Alek - 9.1

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Une ambiance survoltée entourait le magister.

Alek se trouvait assis sur l’une des nombreuses petites chaises de bistrot qu'il occupait. Il était en face d’une des fenêtres du bâtiment et observait l'attroupement qui envahissait la rue. La glace de mauvaise facture donnait une vision trouble des choses à Alek. Il voyait ainsi une masse noire se déverser dans la voie. Sa tête lui faisait mal. Chaque cri lancé heurtait son esprit et ses pensées.

L’alcool de la veille embrumait encore ses sens.

Ses mains entouraient la tasse grise qui contenait sa boisson chaude. Les émanations fleuries venaient se porter à son nez qui appréciait chacune des notes coupant avec le fumet nauséabond qui planait habituellement dans les niveaux inférieurs de la ville.

Il était commun pour les habitants de la cité nation de prendre des breuvages ou autres substances stimulantes. Mais il semblait qu'en ce matin, même les réputées herbes des provinces du sud n'arrivaient pas à donner ne serait-ce que l’ombre d’un sursaut d'énergie à Alek.

Le magister après avoir goûté une nouvelle fois son remontant, recula en faisant grincer sa chaise. Il observait le bistrot dans lequel il se demeurait. Parmi les quelques âmes qui avaient accosté ce lieu de réconfort, Alek apercevait les piliers de bar posés nonchalamment sur leur trône attitré. Ils étaient en pleine discussion sur l’antique comptoir en bois ou couraient leurs nombreuses consommations. Le tenancier, un homme à la barbe fournie, surveillait les différents échanges de sa clientèle. Sa serveuse, une énergique petite femme, naviguait avec des plats et boissons destinés aux tables occupées autour d’Alek. Son chemin l’amena également vers le magister.

Elle lui apportait une cruche fumante et se mit à remplir la tasse qui avait gentiment commencé à se vider. Alors qu’il la remerciait, Alek observa la porte d’entrée s'ouvrir pour faire apparaître une arrivante bien particulière. Il reconnut bien vite la chevelure d’ébène d'Amicia. Elle s'acclimata la petite salle et quand ses yeux croisèrent ceux d’Alek, un plaisir certain se dessina sur son visage. La magister rejoignit son camarade.

— Et bien, commença-t-elle. On dirait que certains ont passé une nuit agitée.

— Hum, chacun s'occupe comme il l'entend. Non ?

— Évidemment.

Le regard d’Amicia recelait un brin de malice. Il devait être bien différent de celui d’Alek dont la fatigue devait laisser planer des cernes au-dessus de ses joues.

— Et que t'ont amené tes pérégrinations nocturnes si ce n'est pas indiscret ?

Alek se redressait sur sa chaise et se rapprocha d’Amicia, qui fit de même en étant bien sûr intriguée.

— Tu te rappelles de ce que nous avait dit ce “bon” De Wriss ?

— Une histoire de sang bleu, de manigance dans les ombres et de caisses d’armes non signalées si je ne me trompe pas. Il n'arrêtait pas de parler de nouveaux joueurs dans la lutte de pouvoirs des niveaux inférieurs.

— Tout à fait, il avait évoqué quartier Jeandin. J'ai donc mené ma petite enquête sur ce point. Il se trouve que j’ai appris la localisation du repaire occupé par le mystérieux groupe qui tourmente notre Dükhess.

— Ha bon !?( Amicia fronçait les sourcils) Et comment ?

— J’ai eu ces quelques confirmations d’une de mes sources.

— D’où la courte nuit… Cette fameuse source, peut-on lui faire confiance ?

— Oui

La réponse était simple. Pour Amicia, il ne lui suffisait que l’approbation d’Alek pour croire à la véracité des faits. Le magister le savait. Amicia remerciait la serveuse qui lui apportait une tasse avec le même remontant qu’Alek.

— Il va falloir convenir des préparatifs alors, tu as prévu d’y aller quand ?

— Aujourd’hui.

La chose semblait figer les traits d’Amicia. Il y avait de quoi. Après tout, le moindre milicien ou membre de la garde allait être bien occupé par la course des spires. Ils n’allaient avoir aucun renfort. L’idée ne l’enchantait guère. Alek n’avait nul besoin de lire dans l’esprit de sa partenaire. Il le sentait simplement et voyait le visage fermé d’Amicia.

— On sera seul…

— Je le sais bien. En temps normal, j’aurais également refusé toute aide autre que les hommes de mon père. Si on fait appel à d'autres que nous, je suis sûr que nos cibles entendront parler d’une descente avant même que nous la mettions en place. DeWriss nous a bien dit que les grandes maisonnées étaient peut-être liées à tout ça. Nul ne peut être de confiance à présent.

— Je ne te savais pas craintif des autres nantis.

— Non, mais le raisonnement est simplement logique.

— Juste... Donc tu prévois d’y aller discrètement ?

— Bien sûr. Cette affaire n'a que trop durée. Je veux découvrir la vérité. Pourquoi un superviseur d’usine a été mis au silence, pourquoi l’un des Dükhess les plus retors paraît effrayé et enfin pourquoi cela se déroule vers les quartiers dirigés par ma famille.

Amicia semblait soucieuse.

— Ça risque d'être dangereux…

—Comme souvent.

Alek lui souriait d’un léger rictus.

— On y va ?

— Après toi, lui lança Amicia alors qu’elle lui emboîtait le pas une fois sa tasse entièrement vide.

Alek avait abandonné quelques marks sur la table. L’illusion de calme et la luminosité tamisée du bistrot laissèrent place à un tout autre monde quand les magisters passèrent la porte d’entrée pour rejoindre la rue. Telle une rivière canalisant son eau, elle laissait un flot presque infini de citoyens se diriger vers les étages intermédiaires de la cité nation. Il y avait de tout dans la foule. Un panel d’habitant des plus larges. Nombreux étaient ceux à porter des signes de ralliement à leurs camps. Cela allait des brassards aux cocardes de chapeau en passant par les bannières ou banderoles. Tous étaient aux couleurs des familles nobles. Certains blocs compacts de sympathisants soutenaient également des tambours qui se voyait utilisés avec force, des chants résonnaient pour partager ne serait qu’une once de la gloire des coureurs.

Alek s'était déjà quelque peu remis de sa nuit, il se contentait de se masser la tempe en longeant la rue. Amicia le suivait de près et les deux magisters s'enfonçaient à contre-courant.

De lourds engins volants passaient au-dessus d'eux pour gagner leur position avant le début du spectacle. Ils devaient emporter les nobles et bourgeois qui avaient raté les barges-tribunes les plus importantes. Les vrombissements qui se répercutaient dans la voie étaient tout aussi impressionnants que ces mastodontes. Nombre de citoyens baissèrent la tête face à la bourrasque qui secouait la rue. Certains se plaignaient en lançant des noms d’oiseaux bien propres à ce niveau de la ville. Un vendeur de journaux avait son petit chariot d’acier renversé au sol et il courait dans tous les sens pour récupérer les nombreuses feuilles de sa gazette qui volaient.

Alek tenait proche de son visage les bords de son long manteau pour se protéger. Il avançait en silence, l’esprit ailleurs. Ses pensées se trouvaient toutes tournées vers son affaire. Les différents morceaux du véritable puzzle qu’était son enquête ne cessaient de défiler dans son esprit. Mais il ne repérait pas encore de lien. Il se mouvait telle une ombre en ne parlant pas.

Les deux magisters déambulèrent ainsi un long moment à travers les rues bondées. Les jours de fête dans la ville d’acier étaient rares et tous semblaient se réjouir d’un court répit dans leurs dures vies de labeur.

Au bout de deux petites heures, l’allée changeait devant Alek, les bâtiments d’habitations se mélangeaient à de vastes entrepôts ainsi qu'à des usines qui supplantèrent bien vite tout le reste. Les cheminées se multipliaient sur les toits. Les rues se clairsemaient avec la population qui vidait les lieux. Tous devaient tenter de se masser au plus près des spires et des engins qui allaient disputer la course.

Tandis que Malden déambulait avec Amicia dans cette zone de manufactures désertes, tous deux entendirent des vagues d’ovations venant du ciel. Les choses se précisaient. Quand les magisters aperçurent l’usine Gravefer, le bruit des appareils naquit au-dessus d'Aldus. La lutte aérienne commençait. Alek contrairement à la cité nation avait son regard braqué sur le sol et non sur les cieux. Ses pas se faisaient plus réfléchis. Il longeait le bord des voies par discrétion. Amicia semblait être sa parfaite doublure.

Pour s’approcher au plus près du bâtiment indiqué par Néphiline, Alek dut se faufiler dans les courtes allées qui séparaient les gargantuesques manufactures. Il fut toutefois stoppé au détour de l’un de ces passages lorsque ce dernier déboucha sur une vaste place devant l’usine Gravefer. L’endroit était d’ailleurs tout sauf abandonné. Une grande activité y régnait.

Alek laissait sa tête dépasser du mur de briques noircies où il se tenait et observa la zone. Comme dans l'entrepôt de leur récente descente, le lieu se trouvait rempli de caisses en tout genre. À ceci près que cette fois les contenants de bois se couvraient de nombreux logos allant de l’armée aux milices des familles. Le fait le plus étonnant pour le magister fut la présence du blason Devràn dans un emplacement qui leur était si étranger.

Plus Alek observait les occupants de l’usine en pleines tâches, plus sa mission semblait se complexifier. Il y avait simplement trop de personnes. Le magister tourna la tête quand il sentit la main de sa coéquipière sur son épaule. De ses doigts, elle lui montrait le haut toit du bâtiment industriel. Des passerelles reliaient les différentes fabriques de la zone en connectant chaque édifice par d’étriqués et fins passages au-dessus du vide.

Sans plus de mots, les deux magisters se mirent à l'œuvre.

Ils entrèrent dans l’usine avoisinante à pas de loup.

Dans le bâtiment, il n’y avait pas de bruit à part les rats qui couraient entre les machines et fourneaux inertes. Amicia fut la première à découvrir une échelle et Alek, qui la suivait, fut au bout d’une interminable montée sur les toits de la manufacture. Le vent soufflait à travers les tôles percées qui servaient de protection à cet endroit de travail. Une attention et une rigueur toutes particulières étaient de mise pour éviter les traîtresses parties rouillées de leur chemin surélevé.

Amicia en tête s'engagea sur la voie menant à l'usine Gravefer. Sur son visage, Alex percevait le même doute. Le pareil manque de confiance quant à cette passerelle encore en plus mauvais état que leur chemin précédent. Le premier pas qu’elle posa sur la mouvante surface d’acier orangée ne lui donna pas plus d'entrain. Ses mains saisirent les chaînes de la structure avec une bonne poigne et elle se mit à avancer. Alek respira et souffla avant de se lancer à son tour au-dessus du vide.

Le lointain sol de dalles rouges lui donnait le tournis. La distance était conséquente et le magister se força à garder son regard sur le toit qui lui faisait face. Alek tentait de réagir à chaque coup de boutoir du vent. Il jouait comme il pouvait pour garder son équilibre. Quand il fut arrivé à l'autre bout de la passerelle, Alek put se décontracter. Ses muscles crispés se calmèrent une fois ses pieds fermement posés sur la surface stable du bâtiment. La cour vue juste avant était pleinement visible et devenait d’un coup encore bien plus grande et peuplée.

Le bâtiment principal était dans un triste état, les fenêtres étaient orphelines de tout vitrage et parfois barricadées par des planches. Les volets, qui jadis, les protégeaient, étaient au sol. Presque aucune lumière ne sortait de l'ouvrage. Tout semblait être fait pour garder la moindre chose secrète dans cet impressionnant bâtiment. C'était un édifice en friche, abandonné selon son aspect extérieur. Mais Alek le sentait. Ce n'était qu'une duplicité, une façade pour les activités cachées en ce lieu.

Les magisters qui déambulaient dans les parties supérieures communiquaient en chuchotant quand ce n’était pas par signe. La bâtisse aux traits délaissés ne portait que bien mal ses atours. S'il y avait nombre de chargements dans la cour, ce n’était rien comparé à l'intérieur de l’usine. Les caisses couvraient chaque parcelle des niveaux. Le sol avait été contrairement aux façades bien entretenues. De nombreuses planches rapiéçaient les surfaces. Les labyrinthiques enchevêtrements de contenants permettaient aux deux magisters de se mouvoir sans difficulté, car nombre de personnes allaient et venaient dans la fabrique. Il y avait également, au plus grand étonnement d’Alek, un service d’ordre qui opérait des patrouilles des plus appliquées.

Quand Alek et Amicia trouvèrent un coin plus désert de l'usine, ils se mirent à ouvrir l’une des caisses. Le magister fit signe à sa camarade de garder un œil sur le reste de l’étage. Il décala sa longue veste et saisit un couteau qu’il plaqua rapidement contre le verrou du contenant. D’un geste sûr et rapide, Alek fit sauter ce dernier dans un bruit métallique. Tous deux demeurèrent figés en tendant l’oreille. Le son ne semblait avoir alerté personne. Attiré, Amicia rejoignit Alek qui ouvrait la caisse.

Leurs yeux intéressés se portèrent sur les formes de nombreux fusils, Alek, qui avait empoigné de l’un d’eux, l’inspecta. Son état était impeccable et quand il vérifia les poinçons des troupes de Sa Majesté, il vit que l’acier des armes se trouvait exempt de tout marquage. De tout numéro.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Amicia, qui chuchotait de sa voix la plus basse, contrôlait également ces produits de contrebande.

Les lois impériales obligent aux familles et aux unités officielles de frapper leurs réalisations. Si toutes les armes de cet endroit n’en présentent pas, nous devons avoir là…

— De quoi équiper un grand nombre d’hommes sans avoir de lien aux fournisseurs.

Et sans que cela ne soit inscrit aux registres.

— Nom d’un… Tu penses vraiment que l’une des maisonnées se cache derrière ça !?

— Dure à dire. Les caisses semblent comporter une pléthore d'emblèmes différents.

— Ça peut être un stock créer à la hâte.

— Juste, où ça pourrait être une couverture, histoire de brouiller…

Le magister n’eut pas le temps de finir sa phrase que du bruit se fit entendre non loin.

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