Alek - 2.3
— Alek, je ne te savais pas friand de ce genre d’expérience, dit Amicia dans l’esprit du magister.
— Tous les goûts sont dans la nature…
— C’est ce qu’on dit.
S’exprimant cette foi avec sa voix, Alek répondit à dame Bénévent.
— Une fille et une chambre feront l’affaire.
— Une en particulier ?
Non, fit Alek de la tête.
— Bien, alors Vitya devrait être disponible. Allez salle dix-neuf, répliqua la maquerelle en les invitant à approcher d’un geste de main.
Les deux magisters quittèrent la pièce emplie de fumée de Kyffür et avancèrent à présent dans un nouveau couloir. Un corridor toujours aussi sombre, un passage obscur et long. Ce dernier était flanqué de part et d’autre par des portes où des numéros étaient inscrits. Certains par un petit signe métallique imitant l’or tandis que d’autres l'étaient par une écriture quand les nombres avaient été enlevés ou perdus.
À mesure que les deux agents impériaux avançaient dans le couloir, les chiffres défilaient dix, douze, quatorze… À chaque fois les mêmes bruits intimes venant de leurs occupants.
— Tu as senti quelque chose, entendit Alek
— Quatre hommes dans la numéro seize, répondit-il.
Passant devant la pièce en question, Alek et Amicia continuèrent leur chemin comme si de rien n’était. Ils arrivèrent bien vite à la chambre qui leur avait été désignée et Alek saisissant la poignée entra suivi d’Amicia.
L’appartement, comme tous ceux qui devaient l’entourer, était modeste. Un simple lit aux proportions moyennes siégeait en son centre et vers le mur opposé à la porte, Alek distinguait une personne.
Elle se trouvait assise tournée vers une table où un miroir tout aussi petit qu'elle était accroché contre la paroi à sa droite. Voyant les arrivants entrer dans la chambre, la femme se plia pour prendre quelque chose dans l’un des tiroirs et renifla avant de lâcher ce qu’elle venait de saisir.
De par son expérience, Alek savait qu’elle consommait la même substance que les hommes de la première salle. Utilisé non évaporé, le Kyffür avait moins d’emprise et d’intensité, mais agissait tout de même.
Alek put s’en rendre compte lorsque la fille se leva pour les rejoindre tandis qu’Amicia fermait la porte. Elle venait de se droguer et affichait des yeux tristes, le magister pouvait le voir derrière le masque d’apparats qu’elle semblait avoir revêtu face aux potentiels clients qu’ils étaient. Le psychotrope devait lui donner la force d’exhiber son sourire malgré son existence plus que difficile. Elle ne devait pas dépasser la vingtaine, être trop jeune pour son destin peu enviable en ce lieu et Alek eut de la peine pour elle. Mais il n’était pas là pour l’aider, mais tout de même, il allait essayer de ne pas lui causer trop de problèmes.
Pendant que la fille prenait place sur le rebord du lit, avec un regard aguicheur comme elle avait dû apprendre à le faire, Alek et Amicia laissèrent tomber leurs longs et lourds manteaux civils. Dessous, ils étaient munis de vêtement serré pour leur permettre de se mouvoir avec aisance. Chacun des deux magisters était équipé de bandoulière ou holster en cuir aussi noir que le reste de leurs habits. Amicia qui sortait un couteau de sa botte désigna à Alek la femme assise derrière lui qui avait dû reconnaître leurs insignes.
Alek acquiesça et se rapprocha d’elle alors qu’elle reculait effrayer.
— N’aie pas peur, commença-t-il. Rien ne va t’arriver, fit-il en entrant cette fois dans son esprit plutôt facilement pour la calmer.
À présent, à porter, il la saisit et l’endormit en la serrant contre lui avant de la déposer délicatement sur le lit.
— Tu aimes un peu trop endormir les gens contre leur gré, dit Amicia qui avait maintenant un pistolet à la main et un couteau dans l’autre.
— Concentre-toi au lieu de dire n’importe quoi, répondit Alek en avançant vers la porte d’un pas rapide.
Alek sortit son revolver après avoir dégrafé son holster, il passa dans le couloir et suivi par Amicia. Il progressait d’une démarche assurée, son arme au clair. Lorsque l’une des salles à sa gauche s'ouvrit, Alek fixa l’homme de son regard et, effrayé, ce dernier recula en se barricadant après le signe d’Amicia de rentrer.
Tous deux arrivèrent bien vite vers la chambre seize, c’était la seule où Alek avait senti la présence de plus de deux personnes. L'unique pièce où il n’y avait que des "clients". Si les réponses qu’ils recherchaient devaient être à un endroit, c’était bien là. Le magister et Amicia se mirent en position de part et d’autre de la porte à pas de loup et armèrent leur pistolet.
Alek fermant les yeux posa sa main sur le mur contre lequel il était et Amicia attendit prête à ses côtés. Il pouvait percevoir la présence des hommes dans la pièce. Deux d’entre eux étaient autour d’une table, leurs esprits amusés par leur jeu de cartes. Il affina sa concentration, Alek sentit les deux autres. L’un, les pensées plus fortes à la fenêtre, à cran, et un second couchés dans un lit rêvant à une existence bien différente de la sienne.
Alek revenant à lui vit le regard d’Amicia. Il lui fit comprendre la disposition des personnes dans les lieux par des signes et attendit son accord pour agir. Tous deux savaient que les quatre suspects devaient être armés, tout comme eux. Qui plus est, ils étaient bien mieux entraînés.
Alek se mit alors face à la porte. Inspirant une grande bouffée d'air, il se prépara et donna un coup de pied qui l'enfonça.
Les gonds cédèrent en un instant et le magister entra dans la foulée. Mêlant ses pouvoirs et son adrénaline, tout se passa au ralenti dans son esprit.
Les quatre membres de la faction dans la pièce affichaient des expressions confondant surprise et colère face à l’apparition d'Alek dans leur quartier. Les deux hommes à la table tentèrent de se lever de leur jeu de cartes. Mais bien trop tard, Alek qui avait surgi l’arme au clair fit feu. Le pistolet émit un flash lumineux et son mécanisme éjecta son projectile et sa douille. La balle vint faucher l’un des deux comparses de jeux en perçant son épaule. Il chuta à terre en criant.
Tandis que son camarade tombait, le deuxième renversa la table et se mit à couvert en cherchant son propre revolver qu’il devait avoir rangé contre sa ceinture.
Amicia, rentrée au côté d’Alek, avait quant à elle tiré sur l’individu émergent du lit et de ses rêves. Son réveil fut de courte durée, il se redressa un pistolet à la main juste à temps pour s'écraser au sol cette fois d’un sommeil bien éternel quand les balles d’Amicia vinrent prendre sa vie.
Le dernier des quatre membres de la faction, celui à la fenêtre, qui avait été épargné jusqu'ici par les premiers échanges, se saisit d'un fusil à double canon qui se tenait contre le mur. Il lâcha un, FUMIER ! de sa voix la plus audible avant d'actionner la détente de son arme. Il vida ses cartouches dans une gerbe orangée de plombs.
L'ayant anticipé, Amicia s’était placée face à Alek. juste entre le magister et l’assaillant. Sa main libre bien tendue alors que la grêle de balles volait vers eux. Le gant qu’elle portait brûla au même titre que les projectiles qui fondaient devant elle. Arrêtés comme par enchantement, par une sorte de bouclier invisible et pourtant bien efficace.
Quand le nuage de plomb fut passé, seul restait le bras d'Amicia, le gant totalement consumé et le tatouage violet et lumineux sur sa peau.
L’homme derrière la table qui avait enfin mis la main sur son arme se releva, mais Alek poussa Amicia et tira. Le membre de la faction fut stoppé par le pistolet d’Alek. Il le cloua au sol lui aussi.
Face à la scène de carnage qu’il y avait devant lui et avec son fusil déchargé, le dernier individu de la faction encore en état se tourna vers la fenêtre. Il la brisa et se jeta dans le vide pour fuir la maison de passe et les deux magisters.
Annotations