Alina - 3.1

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La matinée se trouvait encore à ses prémisses qu’Alina arpentait déjà les rues de la cité nation.

Sa berline reposait sous le couvert des hautes maisons de ce quartier bourgeois. Les constructions toutes de briques et de pierres aux agencements travaillés formaient ainsi un monde d’unicité autour d’elle. De beauté architecturale si on omettait bien sûr les quelques traces d’usure qui agrémentaient par endroit les bâtiments en noircissant le tableau ambiant de leur déplaisante présence. Les toits de zinc, râblés, qui terminaient chaque édifice, comprenaient quant à eux de grandes fenêtres ovales et d’impressionnantes peuplades de longues cheminées sur leurs extrémités.

Quelques autres âmes bravaient également le froid matinal qui régnait en occupant la rue tout autour de la Baronne. Ces citoyens étaient habillés pour la plupart de riches tenues bourgeoises avec des hauts de formes variées pour les hommes ainsi que de magnifiques chapeaux pour les femmes. Des atours distingués qui avaient toute leur place à ces niveaux d’Aldius. Quelques ouvriers dans leurs rêches blouses de travail détonaient aussi dans le lot en un presque accord avec les défauts des bâtiments. Leurs sacs à dos sommaire composé d’une simple armature de fer se trouvaient surchargés d’outils et de matériel divers qui amplifiaient de leur poids la fatigue déjà visible sur leur triste mine héritée de leur nuit de dur labeur. Ils étaient surveillés de près par les patrouilles de la garde urbaine qui passaient par là, anormalement civilisés aux vues du cadre ambiant qui maintenait toute cette diversité impériale dans le droit chemin. Toutefois, la crispation sur les visages des travailleurs trahissait leur envie de quitter prestement ce quartier dont ils semblaient être étrangers.

Alina qui n’avait pu se défaire des miliciens de la famille se trouvait suivie par quatre ombres aux brassards verts assurant sa protection rapprochée. Ils ne la lâchaient pas d’un pouce. Leur chemin guidé par la Baronne Devràn les mena face à un bâtiment qui surpassait en taille les grandes demeures avoisinantes. Ce n’était pas une construction dégoulinante de décorations comme ses homologues. Ni un édifice anonyme ou militaire auquel il ressemblait pourtant presque, mais bien une maison des Ombres. Un temple dédié à l’une des nombreuses branches de la foi impériale.

Son architecture allait dans ce sens, car il s’agissait du plus austère des sanctuaires de la cité nation. Ses murs lisses, faits en pierres se trouvaient recouverts d’une couleur sombre et froide, ne glissant pas totalement vers le noir. Cela donnait une petite touche lugubre à la structure. De grandes fenêtres rectangulaires qui auraient pu briser cet aspect sinistre agrémentaient également les façades en étant malheureusement obstruées par d’impressionnants volets d’acier. La rouille qui avait pris dans les fermetures témoignait de l’étonnante absence d’utilisation de ces dernières.

Alina ressentait déjà quelque frémissement face à l’imposant temple. Sa résolution vacillait, mais elle restait forte comme à son habitude.

Pour tout étranger à l’Empire, cet endroit pouvait être effrayant. Une tache sombre, bien atypique dans le quartier. Mais chacune des branches de la foi impériale avait un poids non négligeable dans la vie de la cité nation et leurs sanctuaires avaient toute leur importance. Les révérends à leur tête manœuvraient dans cette ville et dans sa politique avec habilité. Leur lieu de culte était des sites d’affluence comme en témoignait le populeux attroupement qui prenait place devant la grande double porte où se rendait la Baronne Devràn.

Alina n’eut cependant aucun mal à progresser parmi la foule de citoyens présents. Les discussions assourdissantes assombrissaient l’air et les injonctions du personnel coupaient net avec toutes les voix. Les hommes de Lèvius étaient à la manœuvre et usaient de leurs armes pour permettre à la Baronne de rejoindre les entrées du temple sans difficulté. Plusieurs gardiens se tenaient devant les épais battants d’aciers, car il fallait bien le dire, le sanctuaire avait lui aussi son service d’ordre. Outre les sœurs du silence qui filtrait les croyants désirant pénétrer dans ce saint lieu. Des superviseurs, tous de noirs vêtus, observaient les religieuses en plein travail. Ils étaient telles des ombres collées aux murs du temple dont nulle trace de peau ne témoignait de leur humanité. Leur long manteau sombre comprenait un voile au niveau de leur tête et leurs mains, protégés derrière leurs gants de cuirs agrippaient divers fusils qu’ils brandissaient avec fierté.

Ils avaient plus l’apparence de fantôme ou de revenants que de gardiens…

Tout comme le pouvoir impérial ou les grandes familles, les cultes avaient leurs combattants. Un personnel actif plus par héritage historique dans leur cas que par nécessité. Ce détail ne se trouvait cependant pas être le plus intrigant. La foi d’Ashai, de la seconde lune, interpellait d’autant plus avec son aspect atypique. Après tout, c’était la mort, le vide, que ce temple vénérait. Une croyance largement adoptée pour les masses laborieuses des niveaux inférieurs, mais ici dans les quartiers intermédiaires, ce sanctuaire était le moins en vogue. Les bourgeois et nobles lui préféraient celui d’Apolion ou de Sol, vecteurs d’idéaux plus attirants ainsi nul éminent citoyen n'occupait le porche.

En définitive, qui pouvait leur faire comprendre l'omniprésence de la fin dans la frêle vie humaine, de la mort dans cette cité d’aciers ?

Tous étaient loin des difficiles usines ou du front et Neavia fut la seule noble à se présenter devant l'unique maison des Ombres bâtie hors des niveaux inférieurs. À la recherche de conseil auprès d’un individu auquel elle prêtait autant d’attention que de craintes. Et pour cause. Les temples avaient interdiction officielle de se mêler de politique depuis le concile de l’empereur Ilionus.

Et à raison, le traité avait été un arrêt net à la puissance autrefois tentaculaire de ces institutions. Les sanctuaires et leurs vénérables révérends lentement transformés en collaborateurs au pouvoir devenu trop gênant pour les têtes couronnées d’Aldius. Les empereurs avaient la vilaine manie d’être dangereusement jaloux. Mais comme toute chose de la cité nation, les écrits et les actes ne coïncidaient pas. Le réel ne se trouvait pas être une vérité toute blanche ou noire. Se débarrasser des temples aurait été impensable, ils avaient donc perduré.

— Madame, fit comme salutation le superviseur qui faisait face à la Baronne Devràn qui gravissait les marches.

— Je viens voir le révérend, Osmond.

— Vous devez laisser vos hommes à l'entrée, reprit l’une des sœurs du silence qui se tenait aux côtés du gardien. Nulle troupe ou arme n’est autorisée entre ces murs.

— Bien évidemment…

Et Alina fit signe à son escorte de l’attendre. Elle emboîta les pas de la sœur qui l’emmenait au sein de la maison des Ombres. Elle ne quitta ainsi pas seulement la rue ou ses protecteurs en s'engageant dans cet obscur lieu, mais bien toute lumière, car l’endroit semblait opaque à toute force étrangère quel qu'elle soit.

Les yeux de la Baronne durent s’acclimater à ce brusque changement de luminosité. Alina, qui était elle-même une habituée des temples de la foi impériale, avait toujours ce sentiment curieux. Cette sensation d’entrer dans un univers différent. Dans une parcelle même du passé de leur Empire, de leur monde que les autres nobles tentaient d’oublier. Le temps semblait comme arrêté ici, figé en ce lieu réfractaire au monde extérieur et au temps qui s'écoulait.

Les grands couloirs impressionnaient la Baronne. Une sorte de matière collait aux murs et au plafond en une couche granuleuse des plus fines. Une suie prenait le relais des pierres de la façade pour recouvrir ainsi chaque portion du bâtiment. Quelques mots accrochés par les croyants aux parois ponctuaient son avancée en divers petits bouts de papier qui brisaient la monotonie de la sombre voie. À hauteur de tête, des armées de bougie tapissaient ensuite les cloisons en coulant jusqu’aux dalles du sol telles d’innombrables chutes d’eau toutes blanches. L’odeur qu’elles dégageaient se liait insidieusement à l’encens que portaient certains religieux de l’endroit. Une senteur et une fumée ambiante pesaient dans l’air en harassant les sens d’Alina.

La Baronne était comme diminuée par toutes ces lourdes senteurs qui embrumaient petit à petit son esprit. Des bruits atypiques captaient aussi son attention. Sur le plafond, des appareils mécaniques émettaient en tournant sur eux même un vrombissement musical. Ses cônes à la couleur de bronze se trouvaient couverts de glyphes propres à la religion d’Ashai. La discordante mélodie de ses instruments se couplait aux chants rauques entonnés par les nombreux clercs du temple.

La résonance, l’air musical, les odeurs… Tous pouvaient faire perdre l’attention ou toute rationalité. La Baronne luttait pour endurer cela.

Une petite procession d’hommes en bure croisa Alina et sa guide. Trois superviseurs ouvraient la marche. Deux d’entre eux tenaient des encensoirs qu’ils agitaient dans les airs et le troisième qui dirigeait quant à lui toute la troupe salua la sœur qui escortait la Baronne.

— Que ton chemin soit juste, car son œil t’observe.

— Elle nous aiguille sur la voie… reprit l’accompagnatrice d’Alina.

Les noirs chemins labyrinthiques que continuait d’arpenter Alina la menèrent dans la salle principale du temple. Contrairement au reste de la cité nation, ou plus généralement l’Empire, nulle lampe à pétrole n'éclairait le bâtiment. Comme dans une ode au passé, d’antiques braseros illuminaient la large pièce et l’espace de prière que la Baronne étudiait avec attention.

La salle de taille circulaire accueillait en son centre une statue représentant la deuxième lune de Céresse incarné ici sous les traits d’une femme. De nombreuses bougies encadraient le grand piédestal de la titanesque sculpture et les croyants massés autour tentaient d’invoquer quelque bénédiction de la part de cette idole.

Une série de portes agrémentaient l’enceinte de la pièce. Suivant sa guide, Alina la vit ouvrir l’une de ces voies anonymes pour s’enfoncer toujours plus dans les opaques dédales du temple.

Tandis que le passage se refermait derrière les deux femmes, Alina ne fut alors éclairée que par le cierge dont sa guide s’était saisie. La frêle lumière fut la seule aide qui accompagna Alina qui prêtait la plus grande attention aux raides marches qu’elle devait dévaler.

Le bruit musical des instruments et les mantras cessèrent peu à peu et les deux femmes se dirigèrent bientôt dans un impénétrable silences alors qu’elles continuaient leur descente dans les tréfonds de l'édifice.

L’atmosphère changeait elle aussi. Alina n’était plus oppressée, agressée par le décorum du sanctuaire. Mais elle était à présent bien plus fébrile, car ce fut l’obscurité qui composa son monde. Il y avait ce petit quelque chose qui rendait les sous-sols du temple presque effrayants et la sérénité de la sœur du silence était troublante pour la Baronne.

La respiration d’Alina s’accélérait.

Bientôt, le corridor s’agrandit à nouveau, la descente cessa quand les deux femmes avancèrent dans un couloir débouchant cette fois face à un large passage. Un fin voile de tissu cachait la suite du chemin et deux formes immobiles se tenaient tels des statuts de chaque côté de la voie.

La sœur du silence qui avait accompagné la Baronne jusque-là arrêta de progresser et se tourna vers son auguste invitée.

— J’ai bien peur de devoir vous laisser la madame, je ne peux accéder à un pareil lieu. Prenez donc cette bougie et puisse-t-elle vous emmener jusqu’au révérend.

Avant que la Baronne ne puisse remercier sa guide, et l’apaisante lumière qu’elle lui avait cédées, la sœur du silence quitta le halo de clarté du cierge pour s’évanouir dans les ombres qui encerclaient Alina.

Jamais la Baronne ne s’était aventurée aussi loin dans le temple. Le révérend devait avoir des choses importantes à lui dire, car peu d’étrangers avaient dû pouvoir fouler ces salles bien secrètes. Elle prenait à ce moment conscience du traitement qui lui était offert.

Tandis qu’Alina écartait le voile blanc qui prenait place sur son chemin, les deux gardiens qui encadraient le passage frappèrent le sol de leur bâton en arrachant un sursaut de la noble invitée.

Les religieux d’Ashai savaient mettre à l’aise…

Alina progressait donc seule. Elle était telle une jeune enfant apeurée par le noir. Hésitante face à ses craintes, à son esprit qui imaginait toute sorte de choses tapies dans la traîtresse obscurité qui l’entourait. Mais l’âge de la Baronne lui permettait de conserver quelque contrôle.

Après une longue et fébrile marche, ce qui se dévoila à elle fit s'envoler le moindre de ses doutes ou inquiétudes.

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