Les pas
Au fond les adieux sont comme les rencontres. Ils ont le besoin de temps. De l'implosion des sentiments nait la nécessité de laisser retomber les particules du chagrin. Et le temps recule alors. Nos corps jusqu'ici soudés se séparent. Nous aimions nous assoeir du même côté de la table pour observer les mêmes choses, au même moment. Désormais nous nous faisons face et aucun de nous deux ne peut regarder l'autre dans les yeux. Il nous fait bien une table pour éviter à nos mains de se toucher et nos lèvres de se rejoindre. Un pas en arrière. Un de plus pour éviter tout retour possible dans les bras de l'autre avant que la journée ne débute. Le premier qui quitte le lit sans regarder l'autre a gagné. Notre danse est interminable. Elle est douloureuse et si simple à la fois. Elle ne compte qu'un pas. Il suffit de reculer.
Alors, nous reculons tous les jours davantage. Nous reculons jusqu'à entendre un claquement sec. Nous voici donc séparés nous qui étions si fusionnels. Un couple parfait aux yeux de tout notre entourage. Nous avancions, côte à côte, vers l'avenir sans nous poser de questions. C'était une évidence. Mais il y eut ce jour de disgrâce où malgré toute sa douceur et sa compassion, il n'arriva pas à calmer ma douleur et ma haine. Il recula d'un pas.
Il est là devant moi et je ne le reconnais pas. L'absent a quelque chose de changé. Je scrute son visage. Je tente de pénétrer son regard parce que c'est justement dans ses yeux que j'allais chercher refuge autrefois. Je ne m'avance pas davantage. La distance qu'il maintient entre nous me permet de me rendre à l'évidence que face à moi, pour la première fois, se trouve un homme ordinaire. Il n'est pas si grand. Il n'est pas si beau. Il a même vieilli. Des rides sont apparues au coin de sa bouche. L'absent n'est plus exceptionnel. Je prends alors conscience que ce qui était extraordinaire était en réalité notre couple. C'est l'énergie que nous avons générée pour construire notre vie commune dans un confort et une harmonie parfaite qui était exceptionnelle. L'un sans l'autre nous devenons de parfaits inconnus. Ceux que nous étions avant notre rencontre. Nous étions revenus au point zéro. Encore un pas en arrière .
Libérée de toutes ces émotions, de cet attachement profond, je ressens une véritable solitude. Je prends conscience que l'absent n'interviendra plus jamais dans la prise de décision. Toutes celles prises à deux afin qu'elles soient suffisamment sensées, équilibrées et raisonnables. Désormais il faudra me fier à mon instinct. Il y aura les choix, les opportunités que je devrais prendre en toute conscience. C'est à cet instant précis que le pas change.
Et puis il y a toutes ces rencontres qui vont considérablement changé ma façon d'être. Ces collisions humaines qui font changer le prisme de l'existence. Je m'affranchis peu à peu du consentement de l'absent. J'ouvre mes portes, j'écarte les bras et j'accepte enfin de recevoir. On vient pour moi. On s'adresse à moi et l'on partage avec moi de nouvelles cultures, des points de vue différents et une ouverture sur le monde devient infinie. Je n'ai pas de sentiments amoureux. Je savoure mon enthousiasme. Je suis vivante. J'avance enfin. Un pas après l'autre.
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