Décision terrestre

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La communication fut coupée lorsque Mme Briley frappa du poing sur la table, provoquant une forte vibration qui fit chuter une pauvre tasse qui vivait sur le bord du bureau. Elle produisit un premier son cristallin en touchant le sol, suppliant quelqu'un de la sauver, puis explosa en morceaux après un ultime rebond, non sans déverser ce qui restait de son contenu par terre. La responsable pesta d'une voix furieuse en regardant les distorsions noires et grises sur l'écran qui ornait le mur face à son bureau, puis clama :

  • Superviseur ! Pourquoi la connexion est-elle coupée ?!

Elle ne pouvait contenir son mécontentement, une seconde tasse en fit les frais.

  • Analyse en cours, déclara l'intelligence artificielle de sa voix fluide et neutre.

L'oeil sur l'écran se ferma et se mit à briller en alternant les couleurs de l'arc-en-ciel, pendant que la responsable reprenait ses esprits. Elle lissa d'une main tremblante ses cheveux courts, qui avaient commencé une rébellion sur son crâne pendant la réunion, puis prit une profonde inspiration par le nez, et expira lentement par la bouche. Ces petits gestes qui lui permettaient en toutes circonstances de se recomposer eurent l'effet escompté, et si sa colère initiale bouillonnait toujours, au moins pouvait-elle présenter un visage indéchiffrable et digne. De son côté, Superviseur achevait son analyse en émettant une série de cliquetis mécaniques, à la fin desquels l'oeil s'ouvrit lentement.

  • Il semblerait que la Terre ait coupé la communication Madame Briley.

Cette dernière tapota nerveusement le plastique froid de son bureau du bout des doigts, déclarant d'un ton glacial :

  • Rétablis la connexion.

L'oeil se ferma à nouveau, et la quadragénaire dû attendre encore quelques minutes avant que la paupière sur l'écran ne se soulève de nouveau.

  • Il semblerait que je ne sois bloqué au niveau du satellite relais, Madame Briley. Pour des raisons techniques, je ne peux rétablir la connexion.

La responsable serra le poing, mais se domina avant de briser encore quelque chose. La Terre ne voulait pas l'entendre, pire : ces fichus bureaucrates lui interdisaient toute communication avec la planète-mère. Pour la première fois depuis sept mois maintenant, elle se sentit terriblement isolée, presque abandonnée. Son regard se tourna vers la liste de réclamation des employés, il effleura les demandes de budgets, avant de s'échouer sur la liste des fournitures urgentes, transmise ce matin même par le personnel médical et le gestionnaire des ressources alimentaires. Puis elle froissa avec violence la liste des objectifs de la mission avant de la balancer dans sa poubelle avec rage. Elle prit son sac, son porte-documents dans lequel elle fourra pêle-mêle tout le travail du jour et quitta la pièce en ruminant. Les lumières s'éteignirent automatiquement à son départ, et Superviseur ferma son oeil sur l'écran.

Mme Briley traversa toute la tour au pas de course, préférant les escaliers aux ascenseurs. Elle ne voulait ni attendre, ni passer une seconde dans son ridicule tas de ferraille qu'on nommait ascenseur privé. Elle descendit près de dix étages d'une traite, avant de devoir reprendre son souffle. Depuis combien de temps n'était-elle plus allée courir ? « Trois mois. Trois mois sans courir ou faire le moindre sport en salle. » A son âge, il n'était pas étonnant qu'elle ne soit plus capable de descendre aussi vite qu'avant sans un entraînement régulier. Elle ravala un juron, puis sa fierté, pour passer la porte qui donnait sur le couloir du 15ème étage. Fort heureusement, il était vide à cette heure de la journée, puisque personne n'y résidait et que l'équipe n'était pas de garde cette nuit. Mme Briley crut se souvenir que le 11ème, ainsi que le 20ème étage assuraient la permanence. Peu importait, tant qu'elle ne croisait personne, ils auraient aussi bien pu être de garde sur Vénus qu'elle ne s'en serait pas plus préoccupé ce soir. La quadragénaire pantelante attendit donc impatiemment que l'ascenseur arrive, ce qu'il fit environ quatre minutes plus tard. Elle monta dans la confortable cabine, et se posa sur la banquette qui avait été installée au fond pour souffler. Après sept minutes de voyage qui lui parurent une éternité, elle sortit de l'ascenseur, traversa un petite dizaine de couloir pour rejoindre son lieu de résidence, dans le sous-sol de l'immeuble où elle travaillait.

Comme toujours quand elle rentrait, personne ne lui souhaita la bienvenue. Elle pensa d'abord que sa petite famille était couchée, puis le mot posé en évidence sur la table la détrompa.

« Comme personne ne savait quand tu rentrerais, Lise est restée dormir chez son amie Marie avec Louise. « Je suis au labo et je rentrerai sans doute tard, ne m'attends pas ce soir.
« Bises,
« Franck »

Elle lut et relut ce message, et chaque fois il lui paraissait plus froid et distant. Elle savait que son couple battait un peu de l'aile, et pensait que son mari ne lui avait jamais vraiment pardonné d'avoir un travail aussi prenant. Néanmoins elle aurait espéré un peu de soutien, d'autant qu'il savait parfaitement que la réunion avec la Terre aujourd'hui traitait du lourd sujet qu'est le ravitaillement. Elle déchira le mot en petites miettes avec fureur, avant de se sentir soudain écrasée par cette horrible journée. Elle laissa tomber ses affaires au sol, pour aller prendre une douche brûlante qui, elle l'espérait, saurait la détendre un peu. Elle en ressortie plus épuisée encore, peut-être même plus déprimée. Il n'y eu pas de tergiversations ce soir, elle se laissa tomber dans son lit et s'endormit comme une masse. Demain, elle aurait le temps de penser à ce qu'elle dirait aux colons, et comment elle leur annoncerait que le ravitaillement tant attendu de la Terre ne viendrait pas ce mois-ci non plus. Elle devrait alors affronter les foudres des médecins, qui lui diraient qu'elle n'avait pas assez insisté pour obtenir ce qu'ils demandaient. Puis ce serait au tour des restaurateurs, qui demandaient depuis trois mois l'envoie d'ingrédients, mais surtout de l'eau pour remonter les stocks qui devenaient dangereusement bas. Pour finir, l'ensemble des colons qui attendaient du mobilier, des outils, du courrier de leur famille terrestre ou qui à l'inverse, souhaitaient envoyer des choses sur Terre. Mme Briley se doutait que peu importait la façon dont elle l'annoncerait, ce nouveau report serait une catastrophe pour leur petite communauté. Comment allait-elle pouvoir leur expliquer que les exécutifs terrestres demandaient des résultats avant d'investir plus ? Cela l'amena à ce demander si leurs vies valaient moins que le carburant d'un aller-retour aux yeux des terriens.

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