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— Mon homme et moi n’avions pas encore d’enfant, malgré plusieurs années d’union. Alors, lorsque nous avons découvert que j’étais enceinte, il était si heureux que je n’ai pas réussi à lui avouer que je l’avais trahi. À la naissance, quel soulagement ! D’abord, elle est née lors de la période des naissances, comme tous les autres enfants, et non en dehors, ce qui arrive parfois avec les semi-sangs. Et puis elle est née sans cheveux, comme beaucoup de Zinaris. Et comme vous l’avez fait remarquer, son visage et sa couleur de peau, ainsi que ses yeux sont zinaris. Personne n’a eu de soupçon. Les Mumaraïs du temple n’ont rien trouvé à redire sur son aspect, et ils ont procédé à la cérémonie du nom, de façon tout-à-fait habituelle. J’ai cru que mon homme était bien le père, et non le … eh bien le Kyali… Mais quand ses cheveux ont commencé à pousser, il a compris ma trahison. Malgré le dégoût que je lui inspirais d’avoir été avec un Kyali, et par amour pour cette petite fille qu’il aimait, il a accepté de ne pas nous dénoncer aux Mumaraïs, mais il a disparu de nos vies. Je l’ai élevée seule. D’abord je lui ai rasé le crâne, aussi longtemps que possible pour ne pas attirer l’attention. Quand elle a été plus grande, j’ai prétexté la vermine pour expliquer la tonsure. Puis je l’ai habituée à porter le foulard. Nous avons déménagé plusieurs fois, contraintes de bouger quand mes mensonges devenaient trop laborieux, ou quand des curieux posaient trop de questions. Aujourd’hui, tout se complique. J’ai trouvé un bon travail, avec un logement. Mais Sethys est maltraitée par les autres enfants, il y a ses cauchemars, et maintenant qu’elle a six printemps…

Liska avait déversé son histoire d’une traite mais à cet instant sa voix se brisa et ses yeux se brouillèrent.

— Maintenant qu’elle a six printemps, les stigmates des semi-sangs ont poussé dans son dos, continua Ruben à sa place.

Liska hocha la tête pour confirmer, et essuya ses yeux avant que les larmes ne coulent.

— Je peux continuer à cacher ses cheveux, mais c’est plus difficile pour les bosses dans son dos. Les enfants sont si durs avec elle, j’ai peur que ça aille trop loin, ou qu’ils découvrent ses stigmates.

Ruben saisit la main de Liska avec douceur, mais ses mots furent implacables :

— Liska, vous avez commis un crime abject. Vous êtes allée avec un Kyali ! dit-il en secouant la tête d’indignation. Et malgré la gravité de votre faute, vous avez réussi à ne pas être condamnée, et à garder votre enfant jusqu’à l’âge de six printemps. Les Dieux vous ont accordé la chance d’avoir une fille dont le métissage est très discret, en dehors de ses cheveux. Votre condamnation est de passer le reste de votre existence à essayer de préserver la sienne. Je vous l’ai dit, je ne peux rien faire. Sethys n’est pas malade, elle est semi-sang !

Les larmes s’écoulaient désormais sans retenue sur son visage. Ce jugement, Liska se l’infligeait à elle-même depuis six ans, ainsi que la culpabilité, le dégoût d’elle-même, et la peur. Mais entendre prononcer la sentence par quelqu’un d’autre la rendait plus réelle encore.

— Je suis encore en âge d’avoir des enfants. Comme toute femme, je me dois d’essayer d’en avoir d’autres. J’honore chaque année la saison de la fertilité, mais il serait plus facile d’avoir un homme à la maison. Ce n’est pas possible à cause des cauchemars de Sethys. Si vous pouviez essayer de la guérir de ça, je pourrais m’arranger du reste. La garder enfermée à la maison par exemple. S’il-vous-plait.

— Je ne peux pas ! Je vous l’ai dit, elle est anormale : je n’ai pas accès à son esprit. Je ne sais pas si c’est dû au métissage. Je n’ai jamais eu à faire d’immersion sur un semi-sang jusqu’à aujourd’hui. Rares sont ceux qui atteignent cet âge-là, encore plus rares ceux qui peuvent sortir en plein jour pour venir jusqu’à moi. Je ne connais pas la cause de ses cauchemars. Aucune de mes pierres de soin, aucune plante ne pourra y faire quoi que ce soit.

— Essayez encore ! éclata Liska. Gardez-la quelques temps, jusqu’à ce que vous trouviez ! Le temps que les enfants du village oublient ce qu’elle a dit sur les voix qu’elle entend. Ou bien trouvez un remède qui fasse tomber ses cheveux, que je puisse prétexter une maladie ! Si je la ramène maintenant, tôt ou tard nous allons être dénoncées, et les Mumaraïs me la prendront…

Elle sanglotait franchement. Ainsi, c’était cela la vraie raison de sa venue. Elle voulait mettre l’enfant en sûreté.

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