Louve (2) - L’appât

5 minutes de lecture

Quelques jours plus tard, un jeudi pluvieux d’hiver, ils se retrouvèrent dans un café du XIIe, calme à cette heure matinale. Avec les horaires décalés d’Éric, il n’avait pas été simple de trouver un moment. Théo avait fermé son atelier pour la matinée, et Loreleï avait annulé un rendez-vous.

Loreleï arriva la première. Choisit une table au fond. Commanda un thé.

Éric arriva avec un homme. Grand. Mince. Cheveux châtains, courts, légèrement bouclés. Pas la démarche assurée d’Éric. Quelque chose de plus subtil. Il habitait ses gestes.

Ils se dirigèrent vers la table de Loreleï. Éric fit les présentations. Loreleï fit la bise à Théo. D’habitude, elle détestait ça. Mais vu ce qu’elle comptait lui faire… autant commencer poliment.

Après avoir commandé des cafés, ils parlèrent de choses anecdotiques. Puis Loreleï interrogea Théo sur son métier. Pendant qu’il parlait de sa passion pour la mécanique et les vieilles motos, elle suivait ses mains des yeux : des mains marquées par le travail, mais soignées. Quand il parlait, elle imaginait la force qu’il devait déployer pour soulever certaines pièces, et la dextérité dont ils devaient faire preuve pour en réparer d’autres.

« On l’a perdue. »

Éric sortit Loreleï de sa rêverie. Elle capta le sourire de Théo, qui décida de changer de sujet :

— Éric m’a dit que tu es directe. Curieuse. Et que nous avons un fantasme en commun.

Loreleï jeta un regard autour d’eux. Elle ne repéra personne à portée de voix. Elle glissa, comme on confie un secret :

— La morsure.

— Tu es soudain bien timide, Loreleï, la taquina Éric. Vous voulez aborder maintenant les détails ou vous préférez qu’on soit dans un cadre plus intime ?

Loreleï et Théo échangèrent un regard. Leurs mains se rapprochèrent, sans pour autant se toucher.

— On peut parler des grandes lignes ? Je voudrais savoir ce que tu aimes Théo, ce que tu attends.

— Ça me va. (Il plongea un instant dans ses pensées, avant de revenir vers Loreleï). C’est complexe et simple. D’un côté, il y a cette envie… ce besoin… de sentir que l’autre a envie de moi au point de me bouffer. Me sentir désiré. À l’extrême. Ça remonte à loin. Et d’un autre… J’ai eu un accident de moto, il y a quelques années. La rééducation a été longue. J’ai eu tout le temps de lire, de réfléchir. Tout en essayant de maitriser ma douleur. Avant de m’y abandonner. Maintenant, quand je suis mordu, quand quelqu’un plante ses dents dans ma chair, tout disparaît. La douleur devient plaisir pur. Je décolle.

— Tu cherches la douleur ?

— Pas en tant que telle. Je cherche la preuve que l’autre me désire assez pour me dévorer. Littéralement. C’est primitif. Animal. Parfait.

Les yeux verts et ambre de Loreleï brillèrent d’un éclat singulier. Regard de prédatrice. Les doigts de Théo se crispèrent sur la table. Loreleï murmura :

— Les marques ne te gênent pas ?

— J’adore les marques. Je les garde des jours. Je les regarde. Je les touche. Je me souviens. Et toi ? Qu’est-ce que tu cherches ?

— Je cherche à lâcher prise. À ne plus me retenir. Quand je suis excitée, j’ai cette pulsion. De mordre. Fort. Mes partenaires habituels supportent. Mais je sens qu’ils ont peur. Ou mal. Donc je me bride. Toujours.

— Avec moi, tu pourras. Je VEUX que tu mordes violemment. Je VEUX que tu laisses des marques. Je VEUX sentir tes dents s’enfoncer.

La voix de Loreleï devint plus grave :

— Tu me fais déjà envie et on s’est pas encore touchés.

Théo approcha sa main de la sienne. Leurs doigts s’effleuraient, sans se toucher tout à fait. Leur respiration commença à changer.

Éric les observait, le souffle tendu. Il posa sa paume sur la cuisse de Loreleï, sous la table. Pas de pression particulière. Juste là, chaude. Son pouce bougeait légèrement. Elle savait ce que cela signifiait : il était fasciné de les voir s’accorder. Ce moment de bascule, quand le jeu devient possible, était son œuvre.

Loreleï sentit que la phase de séduction s’achevait. Éric reprit son rôle de chef d’orchestre :

— Bien. Maintenant, les détails pratiques. Où ? Quand ? Est-ce que vous voulez tous les deux que je sois présent ?

Loreleï se tourna vers Éric, mais laissa sa main près de celle de Théo :

— J’aimerai chez toi. Ta chambre, ton lit à baldaquin… Pour la mise en scène à laquelle je commence à penser, ce serait parfait. Avec ta présence, si ça te va, Théo ?

— Ça me va. Je connais l’appartement d’Éric. Et j’ai envie d’avoir un témoin. Ça amplifie tout. Pour la date, je crois qu’on va surtout se caler sur le planning d’Éric. Et il faut le temps de faire des tests. Si on va jusqu’au sang…

— Tu as raison.

Théo poursuivit :

— Tu as parlé de mise en scène. Tu as déjà des idées précises ?

— Pas pour tout. Mais je sens qu’elles vont venir.

Son regard caressa le cou de Théo, avant de se poser sur son trapèze. Théo déglutit.

— Théo, ça te convient si je ne te donne que les détails qui te concernent et que je te laisse la surprise du reste ?

— Oui, Éric te connait. Je te fais confiance. Et nous aurons l’occasion d’affiner notre lien pendant l’accordement. On prévoit deux séances tous les deux et le final d’ici un mois avec Éric ?

Éric poursuivit :

— Vous voulez que je regarde ou que je participe ?

— Commençons juste Théo et moi. Et si on a envie que tu participes… on verra.

Théo acquiesça et enchaina :

— Loreleï, quelles sont tes limites ?

— Ta peau…

Un silence tendu prit place. Elle posa sa main sur la sienne, joua avec ses doigts. Éric relança :

— Loreleï, arrête de torturer Théo. Tes limites, Théo ?

  • Pas de limites sur la morsure elle-même. (Il se pencha légèrement) Mords où tu veux. Sans retenue. Sang ou pas sang. Mais pas le visage. Mes clients le verraient.

Loreleï hocha la tête. Heureusement, on était en hiver — un col roulé cacherait le reste. Théo poursuivit :

— Le cou, les épaules, le torse, les bras, les cuisses, les fesses… tout le reste. Et, toi, sexuellement ?

— Je voudrais prendre le temps d’y réfléchir. Je pense que j’aurais une idée plus claire quand on se sera accordés. D’un côté, mon désir de morsure est à son climax pendant la pénétration, quand les épaules dansent devant mes yeux, à portée de dents. Mais d’un autre… J’ai envie de quelque chose de spécial. Par contre… (elle marqua une pause). La fellation, c’est non négociable pour moi. Ça fait partie de la dévoration. T’es d’accord ?

Théo éclata d’un rire franc, qui remua le ventre de Loreleï :

— En effet, tu es directe ! C’est la première fois qu’on me le propose comme ça. Et oui. Plus que oui.

— Je ne veux pas que tu me mordes en retour. Je suis celle qui dévore.

— Pas de problème. Je ne suis pas mordeur de toute façon. Je suis… mordu.

Le mot resta suspendu entre eux. Loreleï sentit son sang battre contre ses tempes. Éric restait immobile, son café refroidissant sur la table.

— Loreleï… (Il sembla goûter la saveur de son nom.) On voit les détails, comme les mots d’arrêt, pendant les accordages ?

Elle acquiesça et Éric conclut :

— Je crois qu’on a tout abordé. Je serai là en régulateur. Si quelque chose dérape, j’interviens.

Théo se tourna vers Loreleï :

— Dimanche, chez moi ? Je ferme le garage.

Ils convinrent d’une heure et échangèrent leurs numéros. Elle nota l’adresse, son écriture un peu tremblante.

Dimanche.

Dans trois jours, elle pourrait sentir sa peau. Goûter, même.

Dans un mois…

Elle serra les cuisses. La main d’Éric sembla brulante.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire En attendant la pluie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0