Malden - 3.1

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La lumière du jour accueillit Malden avec toute la rudesse du monde réel.

Ses yeux à demi ouverts luttaient encore pour grappiller la moindre seconde de repos et tandis que son esprit émergeait, il entendit bientôt les nombreux bruits ambiants qui le tirèrent toujours plus de son salvateur repos. Les idées embrumées par ses rêves à présent bien lointains et le dos marqué par le difficile cuir de la banquette qu’il occupait, le lieutenant Devràn se décida malgré tout à se relever pour s'asseoir.

Il enleva le couvre-chef qui lui avait jusque-là protégé les yeux, il acclimata ces derniers face aux faisceaux de lumière qui traversaient les rideaux de la fenêtre en chassant l’ombre environnante.

Malden se redressa bien vite et reprit son équilibre après avoir été à deux doigts de tomber tel un homme trop ivre de fatigue. Adrian était encore prisonnier de ses songes face à lui étendu de tout son long sur sa banquette. Son manteau de sous-officier tiré sur lui comme un drap, ayant également sa casquette sur le visage.

Malden sourit face à ce paisible spectacle et se dirigea vers la fenêtre latérale de la petite pièce. Écartant le tissu protecteur de la vitre, la lumière baignait cette fois l'entièreté du compartiment en réveillant, avec des grognements de gêne, Adrian. Malden appréciait quant à lui le paysage qui défilait.

La civilisation semblait absente du panorama. Il n’y avait devant lui que la nature et toute sa puissance qui recouvraient les quelques vestiges de l’Ancien Monde encore debout en de nombreux grands et hauts bâtiments écroulés.

— Bonjour à toi aussi, fit Adrian qui s’était enfin levé plus par contrainte qu’envie.

— Qui a-t-il ? Le confort de notre chambrée ne t’a pas satisfaite ?

— Très drôle le comique…

— Allez, la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt !

— La première fois où l’on m'a servi cette blague, je ne l’avais déjà pas trouvé très drôle.

Adrian se mit debout et s’étira comme un chat en réveillant la moindre fibre de son corps avant d'être également attiré par le paysage environnant.

Le vert dominant se mélangeait avec le marron de la terre et le gris des vieilles constructions. Les bâtiments des anciens, déformés par le temps et la guerre qui faisait toujours rage sur Céresse, étaient comme d'innombrables sculptures toutes tordues. Les hommes. Les hommes détruisaient tout et laissaient d’indélébiles traces témoins de leur néfaste passage.

L’attirance hypnotique prodiguée par les paysages fut vite coupée lorsque Malden se décida à bouger. Le voyage avait déjà duré quelques semaines. Logé et nourri par l’Empire au sein de ses plus prestigieux trains. Douce ironie dispensée par les puissants de la cité-nation qui envoyaient Malden et ses camarades mourir en des terres bien lointaines. Périr dans une guerre qu’ils avaient depuis leur plus tendre enfance appris à désirer sans pour autant en connaître les véritables causes. Les vénérables et grisonnants membres de l’assemblée sacrifiaient les jeunes comme eux pour ainsi profiter un peu plus longtemps de leur système. Pour qu’ils puissent combattre leurs opposants et tourner l’attention de tous vers un ennemi commun.

Le train réduisait sa vitesse…

— On doit être bientôt arrivé, fit Malden à son ami.

Mais avant qu’Adrian ne réponde, le transport siffla en des notes répétées et lentes.

Les deux jeunes hommes, se regardant, comprirent ce que cela signifiait. Enfilant leurs longues vestes d’officier et leurs casquettes. Les deux soldats quittèrent ce qui avait été leur chambre durant cet interminable voyage. Malden ferma la porte coulissante du compartiment et renonça une fois pour toutes à la pièce et son ancienne vie.

Le couloir de leur voiture était bondé. Il fallait jouer des coudes pour se frayer un chemin dans cette horde de gradés. Les hommes, les jeunes se pressaient en tous sens pour rejoindre la boucherie, pour aller à leur propre mort avec une joie des plus perceptible.

Malden suivait Adrian à travers la fille de wagons. Tous deux durent parcourir quelques voitures avant de trouver une porte moins populeuse leur permettant de descendre et le quai qui les accueillit fut bien différent de celui qui les avait vus quitter la cité-nation. Nulle pierre, nul solide bâtiment, mais bien de la boue, des défenses et des tentes en un bien mauvais état.

Les nombreux hommes qui avaient peuplé le train se déversaient à leur tour sur ce qui s’apparentait à un champ de désolation. Le chaos prit bientôt place et tandis que les sifflets résonnaient avec force, Malden saisit celui qui était attaché à son manteau et joignit à ce véritable capharnaüm.

Sa voiture était l’une de tête dans l'impressionnante et oh combien longue machine qu’était le train, il fut ainsi obligé de marcher aux côtés des rangs de soldats qui se formaient au garde-à-vous de manière nette et précise comme ils l’avaient appris. Son regard traversait les carrés agencés par les combattants pour chercher les membres de son unité. Peu nombreuses avaient été les fois où il avait pu converser ou même simplement voir ses hommes durant le voyage. Celui qu'il remarqua en premier fut le grand Padduck qui s’élevait au-dessus de tous ses camarades de presque une tête. Il les reconnut tous et souriant prit sa place devant eux en observant Adrian continuer sa route pour trouver son unité.

À présent immobile, Malden observait pleinement le spectacle que lui offrait son environnement. Un véritable petit camp jouxtait la voie de chemin de fer. Quelques groupes de combattants allaient et venaient entre les tentes qui formaient les rues du camp. La boue, il n’y avait que ça à perte de vue maintenant et ceux qui marchaient le faisaient avec difficulté. Accroché à chaque pas par cette substance tenace. Les soldats locaux n’avaient rien en commun avec les hommes de la brigade Kempfer. Les uniformes étaient délavés, rapiécés, transformés et leurs regards désabusés accompagnaient leurs corps filiformes. Mais même ces “figures” guerrières n’étaient pas aussi négligées que les prisonniers parqués comme des bêtes dans de petits espaces recouverts de barbelés.

À voir tous ces individus, on pouvait espérer la fin de la guerre, mais il n’en était rien, car si une chose rapprochait l’Union de l’Empire c’était la ressource qu’ils partageaient en abondance. Les hommes. Et la guerre en faisait disparaître de manière industrielle. Drainant les énergies et l’attention de tous.

Le soleil qui inondait le camp était différent de la cité nation. Ici, en pleine terre viable, les nuages n’étaient plus si opaques. Les rayons et la chaleur étaient comme un supplice pour les soldats qui avaient quitté le confort du train pour retrouver leurs rigides et strictes formations militaires.

Et pourtant, cet étalage d’excellence Impériale était bien inutile au vu du public désintéressé, voire inexistant. Pour les rares yeux qui balayaient cette cargaison de "viande fraîche", ils ne regardaient là que d’illustres inconnues dont les noms allaient être mangés par cet inarrêtable conflit.

Les combattants restèrent ainsi un long moment, en attendant les ordres comme ils l’avaient tous si bien appris durant leur long mois d’école. Les chenillards furent les premiers à se mettre en mouvement. Le temps passé sous le difficile soleil permit au véhicule d’être déchargé les uns après les autres et quand ils marchèrent à côté de la brigade les sifflets parcoururent à nouveau les rangs.

Les hommes qui se jetèrent sur les engins retrouvèrent avec un étrange plaisir le réconfort exigu de ces mules d’acier, ils envahissaient les corps gris de ses bêtes telles des tiques qui couraient sur leurs surfaces, mais pour les officiers comme Malden le départ allait attendre. Les individus aux épaules remplies de gallons se dirigeaient dans le camp en tentant de suivre les pas rapides du général Kempfer.

Il fallait dire que les ordres du commandement s’étaient faits rares, voire inexistants durant le trajet. Les ragots n’avaient pas tardé à circuler dans les trains. Relayant la peur et l’appréhension qui s’était transmise comme le plus mauvais des virus. Malden était bien sûr pris par la même curiosité que ses hommes et l’heure de vérité semblait être proche pour lui.

Observant Adrian voguer dans le sillage de la meute d’officiers, Malden se mit à le rejoindre.

Jamais il n’avait foulé du pied un authentique camp de l'armée. Il avait évidemment pu lire les nombreuses descriptions qui en étaient faites dans ses livres de guerres à l’académie. Mais ici, face à lui, la réalité des choses paraissait bien différente des écrits en le frappant avec toute la force du réel.

Et l’odeur…

Elle était lourde, nocive et accablait le moindre nouveau venu. Certains officiers progressaient à présent avec un mouchoir contre le nez. Attitude reprise par Kempfer puis les deux amis qui étaient en fin de cortège.

L’air était vicié, il y avait cette odeur de putréfaction qui planait dans l’air en étant comme collante, harassante, et bien vite Malden put voir l’une des causes de tout cela.

Il y avait un chenillard non loin de l’allée qu’ils empruntaient. Le bruit qu’il émettait et les volutes de fumée que dégageait son échappement montraient qu’il était bien en plein travail. Il était équipé d’une longue lame sur sa partie avant et déblayait la boue et un monceau d’habits. En y regardant de plus près, Malden put voir les traînées de sang dans la mélasse brune du sol. La sève des hommes se mélangeait avec une étonnante facilité à la terre qui en était gorgée. Les nombreuses taches sur la l'outil de l'engin et ce qu’il poussait lui apparut alors avec dureté.

Ce n’était pas seulement des affaires, de simples habits ou détritus, mais bien un monceau de corps qui était chariés vers une fosse commune creusée non loin par un groupe de soldats qui y attendaient. Cet horrible spectacle ne semblait pas émouvoir les combattants du camp, mais pour ce qui était des officiers entourant Kempfer c'était une tout autre histoire, car c’était les dépouilles de leurs camarades qui étaient ainsi entraînées par le chenillard. Certains gradés se contentaient de lancer entre eux des regards d’incompréhension, de dégoût tandis que d’autres, submergés par l’odeur et la scène, vomissaient sur le bord de l’allée.

Malden dut lutter intérieurement pour ne pas les rejoindre et éveiller plus de rires parmi les soldats qui les observaient passer.

Les hommes présents durant l’avancée des officiers ne s’adonnaient pas à trop de moquerie et respectaient les uniformes et titres. Mais les gradés du camp, eux, ne se privèrent pas.

— Et bien la bleusaille, on a une petite indigestion ? fit l’un de ces gradés le sourire aux lèvres.

— Vous feriez mieux de vous y habituer, reprit son voisin. Car c’est là le doux parfum de la guerre.

Et ils rigolaient tous de plus belle, face à ses personnes encore vierges de tout combat, de tout massacre, qui s’en allaient inconsciemment alimenter l’insatiable bête qu’était le conflit du nord.

Toute la misère humaine semblait cristallisée en un point et pour Malden, la guerre lui apparaissait sous son plus vrai visage.

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