Deuxième anomalie (1/2)

3 minutes de lecture

Favre balança un coup de pied rageur sur le flanc du distributeur de confiseries du hall de l’hôpital, sous les rires moqueurs d’Alexia.

— Foutue machine !

— Doucement, elle ne marchera pas mieux si vous la cassez.

— Maintenance percussive, se contenta-t-il de répondre en donnant un coup vigoureux sur la vitre avec la paume de la main.

— Vous devriez arrêter, tout le monde nous regarde.

— Jeune fille, il y a deux sortes de gens ici : des malades qui passent leur journée à chercher un docteur, et des docteurs qui passent leur vie à soigner des malades. Ils se fichent pas mal des sévices que je peux infliger à ce distributeur.

Il se mit sur le côté, fit basculer le distributeur avec son épaule et le laissa lourdement reprendre son équilibre. Le son caractéristique d’une chute dans le bac de métal confirma la victoire indiscutable de l’homme sur la machine. Favre brandit son trophée devant le nez d’Alexia.

— Pas très concluante, cette visite si j’ai bien suivi votre échange avec Bekri, poursuivit-il.

— Je ne dirais pas ça.

— Et vous diriez quoi, alors ?

— Pas ça...

L’inspecteur préféra s’épargner une nouvelle démonstration scientifique et n’insista pas. Ils finirent de grignoter en silence.

La sonnerie du téléphone d’Alexia interrompit leurs réflexions. Elle décrocha par réflexe. S’ensuivit une discussion pendant laquelle elle ne fit que hocher la tête et répondre par une litanie de « okay ». Favre la dévisageait pour tenter de comprendre la teneur de cette conversation, dont il n’entendait visiblement que la moitié la moins intéressante. Il sentit néanmoins l’excitation monter chez la jeune femme. Elle raccrocha enfin.

— C’était l’équipe, à l’hôtel. Ils ont épluché des vidéos de la douane de St-Julien-en-Genevois et ils ont cru détecter des détails qui pourraient s’avérer dignes d’intérêt. Pour commencer, une grande proportion des victimes venait de Suisse ; on aperçoit leur véhicule sur la vidéo du parking, juste avant la douane française.

— Rien d’étonnant, l’A41 est avant tout l’axe principal entre Genève et Annecy.

— Non, effectivement. On y voit aussi qu’ils se sont tous retrouvés au niveau de la douane. Ils semblaient se connaître. On les voit discuter tranquillement, certains fument pendant que d’autres changent leur monnaie aux distributeurs automatiques.

Cet élément éveilla l’intérêt de Favre. Il la laissa continuer, certain qu’Alexia ménageait ses effets. En bonne mathématicienne, elle voulait dérouler sa démonstration jusqu’au bout. Il endossa le rôle du candide de bonne grâce.

— Très bien, ils se connaissaient, à la bonne heure. Et ça nous avance à quoi ?

— L’équipe a fouillé dans les dossiers des personnes identifiées sur la vidéo pour déterminer d’où ils se connaissaient. Et vous ne devinerez jamais ce qu’ils ont trouvé.

— Et je ne vais sûrement pas m’amuser à essayer, coupa Favre. Je vous écoute.

— Rien. Nada. Nichts. Aucun lien de parenté, pas d’employeur commun, des milieux sociaux différents, de tous âges, aucun n’habite la même région ! Vous pouvez vérifier sur les plaques d’immatriculation.

Favre devait admettre que ces détails piquaient sa curiosité.

— OK, donc on a des individus provenant de toute la France qui se retrouvent loin de chez eux, aux portes de Genève, après minuit. Ils reviennent probablement d’une soirée, ou d’un concert. C’est plutôt maigre, je ne sais même pas si on peut appeler ça une piste.

— Certes, dit-elle en haussant les épaules. Mais ça vaudrait le coup de savoir ce qui les liait, et ce qu’ils faisaient tous ce soir-là. Parce qu’ils sont tous morts, sans exception.

— Pas tous, répliqua Favre. Certains ont pu aller vers Annemasse ou Bellegarde. Dites à vos amis d’éplucher cette vidéo et de lister les plaques des véhicules qui n’ont pas été pris dans le carambolage.

— Je vais aussi voir avec mes contacts qui travaillent pour le Canton de Genève. Peut-être que je pourrai retracer leur chemin en Suisse.

— Et nous, on va remonter voir l’ami Bekri. Peut-être que nous trouverons un indice dans leurs effets personnels. On cherche des billets de concert, des cartes de visite, des tickets de caisse, tout ce qui pourrait nous aider à établir le programme de leur virée nocturne.

Ils retournèrent sur leur pas et appelèrent l’ascenseur. Ils tombèrent nez à nez avec le légiste, dont le visage avait perdu de sa bonhomie.

— Favre, tu vas trop loin, lança le médecin, rageur, je te laisse m’emmerder deux fois dans la même journée, je dois faire le guide pour ta copine, et toi, tu viens vider les poches des victimes sans même me demander. Tu dépasses les bornes. Je sais que tu les considères comme des pièces à conviction, et tu sais parfaitement ce que j’en pense, mais moi je dois les restituer aux familles. Alors, tu seras gentil de rappeler ton gars et de me ramener tout ça dans l’heure.

Favre et Alexia se regardèrent, abasourdis.

— Calme-toi ! De quoi tu parles ? Quel gars ? Je n’ai envoyé personne ! se défendit l’inspecteur.

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