Chapitre 4

6 minutes de lecture

Ecrit en écoutant notamment : DJ Mad Dog – Maze of Martyr [Hardcore]

Le lendemain, j’ai le plaisir de me réveiller avec une notification m’indiquant que Morgan a accepté mon invitation en tant qu’ami sur Facebook. Toujours est-il qu’au contraire de mon frère, qui semble vouloir faire des heures supplémentaires dans son lit, je me lève rapidement, animé d’une humeur excellente, même si je sais que je devrai patienter cinq jours, c’est-à-dire l’entraînement de foot du lundi suivant, avant de revoir Morgan.


J’ai deux heures de maths et deux heures de physique-chimie ce matin : en résumé, les joies de la Terminale S ! Heureusement, ces cours ne me déplaisent pas trop, et je passe d’ailleurs la majeure partie de ceux-ci à réexpliquer les points un peu plus tordus à Lilian. Depuis que je l’aide de la sorte, sa moyenne en maths a réalisé une remontée fulgurante, de dix à quinze, ce dont je ne suis pas peu fier ! L’année dernière, mon prof de maths m’a d’ailleurs incité à essayer de donner des cours rémunérés à des élèves de collège, mais je n’ai jamais vraiment pris au sérieux cette recommandation.

Après avoir mangé et flâné un moment dans les rues du centre-ville de Strasbourg, Lilian et moi revenons au lycée pour notre cours d’allemand. Comme nous préparons aussi le bac allemand, nous sommes obligés de nous confronter à des études de texte de Goethe et Schiller ; bref, une horreur sans nom.

Nous sortons éreintés de cette torture intellectuelle, pour mieux nous replonger dans une nouvelle avec le cours de philosophie, même si c’est l’occasion pour de nombreux élèves de faire leur sieste de la journée. Pourtant, notre cher M. Castagnier, dont la notoriété dans le lycée dépasse largement les classes qu'il encadre avec ses penchants anarchisto-communistes mal dissimulés, semble avoir la volonté de truffer son cours de remarques plus ou moins amusantes ou déplacées qui font rapidement sourire ou grincer des dents les quelques élèves qui suivent.


Les journées suivantes se déroulent dans une banalité que même mes pensées assez régulièrement tournées vers Morgan ne parviennent à transcender ; mis à part le week-end, où il fait un temps magnifique pour envisager une belle sortie à vélo. Le samedi vers une heure et demie, après avoir expédié mes devoirs de la semaine et avoir distillé quelques indications à Lilian pour nos exercices de physique, je pars à travers la campagne alsacienne, direction les Vosges. C’est l’occasion de se mettre une bonne mine ! Après une heure dans la plaine pour bien me chauffer, j’attaque le col de la Rothlach, une longue montée de huit kilomètres avec quelques virages bien difficiles. Je bascule ensuite vers le charmant village de Grendelbruch, et remonte la vallée de Schirmeck avant d’arriver au pied du deuxième col de la journée, celui des Pandours. La pente n’est pas très forte, mais avec pas loin de quatre-vingt-dix km dans les jambes, l’effort reste fatiguant. Je m’octroie une légère pause pour détendre mes jambes endolories au sommet du col, puis redescend ensuite vers la plaine du Rhin et mon village.

Je devrais facilement terminer avant 19h, mes cousins arrivant vers cette heure-là, avant de rester pour le week-end, comme nous en avons l’habitude. Je les apprécie énormément : tout d’abord, Alexis, qui a mon âge, et avec qui je suis très complice, puis sa petite sœur Mia, 12 ans peut-être, mais qui n’a souvent aucun mal à s’intégrer à nos sujets de conversations. Et pour terminer, son père, qui n’est autre que le proviseur de mon lycée !


Je me représentais déjà cette soirée sympathique qui allait s’annoncer, en partie pour essayer de faire abstraction des brûlures dans mes jambes, lorsque soudain, il me semble bien plus difficile de pédaler. Et merde, le pneu arrière est à plat ! Ça faisait longtemps que ça ne m’était plus arrivé...

Heureusement, depuis le jour où j’ai crevé à trente kilomètres de chez moi, sans téléphone ni matériel de réparation, ayant dû implorer l’aide de riverains, je ne pars plus jamais sans ma sacoche d'outils. Comme je ne suis pas un mécanicien professionnel, il me semble judicieux de les prévenir que je risque d’arriver un peu en retard…et merde, j’ai quand même oublié mon portable… Je me dépêche donc de réaliser l’opération en pestant contre le caillou qui a percé mon pneu, et repars en me dressant sur les pédales.


J’arrive enfin une heure plus tard, éreinté, avec les cuisses en feu, et le visage couvert de sel à cause de la transpiration. Ce n’est pas le genre de sorties qu’on fait chaque semaine ! Mon frère me prévient que les cousins auront une demi-heure de retard sur l’horaire prévu, ce qui me laisse le temps de prendre une douche plus qu’indispensable avant de les recevoir ! En montant les escaliers, je tombe nez à nez sur mon père, qui m’intercepte par l’épaule :


— Viens voir, j’ai à te parler !


Vu le ton employé, que je connais trop bien, je suis certain de m’en prendre plein la gueule… Et évidemment, ça ne rate pas… En même temps, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même d’avoir la flemme de mettre un code sur mon téléphone. Il tend la pièce à conviction devant moi et lance :


— J’imagine que tu sais ce que j’ai vu ?

Oui, de magnifiques photos de mecs torses nus, pensé-je intérieurement, soulagé que ça n’ait pas été des sites plus explicites dont j’aurais oublié de fermer les onglets.


Alors que je me prépare à me défendre face à n’importe quelle remarque qui pourrait tomber, il me dévisage juste d’un ton réprobateur:


— Je m’en fous que tu fantasmes sur des mecs, mais sache que je vous couperai à nouveau l’accès à internet, à toi et ton frère.


Je ne m’en sors pas si mal, même si je n’étais pas vraiment prêt à ce qu’il s’adresse à moi de cette manière ! J’essaye ensuite de profiter de l’eau chaude pour redonner un coup de frais à mon visage, qui a bien perdu de ses couleurs suite à notre échange.


Juste avant que mes cousins n’arrivent, j’ai le temps de voir que j’ai reçu un message de mon Morgan, même si je ne pourrai pas y répondre sans connexion internet.

« Salut, tu viens à l’entraînement lundi ? C’était cool la dernière fois ! »


Je fonds ! C’est bien la première fois que quelqu’un apprécie autant ma compagnie au point de m’en faire part. D’autant plus qu’il doit bien se douter que je viendrai lundi… Cela me semble donc bel et bien relever d’un authentique élan de sympathie.


J’enrage de ne pas pouvoir lui répondre ! Il faudra absolument que je lui demande son numéro de portable à la place lundi. Quoique, j’ai peut-être une idée, l’ordinateur de la maison ! Sauf que Facebook y est bloqué…Raaaahh, mon père a vraiment pensé à tout ! En même temps, pour lui, les réseaux sociaux sont le symbole de la « décadence de la jeunesse actuelle ».


Le repas avec mes cousins se passe dans une excellente ambiance, ce qui a le don d’agacer mon père, qui pensait m’avoir donné une bonne leçon. Qu’est-ce que j’aime revoir Alexis !

À la fin du plat principal, je demande à pouvoir sortir de table, souhait exaucé, et je monte avec lui dans ma chambre. J'ai bien remarqué qu'il était tout excité depuis tout à l’heure ; il ne tenait plus en place, et semble désormais largement soulagé. Mon intuition ne tarde pas à être confirmée lorsqu'il me saisit par le bras et me propulse sur mon lit :


— Tiens, j’ai quelque chose à te montrer !


Il sort son téléphone et me montre une photo de lui, accompagné d'une fille dont je dois reconnaître qu’elle correspond à des standards assez élevés pour les mecs hétéros.


— Pas mal du tout ! lancé-je, content pour toi que tu te sois trouvé une belle copine !

— Eh ouais ! claironne-t-il fièrement, et de ton côté, Mika, ça avance ?


— Bof, tu sais l’amour, ça a jamais été mon truc, déjà que j’ai du mal en général avec les gens. Mais je ne désespère pas de me trouver le bon. D’ailleurs…


Merde, mais ce n’est pas possible d’être aussi con ! Ok, j’avais prévu de lui dire dans un futur pas si lointain, mais maintenant, difficile de faire croire à un lapsus de ma part… Et ce d’autant plus que je traîne bien trop à me justifier, tandis que notre jeu de regard indique de nous avons tous les deux bien compris de quoi il en retourne.

Je pensais qu’il n’y avait aucune raison de paniquer, mais je vois à présent son visage se décomposer. Non, Alexis, tu ne peux pas me faire ça, tu n’es pas comme ça !

Sans prononcer un mot, il se décolle de moi avec dégoût et part s’enfermer dans la salle de bain.

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