Lèvius - 3.2

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Rapportant son regard et son attention sur cette partie du domaine, Lèvius se rappela des mots de sa femme. Il prit alors un embranchement sur la route pavée, sur son programme, et se dirigea non plus vers l’aéronef, mais bien vers ces hangars.

Une série de hautes constructions dominaient les nouveaux arrivants de toute leur intimidante stature. Se présentant face aux grandes portes de l’une de ces structures d’acier et de bois, Lèvius se retourna vers Braggs :

— Veuillez m’attendre au transport capitaine, j’ai une dernière affaire à conclure avant de partir.

— Très bien monsieur, je vais activer les hommes pour le décollage, lui répondit derechef Braggs avant de se mettre en route.

Lèvius qui avait placé quant à lui sa main sur la poignée figea un moment son geste lorsqu’il entendit les bruits qui résonnaient à l’intérieur. Ils étaient accompagnés par une lumière fluctuante et des ombres qui dansaient face à lui.

Le hangar presque abandonné au vu de sa forme extérieure était en vérité loin de l’être en son sein. Lorsque Lèvius poussa le battant, il le fit avec délicatesse, évitant les grincements qui seraient survenus pour entrer de manière silencieuse dans le bâtiment.

Il n’y avait pas d’étages supérieurs à proprement parler. Toute la structure n’accueillait qu’une seule grande pièce centrale et quelques mezzanines ou autres coursives supplantaient cette dernière. Les sources de lumière étaient réparties de façon anarchique, mais toutes se rejoignaient vers le cœur du lieu qui foisonnait d’activités.

Dépassant une des nombreuses échelles qui parsemait son chemin, Lèvius discerna bientôt les quelques personnes qui semblaient à pied d’œuvre malgré l’heure plus que tardive. Il sentit également les effluves si caractéristiques d’une usine. L’odeur de l’huile planait dans l’air et les ordres, eux, résonnaient avec forces.

Un engin plus qu’impressionnant trônait dans cet atelier. La majeure partie de ce dernier était caché par de grandes bâches de tissus tandis que de multiples pièces de bois et d’aciers étaient reparties quant à elles sur les tables présentes.

Les tabliers de cuir et les épaisses chemises des nombreux ouvriers se trouvaient tous imbibés d’huiles ou de pétrole. Certains qui n’étaient pas armés de clefs à molette ou d’outils de serrage portaient de lourds chalumeaux. Ils les maniaient avec attention proche de leur visage protégé par de grosses lunettes noires et façonnaient ainsi le fer de leurs gestes appliqué et connaisseur.

D’autres encore manœuvraient dans un coin de la zone de travail un ensemble de longues chaînes d’aciers qui émettaient de lourds grincements. Leurs supports étaient perdus dans les ombres du plafond, mais leur dangereux chargement ballottait lui dans les airs à la vue de tous. Les ouvriers déplaçaient le bloc moteur sorti de l’engin tandis que les ordres leur étaient dictés avec force.

L’endroit tout entier avait ainsi l'apparence de petite usine et les deux hommes qui dirigeaient cette impressionnante troupe étaient également en plein travail. Lèvius pouvait apercevoir Paul en train d’échanger avec ses artisans, les plans à la main, alors que Vilius observait d’un œil presque inquisiteur le bon déroulé des tâches confiées.

Lèvius qui s’était approché de la zone de travail fut bientôt salué par les ouvriers qui étaient comme stupéfaits par sa présence. Certains le saluaient en baissant simplement la tête alors que d’autres encore stoppaient leurs activités et enlevaient leurs casquettes en signe de respect.

Paul et Vilius qui avaient dû percevoir l’arrêt soudain des opérations, étudièrent l’origine de tout cela et reportèrent toute leur attention sur l’invité surprise de cet atelier. Ils purent ainsi apercevoir leur père qui se tenait bien là, en chair et en os, face à leur projet.

— Et bien mes fils, on dirait que vous n’avez pas chômé ces dernières semaines… commença le Baron Devràn.

Paul sourit face à son père qui s’approchait de lui tandis que Vilius revêtait comme le visage d’un jeune garçon prit la main dans le sac.

— Quelle surprise père, nous ne pensions pas vous voir ici.

— Et c’est précisément la raison pour laquelle je suis là Paul.

Tous deux furent coupés lorsque le moteur de l’engin fut lourdement posé sur le sol du hangar

— J’ai comme un air de déjà vu, reprit Lèvius en observant l’impressionnante structure d’acier qui ressemblait à un moteur d’aéroplane de guerre.

— Vos années à l’armée ?

— Oh, non, fit Lèvius souriant alors qu’il avançait aidé de sa canne. Plutôt ma jeunesse quand je travaillais moi-même sur ce genre d’engins. J’ai piloté son ancêtre il y a des années de ça.

— Vous parlez de la course ? demanda Vilius en se joignant à la conversation.

— Et oui, je n’avais pas de frère apte à le faire et la famille n’avait pas non plus de coureurs valables pour nous représenter.

— Et votre père a accepté ?

— Oui Vilius, mais cela ne veut pas dire que je ferais de même si tu me le réclamais.

— Je l’aurais fait de toute manière.

— Quant à toi Paul, je ne me rappelle pas ta requête. Car cet aéronef-ci n’est pas là pour faire figuration, dit Lèvius en tirant quelque peu la bâche qui recouvrait l’engin. Je me trompe !?

Le doute s’immisçait en Paul et Lèvius pouvait le sentir.

— J’avais besoin de ça, formula hâtivement le jeune homme. J’avais besoin d’un but. Vilius est promis à la succession que pouvais-je faire d’autre ? Me tourner les pouces. Observer un inconnu défendre notre famille en mangeant avec les autres nobles sur la barge de l’Empereur ?

— Je ne m’attendais à rien moins que ça, venant de toi !

Les propos du Baron semblaient figer ses deux fils qui ne savaient dire si Lèvius se jouait d’eux ou non.

— Voyons, je me disais bien que ce défi t’intéressait et je n’ai rien fait pour t’empêcher, car c’est là ta place. Si par contre tu te lançais toi aussi dans le domaine militaire alors là, je t’aurais repris quant à tes choix.

— Mère n’aurait pas aimé…

— C’est le moins qu’on puisse dire, elle m’aurait bien tué pour avoir laissé un autre de ses fils partir au front. Enfin, elle s’en serait prise à toi en premier bien évidemment, finit Lèvius avec un clin d’œil complice.

— Mais elle ne doit pas être enchantée non plus de me voir participer à la course de spires.

— Non, bien sûr que non. Mais la pilule est plus facile à faire passer sachant que tu restes proche d’elle. Une mère protège ses enfants, ainsi va la vie.

— J’espère qu’elle ne m’en voudra pas trop.

— Le temps nous le dira, répondit Vilius à son jumeau.

Alors qu’il adoubait ces bonnes paroles. Lèvius, qui observait l’appareil encore quelque peu recouvert de son tissu protecteur, se retourna vers ses fils.

— Bon, vous m’aidez à le débarrasser que je puisse le voir complètement ?

S’activant, Paul et Vilius s’approchèrent de leur père et se mirent à tirer à leur tour la grande bâche de l’aéronef. Lentement, l’engin qui se cachait sous ces anonymes tissus se révéla au Baron Devràn. Ce n’était pas un robuste mécha, nullement un chenillard qui apparut, mais bien l’un de ces agiles aéroplanes que l’Empire utilisait aussi bien à la guerre que dans le civil.

Ses ailes étaient absentes et gisaient en morceaux sur les tables de travail. Elles étaient détachées tout comme le moteur qui gisait non loin.

Malgré l’aspect anarchique de l’appareil, Lèvius reconnaissait parfaitement le modèle qui prenait place face à lui. Un H.G 11, fruit des célèbres usines Helbert-Gauglin comme en témoignait les initiales qui en était déjà à sa onzième itération du modèle. Le temps filait, les années passaient, les inventions fleurissaient, mais les combats eux ne disparaissaient pas. Loin de là et l’engin symbolisait bien tout cela pour le Baron.

Cet aéroplane était de qualité, en attestait le bois, les métaux et la toile utilisée dans sa conception. Lèvius qui caressait la surface du cockpit était tel un amant retrouvant un amour longuement perdu. De nombreux souvenirs surgissaient à présent en lui. Ses premières heures de vol, ses hauts faits. Sa propre course de spires et enfin la guerre qui l’avaient évidemment marqué de manière définitive que ce soit dans son esprit ou sa chair.

— Alors ? fit Paul en observant son père admirer l’engin qui était pour ainsi dire en pièce détaché.

— Une magnifique monture, j’aurais sûrement remporté la course à l’époque si je disposais de tels équipements.

— Alors plus d’excuses pour ne pas gagner, dit Vilius avec un brin de malice.

— Ton frère n’a pas tord Paul, la charge est lourde sur tes épaules, mais c’est là ton choix… Et tu dois à présent faire honneur au nom de ta famille. Laissant un moment de vide planer dans sa phrase, Lèvius se décida à quitter les lieux. Bon, je vous laisse à vos travaux mes fils. Ma journée n’est pas encore finie, ni l’a vôtre on dirait.

Alors que Paul et Vilius se fendaient d’un simple « père » comme salut, ils observaient le Baron délaisser leur atelier de fortune qui reprenait vie avec les ouvriers qui refirent chanter leurs outils.

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