Alina - 3.2

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Un puits de lumière presque irréel perçait l’obscurité dans laquelle Alina se tenait. Armée de sa seule bougie, la Baronne Devràn se mit à rallier cet apaisant filet de clarté ainsi que la personne qu’elle éclairait d’un pas cette fois résolue.

Elle était attirée tel un papillon de nuit.

L’individu, déjà âgée comme en témoignaient ses cheveux gris, se trouvait également habillée de la même tenue sombre que le reste des servants du temple. Il se tenait face à l’une des nombreuses statues qui agrémentaient le chemin d’Alina.

Le révérend Osmund égrenait son collier de prière d’une main tandis que son autre, elle, reposait contre le vénérable monument qu’il observait. Qu'il soit tourné et malgré les pas légers de la Baronne, l'homme se rendit vite compte de la venue de son invitée.

— Baronne, fit le religieux face à Alina alors qu’il la saluait de manière appliquée.

Il ne marquait point de différence quant à son titre foncièrement plus élevé et agissait bien simplement au grand plaisir d’Alina qui le lui rendit bien volontiers.

— Révérend…

— Je suis heureux de vous recevoir en ces lieux.

— Un honneur que vous me faites, répondit Alina en souriant. Jamais je n’avais été convié à l’intérieur même de l’un de nos temples.

— C’est qu’un bon artiste ou commerçant ne révèle jamais aux autres les coulisses de ses affaires, réagit Osmund en rigolant légèrement. Mais trêve de plaisanteries, comment trouvez-vous cette crypte ?

— Étonnante.

La Baronne avait choisi ses mots avec soins pour ne pas froisser son hôte.

— Je trouve aussi. Rares sont les non-initiés à fouler ces niveaux de la maison des Ombres. Mais notre débat se doit d’être échangé dans ce cadre des plus privé. Loin de la moindre oreille indiscrète. Me recueillir auprès des anciens révérends me rappelle la fragilité de nos vies, poursuivit Osmund le regard presque perdu vers les statuts qui l’entouraient. Cela remet en perspective mes actes, bon comme mauvais. Les raisons à l’origine de la plus insignifiante de mes actions. Nous survivons sur un fil bien mince et nul ne semble s’en soucier. Les gens préfèrent se voiler la face par pure simplicité et la cité nation continue son existence sur un fil qui, lui, ne demande qu’à céder.

Sa voix devenait de plus en plus posée à mesure qu’il expliquait son amer constat.

— Des paroles dures et des perspectives bien sombres.

— On peut dire que c'est quelque peu le fonds de commerce de mon institution, se défendit le révérend. Ça finit par déteindre sur moi, je suppose, me suivez-vous ? termina-t-il par dire en invitant Alina à avancer.

La Baronne accompagna donc le révérend qui se déplaçait avec une étonnante facilité dans cet obscur mausolée. La bougie d’Alina n’était pas des plus grandes et leur unique halo de lumière restait limité. Le chemin longea de nombreuses autres tombes et statuts qui témoignaient de l’ancienneté de temple d’Ashai.

— J’en manque à mes manières, reprit Osmund en brisant le silence qui s'était installé. Comment se porte votre mari ?

— Plutôt bien, il passe le plus clair de son temps à l’assemblée ou à réfléchir à ses prochaines séances.

— Ainsi va la vie de nos politiciens ma chère. Ce qui nous amène à la raison de votre présence. Vous m’aviez demandé de chercher quelques écrits quant au sang ancien.

La pause marquée dans le discours d’Osmund attirait toute la curiosité d’Alina.

— Il semblerait bien qu’il y ait des traces dans la chronologie de la foi, que certains révérends se soient penchés sur la question et pas seulement dans notre institution. Bien évidemment, le culte de Sol est trop lié à l’Empereur pour avoir entrepris quelque étude, mais celui d’Apolion avait, fut un temps, pisté le moindre héritier de ce trait unique…

La Baronne était suspendue à chacun des mots du révérend.

— Et, ont-ils trouvé des descendants ? renchérit-elle sans attendre.

— Non, tous leurs efforts furent vains…

— Je vois.

— Ce qui m’amène à votre fils.

Alina ressentait toujours quelques gênes à parler de son enfant caché.

Osmund le sentait.

— Votre garçon est un don ma chère, son évocation ne devrait pas vous mettre sur la défense. Surtout pas avec moi. Ses crises, sont-elles encore présentes ?

— Malheureusement, lui répondit Alina l’âme en peine. Il y a eu plusieurs épisodes dernièrement.

— Mes herbes ont-elles aidé le petit ?

— Oui, et je vous en remercie, mais elles paraissent moins faire effet au fil des semaines.

— Je vais donc devoir préparer une nouvelle décoction… conclut le révérend songeur. Votre enfant de par ses aptitudes semble être un héritier direct du sang ancien comme nous en parlions, promis à de grands pouvoirs arcaniques. Mais cela amène son lot de problèmes. Son instabilité est… préoccupante. Tout comme le disait feu mon mentor, de la difficulté, de la douleur, naît la beauté. Il en sera pareil pour votre petit, j’en suis convaincu. Tout notre travail tend en cette finalité.

— Des paroles rassurantes, je vous en remercie.

— C'est tout naturel, vous veniez à moi en quête d’aide. Mon rôle, ma fonction à son origine pure, répond à cela.

— Mais vous auriez pu refuser à cause du danger qui pèse à présent sur vous ou votre Église.

Osmund sentait bien là toute la répartie et l’esprit rusé bien connu de la Baronne Devràn.

— J’aurais pu vous livrer à l’Empereur, vous avez raison. Mais à quoi cela m’aurait avancé !? Je serais maintenant dans ses bonnes grâces, mais encore plus loin des savoirs, des réponses que votre fils est à même de me fournir.

— Vous procédez par intérêt.

— Évidemment, répliqua Osmund d’un air empli de malice sans chercher à se défendre.

— Qui ne le fait pas de nos jours, conclut Alina. Tant que nous aidons Lucan au final, les raisons de vos actions n’ont que peu d’importance, je pense.

Le révérend acquiesça.

— Mes prédécesseurs ont toujours continué cette quête, cette envie du connaissance sur les origines des arts arcaniques. Nous ne savons que peu de choses sur elles, ce sont des forces invisibles qui régissent le monde de manière bien historique. Comment un homme peut-il avoir les capacités de sentir les idées et émotions d’un autre ? Comment peut-on manier le fer, l’eau ou encore la terre ? Tout cela est difficilement compréhensible, loin d’être naturel selon nos critères. Car on peut se poser cette question, un tel pouvoir est-il originellement destiné aux hommes ? Ça, je ne le pense pas. Mais sommes-nous indignes de celui-ci pour autant ? Je n'irais pas jusque-là. Les collèges se targuent de maîtriser ces arts… mais on ne peut réduire de pareilles capacités au stade d’outils comme ils le font. Par leur science, ils ont enseigné ces dons. Et pour quel résultat ? Créer de énièmes agents de l’Empire… Quel gâchis.

Alina avait conscience de l’importance de Lucan. De son lien avec l’arcanisme et les Églises impériales, mais tout cela devenait de plus en plus dangereux avec les années qui passaient.

— Je saisis bien le rôle que revêt mon fils, le besoin qu’il ait d’être gardé caché pour sa propre sécurité ou la nôtre. Mais voir d’autres têtes que la mienne ou mon mari l’aiderait sûrement...

— Non ! tonna le révérend. Plus un secret est partagé, moins il le reste, l’information est la clef du pouvoir ma chère. Récemment, j’ai déploré quelques agents impériaux dans les rangs de mes religieux. J’ai dû travailler d’arrache-pied pour m’en "défaire". Il doit être pareil dans votre maisonnée, et ce, malgré toute la sympathie que le peuple d’Aldius puisse vous porter. Votre fils aura bientôt dix-sept ans et selon le codex noctis* ses capacités seront à leur paroxysme. Il pourra alors redonner à notre monde sa beauté d’antan. Mettre fin à la morte terre et aux ravages qui sévissent sur Céresse.

Osmund voyait la crainte obscurcir le visage de son invité. Alina ne la cachait pas après tout. Il posa donc sa main réconfortante sur l’épaule de cette fière représentante de la noblesse impériale pour l’apaiser.

— Surprotéger ce garçon pourrait devenir problématique, j’en conviens. Toutes les inquiétudes que vous avez et que vous me donnez sont légitimes. Vous êtes sa mère. Mais courir le risque de voir votre enfant tomber entre les griffes impériales est impensable. Les Véllyard ont eu la malchance d'être liés à cette quête de pouvoir et de connaissance. Leur fin peu enviable est un avertissement à quiconque baisserait la garde envers Ovidius et son grand décideur Klüg.

Le dernier nom avait été prononcé avec une déférence à peine voilée, le conseiller de Sa Majesté ne se trouvait pas dans les bonnes grâces du révérend. Osmund savait qu’Alina avait été lié à la famille Véllyard. L’argument se voulait convaincant, et il l’était.

— Leur attention est de plus en plus braquée sur moi. Cette entrevue sera malheureusement notre dernière.

Le ton du révérend devenait encore plus solennel.

— Je vous ai fait venir pour cette raison, et tout particulièrement vous montrer l’un de mes secrets qui, comme vous le comprendrez, sont liés à votre situation. À votre fils si, spécial.

Ce fut de la curiosité que ressentit cette fois Alina. Mais avant que la Baronne Devràn ne puisse poser la moindre question, le vieux religieux lui fit signe d’emprunter les marches qui se dévoilaient face à elle.

Les pierres de la crypte, et plus généralement du temple, laissèrent place à de la roche. Une anomalie dans cette cité nation ou la nature semblait toujours absente.

L’obscurité abyssale qui avait régné dans la crypte s’estompait quelque peu à mesure que la Baronne Devràn dévalait les marches composant son chemin. La descente la mena alors vers une pièce encore plus grande que le mausolée ou les salles du sanctuaire au-dessus de leurs têtes.

L’endroit paraissait entièrement prendre place dans la roche de Céresse, façonné pour la nature et l’aspect sauvage des surfaces excluait tout travail de l’homme. La chose avait de quoi subjuguer pour les citadins de l’Empire et Alina malgré son expérience de la vie n’y fit aucunement exception. La roche composait un large espace et les « murs », les parois s’élevaient en un chapiteau ou les quelques rares interstices laissaient passer, comme tout à l’heure, une fine lumière. Mais ce ne fut pas ces dernières qui éclairaient ce grand espace. Un petit lac souterrain phosphorescent occupait la majeure partie de l’endroit en entourant une stèle. Une pierre d’obsidienne centrale qui fendait l’eau pour se dresser avec magnificence. De nombreux glyphes trop anciens pour être identifiés parsemaient sa surface.

Lors de sa progression, Alina se baissa rapidement par instinct quand des chauves-souris volèrent au-dessus d’elle. On ne pouvait leur en vouloir. Alina ou Osmund pénétraient en leur domaine.

Cependant, ce ne fut pas ce superbe legs du passé ou les petits résidents du lieu qui captèrent le regard de la Baronne, mais la personne qui siégeait non loin de la roche d’obsidienne. Une forme féminine se trouvait assise sur les quelques pierres qui dépassaient des eaux en observant elles aussi l’édifice. Tandis qu’Alina se retournait vers le révérend pour le questionner, ce dernier lui fit simplement signe d’avancer alors qu’il prenait la parole.

— Vous n’êtes pas la seule à garder secrète l’existence des individus qui vous sont chers. Vous m’aviez demandé un jour pour quelles raisons vous deviez me faire confiance. Nos intérêts étaient l’une d’elles, mais pas seulement. Longtemps avant notre association pour Lucan, j’ai cherché les explications aux sujets qui tourmentent mon institution. Qui me trouble et Ashai y a répondit. À sa manière… La personne que vous voyez est une réincarnation partielle de la déesse. Une fille née lors de la seconde pleine lune de Céresse et ses pouvoirs sont grands tout comme ceux de votre garçon. Enfin, en partie. Elle a un don de prescience qui m’est très utile. Je l’emploie avec parcimonie pour que cela ne dicte mes choix et je la protège en retour avec toute l’attention qu’elle requiert.

La découverte et son lot de vérités atteignaient la Baronne qui tentait de suivre les explications du révérend qui adoptaient à présent tous leurs sens.

— Sa présence parmi nous devrait être une bénédiction. Mais il est tout autre, si l’Empereur avait vent de tout cela. Je vous laisse imaginer la tournure que prendrais les événements et ce ne serait pas avec vous que je converserais, mais bien la garde d’Onyx.

Osmund se mordillait les lèvres rien qu'à l'idée de cette fin peu enviable qui planait au-dessus de lui.

— J’aime à penser que nous avons retenu les leçons du passé, mais la nature de l’homme tend à me prouver le contraire jour après jour. Nous n’avons pas changé depuis la chute d’antan. Cette magnifique créature que vous voyez et votre fils sont des dons qui nous ont été offerts. Nous devons les protéger de l’avidité de certains. De la jalousie des plus puissants.

La femme, la « créature », comme venait de le dire le révérend, se dévoilait à la Baronne qui se tenait maintenant à côté d’elle. Le chemin de pierre et d’eau peu profonde avait permis aux deux arrivants de rallier la stèle et son occupante. C’était une albinos. Sa peau laiteuse et sa longue chevelure blanche recelaient une beauté rare que la Baronne ne put s’empêcher d’observer avec une attirance intense et déplacée.

Ses yeux d’un bleu viscéral, pur, paraissaient fixer la Baronne et sa voix finit de la subjuguer.

Je te reconnais.

— Que… ?

Le révérend ne semblait pas avoir entendu la petite qu’il aidait à se lever de son sommaire siège. Il n’échangea nul mot avec elle tandis qui l’aidait à se tenir debout.

— Tout comme votre fils, elle a son lot de problèmes à surmonter. Elle est muette, mais avec le temps, j’ai appris qu’elle n’avait nul besoin de parole pour échanger avec moi.

Le regard de la fillette s’était porté sur Alina. Elle souriait à la Baronne qui ne savait trop quoi penser de cet autre legs de l’histoire.

— Ainsi, réagit le révérend. Vous comprenez pourquoi je prends tant de mesure pour votre fils. Je sais ce que vous endurez. Ce n’est pas la guerre lointaine qui m’importe. Pas cette lutte de pouvoir futile entre les hommes. Mais les dangers proches qui nous entourent. Cette ville ne veut pas avoir à faire à son passé. L’Empire aimerait faire disparaître toute allusion à sa triste histoire et garder le pouvoir, la situation comme elle est. Serrer la bride sur la population déjà servile de cette cité nation. Je ne peux que vous enjoindre à la plus grande des prudences ma chère. Je n’ai nulle confiance en l’avenir, tout n’est que danger…

La jeune fille au regard abyssal avait quitté le révérend et s’approchait maintenant de la Baronne. Cette si jeune personne semblait ressentir les émotions d’Alina. Comme si elle lisait à travers elle.

Chéris l’accalmie, fille de l’Ours, la tempête arrive et nul ne sera épargné…

*

Codex Noctis : Livre saint de la foi d'Ashai relatant la fin du monde et la naissance du nouveau. Que ce soit pour la chute d'antan ou celle à venir. Du cycle de vie sur Céresse en quelque sorte. C'est un livre controversé au verbe bien fataliste.

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