Elle arborait cette moue perplexe que Hide montrait parfois. Maintenant que je savais que Hanako était sa fille, je trouvais la ressemblance criante.

Ma sœur l’avait remarqué, elle. Elle était plus observatrice que moi.

— Ton père n’est pas encore au courant. Je voudrais lui faire la surprise pour la prochaine visite. Tu peux garder le secret ?

— Évidemment, répondit Hanako en rectifiant son chignon. Ce n’est pas à moi de lui annoncer... Tu vas le voir quand ?

— Dans deux semaines. Après toi et l’avocat.

— Tu veux que j’échange avec toi ? Ça m’arrange pas d’y aller la semaine prochaine, de toute façon.

— Mais tu dois avoir envie de voir ton père... tu es sûre, Hanako ?

Ce sont peut-être les dernières fois que tu le vois.

Elle secoua la tête.

— Sûre et certaine. De toute façon, je n’aime pas le voir comme ça, enfermé comme un criminel. Et si j’y vais, je l’engueulerai pour sa réponse à ma dernière lettre.

Ce qu’elle dit m’inquiéta.

— Pourquoi ? Il t’a dit un truc bizarre ?

Hanako sortit une missive pliée de sa poche. J’y reconnus l’écriture de Hide, nerveuse et penchée.

— Tiens. Lis-la.

Je refermai mes doigts sur la lettre, et interrogeai Hanako du regard. Elle confirma d’un signe de tête.

Hanako.

Je sais que je n’ai pas été un bon père pour toi. Et je n’ai sans doute aucune excuse, ayant passé trop de temps loin de toi et de ta mère, alors que vous aviez besoin de moi. Je ne te demande pas de me pardonner, mais au moins, d’écouter les conseils issus d’une vie entière dans ce milieu que, finalement, tu connais peu.

Ne parle surtout pas aux journalistes. Ce n’est pas la bonne chose à faire. Cela irrite la police et les autres clans. Le code du ninkyô-dô existe bel et bien, et même s’ils le bafouent, tous ceux qui se donnent le nom de gokudô continuent à s’y référer. Un yakuza qui parle à des gens du côté du pouvoir officiellement perd tout crédit, et il devient une cible à abattre. Moi, ici, je suis intouchable. Mais ta mère et toi ? Lola ? Votre isolement vous rend vulnérables. Et je ne suis plus là, dehors, pour vous protéger.

Prends en compte ce que je te dis et garde-toi de toute initiative. Pour le reste, demande à Lola et à Masa. Ce seront eux, tes parents, pendant tout le temps où ta mère et moi ne serons pas capables de prendre soin de toi.

Ton papa (tu peux bien sûr m’appeler comme ça)

— L’inspecteur Uchida m’a dit la même chose hier, soupirai-je.

— C’est des conneries. Les journalistes ont un grand pouvoir, de nos jours ! Regarde Jake Adelstein.

— C’est pas l’Américain qui a écrit un documentaire sur le Goto-kai ?

— Lui-même. Il a dénoncé un accord secret entre le FBI et un gros ponte du Yamaguchi-gumi, ce qui a conduit à son éviction de l’Organisation... ça a fait un remous pas possible. Tout le monde était coincé, et tremblait à cause du témoignage d’un seul journaliste. Même les flics, dont il a révélé toutes les petites magouilles !

— Mais il vit sous le régime de protection des témoins depuis dix ans, non ?

— Et alors ? Tu ne crois pas que ce petit inconvénient est peu cher payé, pour sauver la vie de papa ?

Elle avait raison. Mais je savais aussi que le premier à nous en vouloir ne serait pas le Kiriyama-gumi, ni les flics de Tokyo, mais Hide lui-même.

— Ton père ne nous le pardonnerait pas, Hana, lui expliquai-je. Le respect du code d’honneur compte beaucoup pour lui. Je crois que c’est même plus important que sa vie.

Bakabakashii, siffla Hanako, les yeux lançant des éclairs. Pourquoi ai-je écopé d’un père aussi bête ? Et toi, comment as-tu pu tomber amoureuse de cet idiot d’un autre temps ?

— C’est ce qui fait son charme, souris-je malgré moi. Ce qui m’a séduite, en tout cas. Lorsque j’ai découvert cette facette de lui, j’ai craqué.

— Mhm ! J’ai entendu dire que c’était parce qu’il t’a fait son gros numéro de macho, plutôt. Les cordes et tout le toutim.

Une alarme s’alluma dans mon cerveau.

— Qui t’a dit ça ?

— Kiriyama Reizei. À l’époque où je lui parlais encore, et avant de savoir que c’était un pervers polymorphe. Je m’en doutais un peu, remarque...

Hanako était déjà passée à autre chose. Elle s’assit sur le canapé, alluma la télé.

Ainsi, Hide avait parlé de manière intime à son ex-pote Kiriyama. Cela avait sûrement dû avoir lieu le soir de mon mariage, lorsqu’ils avaient bu ensemble. Pendant cet horrible banquet... Non, Hide était trop réservé pour parler de manière intime lors d’une réunion pareille. Mais il aurait très bien pu le faire en tête à tête avec ce manipulateur de Kiriyama, qui avait dû titiller sa corde sensible et invoquer le bon vieux temps, quand ils vivaient tous les deux en coloc’ de célibataires et mataient les filles ensemble. En le faisant boire jusqu’à plus soif, il avait dû réussir à le faire parler.

Kiriyama : Ça s’est passé comment, votre première nuit ? Pas trop stressé de coucher avec une belle Française ?

Hide : Ben, j’avais un peu peur de ne pas être à la hauteur, je t’avoue.

Kiriyama, en lui donnant un coup de coude : Et donc... ? Ça s’est passé comment ? Tu peux me le raconter, à moi, ton frère juré !

Hide, rougissant : Eh bien... lors d’une séance de shibari.

Je serrai les poings. Voilà comment ça s’était passé. C’était sûr.

Hanako me jeta un coup d’œil du canapé :

— T’en fais une tête ! T’inquiète, il ne m’a rien dit de plus. Il disait que ce n’était pas de mon âge... tout ça pour demander ma main plus tard ! L’hypocrite.

Je me servis un verre de thé glacé, puis vins la rejoindre sur le canapé. C’était l’heure des infos, que je regardai distraitement.

— J’ai décidé de guérir maman, asséna soudain Hanako.

Elle avait le don pour passer ainsi du coq à l’âne.

Je me tournai vers elle :

— Comment ?

— Je sais pas, hésita-t-elle en croisant les bras autour de son torse étroit. Mais il faut faire quelque chose. Elle ne sort pas de sa chambre, à Karuizawa... elle a peur de tout. Je voulais l’amener à Tokyo, voir papa éventuellement. Mais il n’y a que sa peinture qui l’intéresse...

Sa peinture sinistre et macabre. Son dernier tableau donnait le frisson : je l’avais vu lorsque ses affaires avaient été installées à Karuizawa. Un assortiment de paravents en neuf panneaux peints à la feuille d’or, mais représentant les neuf étapes de la décomposition. Comme toujours, le sujet était une femme jeune et éthérée, à qui le temps et les chiens — toujours eux — faisaient subir les pires outrages.

— J’ai peut-être une idée. J’ai entendu parler d’une médium, dans la ville de Saito...

— Une médium ?

— Une spécialiste traditionnelle qui soigne les âmes. Tu ne sais pas ce que c’est ?

— Tu veux dire, un genre de voyante ? Une tireuse de cartes ?

— Plutôt comme une miko de sanctuaire, mais plus vieille. Une femme qui parle avec les morts et les dieux. J’ai une copine qui en connait une, dans la ville de Saito.

— Saito, dans le département de Miyazaki ? Il faudra convaincre maman d’y aller... mais ça peut se faire.

Hanako se leva.

— Bon, je vais lui en parler. On y va quand ?

Pour elle, le problème était déjà réglé.

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