ACHLUOPHOBIE

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Je sais bien que cette peur-là est une peur d’enfant, mais son nom est tout sauf enfantin, l’achluophobie.

Et la sensation qu'elle diffuse dans mes veines est bien au delà de la frayeur, elle est la frayeur.

Quand j’étais petite fille, ma grande sœur s’amusait à me faire hurler en éteignant simplement l’interrupteur de notre chambre commune quand je me trouvais au milieu de la pièce. Elle rallumait en soufflant et en ricanant :

- Oh, là, là tu n’as qu’à faire un pas pour allumer, faut pas exagérer quand même !

- Tu verras quand je te ferai manger une araignée avec ses pattes poilues, t’auras qu’un pas à faire pour ne pas croquer dedans, faudra pas exagérer quand même !

Je retrouvais illico presto ma prestance de sale gosse dés que la lumière fusait.

Et je devenais le cri de Munch en une fraction de seconde dès que l’obscurité m’enveloppait de ses bras de fantômes. Faut vous dire que les ombres sont nombreuses dans le noir de la nuit, les morts aussi sont tous là et les âmes trucidées et humiliées cherchent avec tout le désespoir perdu une vivante ou un vivant capable de les entendre pour enfin mourir pour de bon.

Et moi, j’étais (et je suis toujours d’ailleurs) cette vivante-là, celle qui voit ceux qui n’en finissent pas de mourir derrière les murs, qui entend les râles et les supplications, les appels au secours, qui ressent les pressions des doigts des squelettes démantibulées, qui touchent l’horreur du bout des lèvres. Atroce ! Imaginez les souffles et les secrets que j’entends chuchotés dès que l’opacité m’enveloppe, imaginez et criez avec moi, vous n’aurez pas le choix.

Mes parents, au début, ont haussé les épaules et puis les cris horribles qui sortaient de ma bouche ont gagné.

- Docteur, elle nous fiche la frousse la petite, vous pensez qu’elle est folle ?

- Je ne pense pas, c’est plutôt courant à cet âge là.

- Oui mais sa sœur n’est pas du tout comme ça.

- Voyez vous, elle est plus sensible et plus…comment dirais-je imaginative. Quand elle vit quelque chose de terrible, d’effrayant, l’amygdale enregistre tout. Puis à chaque épisode dans le noir, l’enregistrement se réactive et la peur revient. Et peut-être plus forte à chaque fois.

- Que pouvons nous faire ?

- Il y a des thérapies comportementales qui donnent de bons résultats, il s’agit de se confronter petit à petit à la peur pour l’apprivoiser en quelque sorte.

- Ah non alors, moi je veux pas, j’ai dit à ce médecin de malheur. Je ne veux pas apprivoiser cet animal là, jamais, vous m'entendez, jamais !

Je n’ai pas voulu, j’ai résisté. Je ne sais pas comment cela a été possible. Les morts, aussi terrifiants qu'ils étaient, m'avaient appris la détermination et à croire à mes intuitions.

Aujourd’hui, je ne suis plus une enfant. La peur est toujours là et n’a pas perdu de son intensité. J’ai tenté un « rebirth », et une renaissance abominable a surgi du passé : j’aurais été un garçon de huit ans en 1941 dans le ghetto de Varsovie…

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