Promenade nocturne

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Marc flottait dans une bulle de savon rouge. Il se sentait incroyablement bien, détendu comme il se permettait rarement de l'être, quand soudain la bulle se rétrécie autour de lui jusqu'à lui toucher l'épaule en appelant son nom. Curieusement, la bulle avait la voix de Franck ; ce qui fit sourire Marc tandis qu'il marmonnait un ensemble de mots qu'il ne parvenait pas à comprendre lui-même. La bulle souffla avec agacement, puis reprit une taille normale, tandis que Marc se remettait à flotter doucement.

Franck choisit de laisser son collègue dormir, bien que cela lui coûte énormément. Il brûlait d'envie de partager sa découverte, ou du moins sa potentielle découverte, mais il ravala cette déception en se disant que ce léger contretemps lui permettrait d'approfondir ses recherches en comparant les relevés des mois précédents. Il regarda l'heure avant de s'y mettre : « Déjà deux heures du matin ! » Le peu de temps restant avant la fin de la nuit le décida. Si Marc ne se levait pas avant quatre heures, il devrait le réveiller de force ou partir seul. Il fallait dans tous les cas qu'il songe à un moyen de convaincre son ami de l'accompagner, ou à défaut, le persuader de ne pas le dénoncer. Il se posa devant son ordinateur, et entra rapidement dans un logiciel bien trop compliqué, mais qui avait cependant démontré au scientifique son utilité à de nombreuses reprises. Il passa les heures qui suivirent à préparer son plan, afin qu'il soit parfait, et que Marc ne puisse pas refuser de le suivre dans sa folie.

Une main ferme secoua l'épaule du plus jeune des deux scientifiques, une main qui semblait bien décidée à le réveiller coûte que coûte. Marc émergea de son rêve, et tourna son visage bouffi de sommeil vers celui qui l'empêcher de se reposer. Franck avait le regard brillant, et le brin de malice qui se cachait au fond de sa pupille n'annonçait rien de bon. Il ne put retenir un rire en voyant la marque du clavier sur la joue de son ami, qui avait maintenant l'alphabet imprimé en relief sur son visage. Lui qui voulait rester sérieux fut obligé de se détourner en gloussant comme le derniers des idiots,on pouvait parler d'un commencement sur les chapeaux de roue pour l'expédition qu'il souhaitait mettre en place. Marc quant à lui voyait d'un mauvais oeil ce rire et répliqua, vexé par le comportement de son camarade :

  • Je peux savoir ce qu'il y a de drôle à réveiller un pauvre chercheur au milieu de la nuit ? grogna-t-il.
  • C'est juste... Non rien, oublie.

Franck prit sur lui pour se calmer, évitant de regarder la moitié gauche du visage de Marc pour ne pas repartir dans un fou rire incontrôlable. Il se racla la gorge avant de reprendre plus sérieusement, mais surtout avec un air penaud, comme s'il s'excusait d'avance de ce qu'il allait dire.

  • Ne t'énerve pas tout de suite, mais j'ai découvert quelque chose de... Enfin...

Le scientifique tourna la tête de tous les côtés, puis fit signe à Marc de garder le silence en lui mettant entre les mains les documents qu'il avait traités. Il se dirigea vers la sortie pour enlever sa blouse, le temps que le jeune homme les lise. En lisant les documents, le jeune chercheur devint de plus en plus pâle, et ne cessait de revérifier les calculs pour s'assurer que ce qu'il comprenait était bien réel. Il s'apprêtait à adresser la parole à Franck lorsqu'il vit le petit mot en pattes de mouche :

« Je ne peux pas laisser cette découverte à un autre, et j'ai peur de ce qui pourrait se produire si on rend ce rapport public sans savoir de quoi il retourne réellement. Est-ce que je peux te faire confiance ? »

Marc réfléchissait à toute allure, il était flatté que Franck lui fasse suffisamment confiance pour partager sa découverte avec lui, pourtant ce qu'il venait de lire pouvait impliquer la sécurité de l'ensemble de la base. Sa raison clamait que c'était la pire idée qu'il ait jamais entendu que d'aller voir par eux-même de quoi il était question, mais toute sa logique fondit quand il croisa le regard plein d'espoir et d'excitation de son collègue. Il se leva pour enlever sa blouse, en déclarant à Franck qu'il était fou d'accepter.

  • Plus on est de fous plus on rit ! déclara joyeusement le père de famille avant de sortir de la pièce pour aller prendre l'ascenseur, en direction la zone d'équipement.

Ils rejoignirent cette dernière en à peine huit minutes, et sans croiser personne puisqu'ils évitèrent les grands couloirs et les ascenseurs. Le binôme entra dans le vestiaire, et chacun d'eux enfila sa tenue le plus rapidement possible. Marc insista pour contrôler qu'ils étaient bien équipés avant de sortir, au grand dam de son ami qui trépignait en arguant qu'ils n'avaient pas le temps pour cela. Le jeune homme refusa de lâcher le morceau, et découvrit que le câble d'alimentation d'air de Franck avait été mal branché dans la précipitation. Il put fort heureusement le remettre, et se dit que s'il n'avait pas accompagné son camarade ce soir, on aurait retrouvé devant les portes le cadavre de M. Briley le lendemain matin. Cette pensée le fit frissonner, et il se dit que la maladresse de Franck finirait par lui attirer de graves ennuis.

  • On est bons, tu peux entrer dans le sas. Je te suis, affirma-t-il une fois les ultimes vérifications achevées.
  • Parfait, en avant ! s'écria le chercheur, en pénétrant dans le sas d'un pas sûr.

Contrairement à sa femme, Franck était parfaitement habitué à sa combinaison et n'avait aucun problème à se déplacer avec. Ce soir, son euphorie à l'idée de confirmer sa découverte lui faisait totalement oublier le poids de son scaphandre. Il flottait sur son petit nuage, et ne doutait pas une seconde qu'ils reviendraient ici auréolés de gloire et de connaissances nouvelles. De son côté, Marc fermait la porte interne du sas et ouvrait la seconde, en se demandant combien de temps il faudrait pour que Superviseur les dénonce ou fasse retentir l'alarme dans tout le bâtiment. « C'est quoi déjà la punition pour ce qui est d'enfreindre le couvre-feu ? » pensa-t-il, avant de se rappeler que la responsable avait été claire là-dessus : «Ah oui, l'interdiction à vie de sortie. ». Il ne restait plus qu'à prier pour qu'ils ne se fasse pas prendre, parce que Marc aimait bien sa petite vie tranquille, et il se demandait encore comment Franck avait pu le convaincre de l'accompagner.

Le jeune scientifique suivit son aîné, en tentant de faire un semblant de conversation pour combler le silence ambiant :

  • Où va-t-on ?
  • D'après mes calculs, on en a pour au moins quarante minutes de marche dans cette direction, fit-il en pointant une zone complètement déserte et à l'extrême opposé de l'emplacement de la base.
  • Tu es vraiment sûr qu'on va y trouver l'origine de ces vibrations ? demanda encore Marc, qui cherchait inconsciemment à se rassurer, son coeur battant la chamade.
  • Je ne peux pas vraiment l'affirmer tu sais, mais disons que j'ai 98,7% de chance d'avoir raison en temps normal. Mais comme tu as vérifié après moi, je suis personnellement certain que nous trouverons quelque chose. Je me demande juste, quoi ?

Il était curieux de découvrir ça, mais sentait sa poitrine se serrer. Il avait malgré tout peur de ce qu'ils pourraient trouver. Le silence s'établit entre eux pendant le reste de la marche, Marc était trop occupé à calmer les battements désordonnés de son coeur pour vouloir parler, tandis que Franck profitait simplement de la vue nocturne martienne, bien plus étoilée que sur Terre. Juste avant que les deux chercheurs n'atteignent l'endroit désigné, Marc craqua et posa la question qui le taraudait depuis près de vingts minutes :

  • Pourquoi Superviseur n'a pas encore fait retentir la moindre alarme, alors que nous sommes dehors ?

Son ami prit une seconde pour répondre, comme s'il cherchait les bons mot pour ne pas choquer le jeune homme. Cependant il ne voyait pas comment il aurait pu tourner ce qu'il avait fait de manière assez esthétique pour que Marc ne s'insurge pas, aussi laissa-t-il tomber une réponse incomplète, mais proche de la réalité :

  • J'ai désactivé nos montres.

Marc Stelitch, s'arrêta net, d'un coup parfaitement réveillé par les paroles de son camarade, ce qui fit se retourner celui-ci. Il déclara d'un ton furieux que Franck ne lui avait encore jamais entendu :

  • Tu te fous de ma gueule ?! Tu es en train de me dire qu'on est deux pauvres cons à se balader, de nuit, au milieu de Mars vers une destination à moitié connue, pour chercher une chose dont on ne sait pas ce que c'est et que personne ne peut nous localiser ?! Mais t'as complètement perdu la tête !

Marc n'était pas seulement furieux, à cela s'ajoutait sa peur et sa fatigue, qui lui mettaient les nerfs encore plus à fleur de peau. Il avait néanmoins parfaitement raison, et Franck ne put que baisser la tête d'un air coupable.

  • Je sais que c'est pas la meilleure idée, mais si on rentre maintenant tu peux être sûr que non seulement on va se faire attraper, mais qu'en plus on aura rien découvert ! Merde Marc, c'est peut-être la seule chance qu'on aura de voir par nous-même ce qui se passe là-bas.

Le jeune chercheur se sentait trahi, mais qu'est-ce qui lui avait prit de suivre ce lunatique ? Il se voyait déjà, mort quelque part dans ce cratère, pendant que tout le monde le pensait en train de dormir dans son logement de fonction. Il se sentait complètement débile, et pourtant, sans qu'il puisse lui-même se l'expliquer, il se remit en marche derrière Franck en déclarant d'une voix orageuse :

  • Je te promets que si ça n'en vaut pas la peine, je déménage de laboratoire dès que je sors d'isolement.

Franck poussa un soupir de soulagement, et espérait de tout coeur qu'ils trouveraient quelque chose. Il ne voulait pas voir le dernier de ses collègue le quitter.

  • Compris.

Ils atteignirent le bord du cratère après encore une dizaine de minutes de marche. Une faille d'environ deux mètres de hauteur et un peu moins de largeur s'étirait dans la roche rouge, face à eux. Les scientifiques se regardèrent d'un air entendu, puis allumèrent les lampes de leur scaphandre avant de pénétrer dans la montagne.

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