Malden - 7.1

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Depuis les prémices de la matinée, Malden vaquait à son triste devoir. Celui-là même qui succédait à chaque affrontement. Il avançait dans les tranchées en reconnaissant les visages familiers de ses soldats. Les rats pullulaient à nouveau sur le sol maintenant que le calme avait pris après les combats. Ils avaient ressurgi de leurs nombreuses cachettes pour zigzaguer entre les jambes des hommes qui les chassaient à la première occasion venues. Ils pataugeaient tout comme les impériaux dans la boue et le sang. On pouvait leur faire confiance quant à la tranquillité du moment, ils avaient des sens plus aiguisés que les soldats. Ils profitaient de ce moment d'accalmie et les combattants les imitaient tout simplement.

Un plaisir naturel envahissait Malden chaque fois qu'il découvrait l’un des membres de sa section qu’il pensait morts. Certains, plus que d’autres étaient meurtris et aidés par leurs camarades. Des bandages souvent douteux se trouvaient comprimés contre leur blessure en imbibant le tissu d’une couleur bien rouge. Malden préférait les savoir dans cet état que de mettre la main sur les objets de sa quête. Ce fut les absents et les colliers d’identification qu’on lui tendait à chaque rencontre qui chagrinait le lieutenant Devràn. Le moindre d’entre eux se voyait être comme un coup douloureux porté au jeune officier qui cherchait à ne rien laisser paraître. Les plaques venaient finir dans le petit sac que tenait Malden. Les soldats s'unissaient ainsi une dernière fois avant de disparaître à jamais dans l'anonymat de ce conflit industriel ou la mort n’était réduite qu'à des chiffres.

Malden n’était pas le seul agent de mort qui allait à la rencontre de soldats.

Certains brancards charriaient des dépouilles couvertes par leur veste comme unique linceul. Malden espérait un traitement honorable pour ces défunts soldats, mais son arrivée au front lui avait montré le sort réservé aux simples hommes de troupe. Les servants d’Ashai accompagnaient certes les disparus parce que ce devoir leur incombait. Mais leur office exclusivement cérémoniel se trouvait qu'illusoire, car c'étaient les fosses communes qui attendaient les corps de tous ces braves combattants. Ces prêtres, ces formes toutes habillées de noir, fendaient la foule en silence. Une aura inquiétante émanait d’eux. Malden les regardait passer comme la curiosité qu'ils étaient.

Les servants du culte d’Apolion quant à eux, hommes comme femmes, apportaient leur aide aux vivants en contribuant aux soins des soldats. Ils écoutaient les personnes encore choqués par le combat ou accompagnaient les mourants durant leur dernier instant en procurant un peu de compassion à cet univers de douleur.

La triste quête du lieutenant se poursuivit un bon moment parmi les brigades durement éprouvées. Et ce, jusqu'à ce que son nez sentît quelques odeurs cassant la monotonie du champ de bataille. Ce fut comme si Malden n'était plus habitué à autre chose que la mort à présent, mais un fumet aguicheur planait dans la tranchée malmenée par les affrontements.

Au détour de son chemin, Malden tomba sur le grand Colm ainsi que quelques hommes de la section qui entouraient une marmite bouillante. Leur attention était toute captée par le réconfortant repas qui se profilait et ce ne furent pas les gargouillis des ventres se plaignant de la faim qui allaient dire le contraire.

— Lieutenant ! s’exclama Colm en voyant son supérieur.

Le géant se relevait pour faire face à l’arrivant d'importance.

Maden serra la main tendue par son mécanicien et observa chacun des soldats prenant place.

— Venez donc là, poursuivit le géant. Les membres de la cinquième section ont trouvé le garde-manger des unionistes ( son regard semblait triste durant un instant). C'est à croire que nos journaux disent des fadaises sur nos ennemis. Ils ont l’air bien mieux approvisionnés que nous. Regardez ! Il y a même de la viande qu'on a troquée contre l’une de nos armes.

Malden, qui relevait la tête de la marmite, fixa Colm.

— Troqué !?

— Heu… oui, enfin avec les chenillards perdus on n'allait pas se trimballer plus de mitrailleuses que nécessaire.

Il se grattait la tempe en feignant l'innocence. Les combattants qui entouraient Malden s'étaient complètement arrêtés en le fixant.

— C'est fâcheux pour nos armes, mais j’espère que la soupe sera bonne au moins.

Tous rigolèrent comme libérés par leur supérieur qui ne les réprimait pas.

La lourde marmite de fonte noire était suspendue au-dessus des planches qui avaient jadis appartenu aux défenses de la tranchée. Les soldats avaient allumé un brasier sur ces derniers et les flammèches orangées léchaient le fond du large contenant. Le liquide marron qui prenait place se voyait secoué par des bulles qui faisaient remonter des parties de viandes suspectes. L'odeur semblait par contre faire oublier cette notion à tout le monde. Les impériaux regardaient avec envie le grand mécanicien touiller l’épais mélange de sa baïonnette.

Colm se trouvait tout appliqué à sa tâche, il gardait la marmite tel le lait sur le feu. Trempant une louche que lui confia l'un des hommes, il goûta la mixture et paraissait conquis rien qu'à observer la mine réjouie qui éclairait son visage. Avant qu’il ne savoure une seconde fois la soupe par gourmandise, l'un de ses compagnons lui donne un coup de coude.

— J’en oublie presque ses manières, se défendit Colm en regardant à nouveau son supérieur.

Mais alors que le géant tendit la louche à Malden, le lieutenant la refusa en montrant le petit abri non loin d’eux. Colm et les hommes se retournèrent vers les quelques soldats endormis. Souriant, le mécanicien laissa tomber la louche et se mit à réveiller l’un de ces hommes.

La plupart avaient veillé durant la nuit pour surveiller toute réaction des unionistes, mais ce ne fut pas un simple fantassin que Colm réveilla en premier. D’un bourru coup de pied, il rappela au monde l'aîné de la section.

Le médecin grimaça en se redressant du sol. Il replaçait sur son nez ses habituels lorgnons, il observa d’un œil hagard Colm. Parmi les hommes présents, Milo avait bien gagné le droit de manger en premier. Si les autres avaient protégé leurs camarades durant la nuit, c'était bien le vieux toubib qui l'avait passé à soigner ses frères d'armes. Peu de soldats n’avaient pas connu les mains de Milo que ce soit pour une blessure de guerre ou les tracas du quotidien.

Le médecin suivit l'invitation de Colm et s’approcha de la marmite. Son regard traduisait aisément sa mine peu enchantée et sa déception lorsqu’il scruta la popote de Colm. Il devait déjà penser aux microbes qui pullulaient dans le chaudron.

Pour ne pas froisser le cuisinier du jour, et bien évidemment poussé par sa propre faim, Milo avala la soupe. Il le fit timidement au début avant de manger la nourriture bien volontiers.

À cela, les hommes présents se jetèrent sur la marmite pour avoir leur part. Les cantines d’acier se remplirent en nombre. Les sourires et autres signes de joies apparurent sur les visages des soldats. Colm, un contenant dans chaque main, vint se porter aux côtés de son officier et lui tendit tout fier le repas.

La nourriture avait été rare depuis leur arrivée en train. Quelques plats froids amenés par des cantines mobiles avaient composé leur alimentation. Enfin. Quand elles leurs parvenaient. Cette soupe chaude s'apparenterait au premier vrai dîner du lieutenant depuis voilà bien trop longtemps.

La cantine fumante entre les mains de Malden réchauffait ses doigts et bientôt son corps.

Le mécanicien s’était surpassé, les nombreuses touches et fragrances qu’on retrouvait dans un repas civilisé se rappelaient presque au jeune officier. Il profitait pleinement de cet instant. Les discussions et rires se multipliaient autour de lui. Mais comme dans toute chose fragile de ce monde, la réalité se remémora aux membres de la section.

Cela se matérialisa par des sifflements et explosions proches. Des bruits maintenant familiers pour Malden.

Les soldats firent voler leurs cantines pour trouver refuge contre les parois des tranchées. Tous savaient ce qui se passait et Malden imitait ses hommes. Les obus secouèrent à nouveau le champ de bataille. L'ouïe du lieutenant fut entièrement troublée. Le choc des projectiles soulevait la terre et remuait les impériaux jusqu’en leur for intérieur. Les bombardements avaient cette capacité à figer le moindre être sur place, de les stopper dans la peur et le traumatisme.

Le martèlement semblait sans fin, bien plus important que les préparatifs qui avaient précédé les derniers assauts. Malden subissait ce moment comme chacun des hommes, espérant ne pas se trouver sur la trajectoire des obus qui retournaient tout autour de lui.

Le lieutenant Devràn avait perdu toute notion de temps.

Quand la pluie d’acier cessa, les défenses déjà éprouvées par les propres armes impériales ne ressemblaient plus qu'à un champ de ruines. Les soldats émergeaient des couverts encore hébétés, mais ils n’eurent pas un instant de répit. Un grondement lointain s'élevait en prenant toujours plus d’importance.

Chacun se regardait dans la tranchée. Les mots ne furent pas nécessaires, car tous réagissaient de la même façon. Les fusils furent ramassés et les combattants coururent en direction des positions faisant face au nord.

La masse d'individus qui se pressait autour de Malden était cette fois mue par la peur. L’atmosphère avait changé du tout au tout. Le lieutenant et ses hommes pouvaient le sentir, la crainte telle un poison insidieux avait contaminé le moindre soldat.

Les quelques machines en état, et contenant encore du carburant, étaient allumées. Les sifflets résonnaient ainsi qu’une cacophonie de cris incompréhensibles.

Malden rallia bien vite les défenses allouées à sa section, il grimpa sur le marchepied de la tranchée et observa la plaine qui prenait place. Une masse d'individus se dirigeait vers eux, secondée par une foule d’automates de toute taille ou forme. Leur bruit remuait les entrailles du lieutenant. Le spectacle coupa Malden de toute réaction, de toute réflexion. Il se trouvait simplement sous le choc. Figé par la force qui fondait sur eux. Jamais il n’avait vu autant d'hommes portés par la haine et la vengeance.

— Que les ombres m'emportent, fit un soldat aux côtés de Malden. Ils vont nous balayer.

Il n’avait pas tort.

— Nous devons tenir, donner du temps à l'arrière pour se rendre compte de la réaction adverse. Avec un tir, nourrit-on devrait pouvoir les ralentir.

Mais avant que le lieutenant Devràn ne puisse continuer sa phrase, une corne de brume résonna à travers tout le champ de bataille comme pour trahir sa parole. Dans le ciel de puissantes et impressionnantes formes d’acier fendaient les nuages pour apparaître face aux yeux terrifiés des soldats de l’Empire. Ils dominaient l’armée lancée à la charge des positions impériales. Malden apercevait des scintillements. Des jeux de lumière au sommet des tours des cuirassiers qui transmettaient les ordres. Quand ces échanges prirent fin entre les bâtiments, leurs canons commencèrent à chanter et la litanie se mua en une averse de plomb pour les troupes d'Aldius.

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