Malden - 2.1

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Le drapeau impérial brodé de son aigle doré flottait au gré du puissant vent qui balayait la cité nation. Le tissu ballotté dans tous les sens claquait contre son haut mat. Il était le seul de la place d’armes occupée par la brigade Kempfer et surplombant les rangées de soldats au garde-à-vous juste en dessous. Ils noircissaient la cour de leurs uniformes bleu sombre.

La totalité des combattants demeurait en position, bien serré tandis que certains des officiers traversaient les allées formées entre les hommes de troupe. Ils observaient chaque personne de leur regard sévère en corrigeant la posture des imprudents qui osaient se permettre le moindre défault dans leurs tenues ou attitudes.

Les véhicules blindés, les chenillards, étaient eux aussi alignés en bon ordre. En plusieurs files juste derrière les soldats, tournés droit vers la sortie des lieux. Chacune de ces machines était d'apparence nette, soignée comme leurs équipages et n’attendant que leur baptême du feu au front. La peinture granuleuse de l’acier encore intact et complet différait avec l'endroit bien vétustes. Les mécaniciens des engins couraient et bougeaient en tous sens, apprêtant les montures pour la parade et la guerre. Ils se pressaient ainsi sur la coque des véhicules et vérifiaient la bonne tenue des diverses cargaisons accrochées aux blindages.

Tout ce petit monde était regroupé dans la place d’armes qui demeurait face au hangar à présent vide. Soldats, équipages de chenillards et bien sûr officiers en second étaient réunis dans l'attente du départ. Les gradés les plus importants de la brigade étaient quant à eux sur une estrade sommaire composée de caisse et autre contenant. Une installation qui avait dû être assemblée pour permettre au dirigeant du corps de s’adresser solennellement à tous ses hommes avant leur jonction avec le reste des troupes du défilé.

L’individu le plus visible de la tribune, celui richement paré d'un uniforme aux touches dorées et prenant place au centre, fut celui que Malden avait reconnu au premier regard. Il s’agissait du général de brigade Kempfer. L’officier principal de leur groupe armé et la personne qui allait les mener au combat face aux Unionistes.

Le gradé dont la nature était reflétée par ses habits et sa prestance s’était avancé des rangs que ses seconds formaient. Kempfer observait de son regard lourd la foule qui se tenait face à lui. Ses hommes et soldats.

De sa voix assurée et forte, il entonna son discours. Texte sûrement préparé et appris à l’avance, mais malgré tout impactant. Tous buvèrent ses paroles et semblaient réceptifs à l'allocution mêlant astucieusement encouragement et rappel au devoir. L'évocation de leur engagement indéfectible dans l’armée de Sa Majesté l’Empereur Ovidius.

Malden qui n'écoutait que d'une oreille examinait au même moment les hommes qui l‘entouraient. Tous avaient les traits tirés, non pas qu’ils aient entrepris de nombreuses manœuvres et exercices les jours précédents. Mais cela était plutôt dû à la nuit arrosée qu’ils avaient tous passé pour fêter leur départ. Soirée que Malden avait lui-même vécu en compagnie de ses frères. Tous tenaient bon, se tenaient bien droits au garde-à-vous pour ne pas être rappelés à l'ordre par les officiers qui naviguaient parmi eux. Malden encore un peu groggy tentait bien sûr de faire bonne figure, coincé entre ses soldats et ses supérieurs. Pris entre deux feux pour ainsi dire.

Le ton du discours fut soudain bien différent et le général de brigade semblait conclure.

— Je ne finirais que sur une chose messieurs. C’est un honneur de partir avec vous et je n’attendrais pas moins de vous que ce que je serais moi-même prêt à faire, sachez-le bien. Que Sol et Ashai bénissent l’Empereur. Que la guerre nous soit favorable.

À ces derniers mots, une clameur balaya la foule ordonnée de soldats tandis que Kempfer quittait son estrade suivi par sa horde d'officiers en second sous les hourras des combattants.

ALDIUS ! ALDIUS ! ALDIUS ! rugissaient-ils en coeur.

L’ambiance changea en un instant au moment où les célébrations faiblissaient, les moteurs des chenillards commencèrent à se faire entendre. Les machines d’acier comme réveillées d’un sommeil trop long grondèrent au début. L’allumage à manivelle que les équipages actionnaient avec force dans leur habitacle était audible à travers toute la cour.

Les ronronnements des engins furent de plus en plus importants et bientôt de larges volutes de fumée noire furent expulsées des échappements de chacun des véhicules à mesure que ceux-ci s'éveillèrent.

À cette vision, les officiers lancèrent leurs instructions et les hommes se pressèrent. Tous allaient récupérer leurs bardas empilés juste à côté des râteliers à fusils qui se vidaient alors à vue d’œil.

Malden comme ses pairs s’activa et les soldats formèrent plusieurs colonnes bien ordonnées non loin des murs d’enceinte. Face à l’important portail où figurait le numéro de chacune des brigades qui avaient occupé les lieux au fil des années.

À présent droit devant ses combattants, Malden observait le ciel. Ce dernier s’était dégagé et une lumière forte inondait la ville, et ce, depuis le matin. Les bancs de vapeurs jaunâtres étaient moins présents qu’à l’accoutumée.

Le lieutenant Devràn fut rappelé à ses obligations lorsqu’un bruit, si ce n’est pour ne pas dire une cacophonie de son en tout genre emplit la rue en face de la cour.

Il s’agissait du défilé démarré depuis une bonne demi-heure. Les premiers arrivants du cortège militaire furent les hussards de l’armée avec leurs couleurs battantes fièrement à l'avant de la colonne. Ces fils de nobles ou nantis étaient parés de riches habits dorés aux teintes bien nettes, en presque totale différence des uniformes des soldats de rang. Les cavaliers pilotaient de hautes machines d’aciers bipèdes qui martelaient les pavés de leurs pattes. Chacun de ces soldats revêtait un shako noir floqué en son centre de l’aigle impériale. Leur couvre-chef était ensuite terminé d’une plume blanche symbole de leur classe faite à l’école militaire de cavalerie des niveaux supérieurs.

Les impressionnants engins passèrent ainsi face aux membres de la brigade qui restèrent figés. Dans un subtil mélange de respect et d’incrédulité devant ces étonnantes machines et leurs riches pilotes. Malden aurait pu rejoindre ce corps « d’élite ». Mais comme son ami Adrian, ils savaient que ces hommes-là allaient être économisés et grandement épargnés. Utilisé plus à titre ostentatoire qu’à réelle fin militaire, une ultime carte à jouer pour le commandement. Un destin bien loin de ce que l’honneur d’un Devràn ou Ryther exigeait.

Les machines bipèdes filèrent les unes après les autres juste en face du hangar jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Vint ensuite une troupe bien plus grande. Les importants blocs d’infanterie qui se dessinaient face à Malden et aux siens étaient les corps d’armée des colonies. Les engagés « volontaires » qui avaient été désignés par les gouverneurs de ces lointaines possessions d'Aldius pour aller se battre au nom d'une cause les dépassant. Ils composaient ici des groupes de piétons plus qu’impressionnants et remplissaient les quotas d'appelés imposés aux magistrats des dominions impériaux.

Leur uniforme comparable à ceux de la brigade Kempfer était pourtant nettement moins coloré, encore plus terne et en clairement moins bon état.

Tous ces hommes arboraient sur le bras gauche un bandeau jaune signifiant leur origine coloniale si mal vue par les habitants de la cité nation et les hauts dignitaires de l'Empire qui ne voyaient en eux qu'une ressource de plus.

Ces blocs d’infanterie s’arrêtèrent juste à l’entrée de la place d’armes. Leurss officiers, évidemment sans marquage, stoppèrent les combattants de leurs sabres pour laisser la brigade Kempfer suivre des hussards impériaux. Beuglant leur ordre de leurs voix fortes pour se faire entendre de la vaste colonne qui noircissait la rue jusqu’à l’horizon.

Ils avaient freiné le corps colonial pour céder les honneurs aux troupes de la ville, plus prestigieuses. Pour les voir défiler et embarquer en premier dans les transports qui les attendaient aux premiers niveaux. Et ce, comme une sorte d’accablement supplémentaire envers ses hommes pour leur endroit de naissance.La brigade de Kempfer se mit donc en marche dès que la petite fanfare qui avait surgi des hangars commença ses notes de musique. De manière éparse et en total désaccord au début. Puis à l’unisson au fur et à mesure de leur marche qui s’approchait des grilles et du véhicule du général .

Le bruit de la musique ne fut pas laissé seul bien longtemps et bientôt le sol trembla lorsque les chenillards du groupe de commandement de Kempfer bougèrent. Les officiers, dont le général de brigade, dépassaient des écoutilles supérieures des engins. Ils trônaient au sommet de ces bêtes d’acier et semblaient les chevaucher tels les tableaux de l’Ancien Monde où les grands combattants étaient dépeints de manière grandiose sur leur monture.

Lorsque les transports des huiles eurent passé la grille et engagé leurs lentes progressions dans la rue, ce fut au tour des hommes de troupe qui emboîtèrent le pas à la fanfare.

Les colonnes des soldats se mirent en branle en un instant. Battant bientôt le pavé des allées de leur botte militaire dans une marche mariant rigueur martiale et exaltation pour cet instant plus que spécial.

Dès que les membres de la brigade évoluèrent dans la rue, la population les accueillit comme il se devait. La foule encourageait les combattants en partance pour le front, pour l’Empire, pour « eux ». Dans cette atmosphère où s'entremêlait la puissance du public et celle de la troupe en arme, Malden ressentit comme un élan de fierté le prendre. Il serra son poing ganté et réaffirmant l’emprise de sa main sur le sabre attaché à son ceinturon, il menait la marche devant sa section. Le visage droit et orgueilleux.

Les bords de la chaussée grouillaient de monde, et ce même pour une rue secondaire. Les fenêtres des bâtiments étaient en grande partie volets et vitres ouvertes. Qu’elles soient carrées, rondes ou de toute autre forme. Qu’elles soient au premier ou dernier étage, les occupants qui en sortaient ajoutaient leurs voix et applaudissements au vacarme ambiant.

Si l’exaltation des citoyens était impressionnante dans cette voie, elle n’était rien comparée au bain de foule qui les attendait dans l’artère principale de la ville.

Lorsque la colonne fit irruption dans la rue d’Azur, un assourdissant rugissement de cloches et de sirènes retentit dans toute la cité nation, suivis d’une vibrante ovation qui coupa le souffle de tous les soldats du défilé. L’allée était littéralement pleine à craquer, envahie par toute la population débordant d’allégresse.

Tous ces gens s’agitaient en tous sens, notamment ceux occupant le même sol que les militaires. La garde maintenait avec difficulté son cordon de sécurité. Une tâche délicate que ce service d’ordre officiel penait à accomplir, presque dépassée. À tel point que les milices des grandes familles avaient été appelées en renfort. Les uniformes bleus de la garde se mêlaient ainsi à ceux de chacune des maisonnées qui épaules contre épaules formaient un mur dense de corps pour faire barrage à la foule criarde.

Derrière les hussards et véhicules qui ouvraient le défilé venait la fanfare de la brigade exécutant solennellement la majestueuse marche impériale.

Les différentes sections composant les troupes de Kempfer arrivèrent ensuite en rang net précéder de leurs chenillards toussotant leur fumé noirâtre. Ils maintenaient un rythme lent qui mettait à mal les moteurs de chacun des engins.

Puis ce fut le tour de l’infanterie coloniale. La dernière roue du carrosse dans cette troupe armée. Les porteurs d’étendard des diverses places d’origines de leur membre flottaient en tête en dirigeant une foule compacte de soldats. Un bloc d’homme dense d’où seule dépassait une forêt de fusils et baïonnettes.

Ainsi agencé, le défilé militaire imitait à la perfection la pyramide sociale de l’Empire.

Le regard de Malden était rivé sur les individus qui le précédaient, appliqué à maintenir ses pas précis de parade. Concentré malgré la chair de poule qu’il avait ressentie face à la puissance de la foule. De temps à autre, ses yeux s’aventuraient sur les citoyens qui encadraient la voie. Chaque visage était différent, mais à chaque fois des expressions de joie s’affichaient. Des réactions même arboré par les enfants en nombre qui passaient leur tête entre les lignes formées par les hommes de la garde.

Mais si on faisait plus attention aux bords des rues, le tableau magnifique de ces mines radieux était brouillé par endroits. On pouvait subitement apercevoir des personnes tristes ou en colère. Des figures qui ajoutaient une touche sombre de ce joyeux rassemblement. Tout n’était pas aussi réjouissant et net que de prime abord.

Les bouilles enfantines rappelaient au lieutenant Devràn l’époque où lui-même observait ce genre de défilé militaire. Ce type de processions armé congratulé par les habitants de la cité nation. À ceci près qu’en tant que fils de nobles, Malden n'avait que rarement foulé les pavés de la route. Il occupait l'un de ces dirigeables gradins que les nantis peuplaient pour survoler la rue. Pour rester à distance de la grouillante masse de travailleurs.

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