Alek - 7.3

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Tout comme la cour, l’intérieur du bâtiment ne reflétait en rien l’abandon dont il faisait l’objet selon les informations de la garde ou des collègues. Les pesantes machines de production avaient été remplacées par des étagères de stockage et des établis en tout genre.

Il y avait de nombreux civils dans l'édifice. Une foule d'ouvriers qui composaient les petites mains anonymes de DeWriss. Des innocents coupés dans leur tâche et pris dans l’affrontement qui secouait ce lieu de travail. Ils étaient apeurés face aux miliciens qui prenaient possession de l’usine. Gémissant quand les canons des fusils se tournaient en leur direction.

Peu étaient les combattants du Dükhess à tenir tête. La majorité courbait l’échine face aux hommes de l’ours et mettait genou à terre.

Alek et les soldats continuèrent ainsi leur progression dans la manufacture. Les vastes étendues de travail se répétèrent les unes après les autres en menant les visiteurs face à de grands escaliers d’acier précédant les discrets étages de la structure.

Le repaire de DeWriss ne devait plus être très loin.

Les magisters allaient enfin pouvoir discuter avec le fameux Taille-pierre.

Deux miliciens qui devançaient la troupe ouvrirent en force la double porte qui finissait la montée et permirent à Alek d’entrer dans une salle dont il n’aurait pensé l’existence. Surtout en ce lieu.

Une vaste pièce s’étendait tout en longueur. Soignée contrairement au reste du bâtiment et bien éclairée par les vitres propres et les lampes qui dominaient l’endroit. De nombreux établis tapissaient les abords de la galerie et les travailleurs en pleine action semblaient ignorer les arrivants malgré leurs armes apparentes.

Les affrontements ne les avaient pas alertés !?

La scène irréelle accompagna le magister alors qu'il parcourait le vieux plancher du sol. Le personnel œuvrant consciencieusement sur l’activité qui avait donné son surnom à DeWriss. Ils étaient calmes et complètement dédiés aux tris de leur produit cristallin d’une infinie petitesse.

À mi-chemin des pupitres en hauteur qui semblait finir la salle, Alek vit des formes apparaître sur cette partie opposée à l’entrée. Les combattants de DeWriss dévisageaient les arrivants les mains bien cramponnées sur leurs fusils. D’autres sortaient des ombres de la pièce pour se positionner entre les établis et les travailleurs.

Malgré la tournure des événements, les magisters et leur escorte n’avançaient pas avec confiance. Les regards de défiance étaient échangés en de multiples duels n’appelant qu’à la violence. Comme s’ils n’attendaient qu’un mauvais geste pour prendre leur revanche.

Des pas durs frappaient alors les planches proches des pupitres, DeWriss fit son apparition en jetant son livre sur le bureau en un excès de colère.

— PAR L’AMOUR DES TROIS QUEL EST-CE BORDE !?

Il dominait de sa position les magisters, un sourire carnassier aux lèvres.

Il avait une courte barbe anarchique, brisée par la grande cicatrice qui couvrait la gauche de son visage jusqu’à son œil blanc. Ses traits, qui tentaient de dissimuler sa fureur, se voyaient tendus et changeants. Son costume était des plus étonnants. Sonnant bien faux  et notamment son chapeau qui copiait ceux que l’on pouvait retrouver dans les niveaux supérieurs.

— Des visiteurs ! Excusez-moi, pour l’accueil. Il semblerait que mes hommes vous ait pris pour nos amis les Burrows.

Les individus qui l’entouraient rigolaient d’un air mauvais.

— Lequel de vous messieurs est le dirigeant de cette… intrusion ?

Ses grands airs grandiloquents étaient saupoudrés par la fureur qui défigurait de temps à autre son visage.

— Magister Devràn, fit Alek en se portant à la rencontre du Dükhess.

— Ho, le fils même d’un de nos maîtres du parlement. Quel honneur, dit DeWriss en se retournant vers ses hommes presque hilares.

—Malheureusement, je crains que ma visite soit loin d’être amicale.

— Ho, mais je pense l’avoir compris, lui répondit DeWriss derechef. Je pense l’avoir bien compris à voir les nombreuses personnes que vous avez tués.

Le Dükhess se tenait face à Alek à seulement quelques pas de lui. Les deux se faisaient face dans une atmosphère à couper au couteau.

— La vraie question à présent, est de savoir la raison de votre visite. Magister.

— Le meurtre d’un responsable d’usine sur nos territoires.

— Vous m’en voyez désolé, répliqua DeWriss l’air faussement triste. Mais qu’est-ce que cela à avoir avec moi ?

— Yanneck, ce nom vous rappelle-t-il quelques souvenirs ?

Les expressions de Taille-pierre avaient changé du tout au tout. De manière subtile et soudaine. Alek l’avait senti, mais à travers toute la colère de l’homme, il n’arrivait pas à capter toutes ses idées. Ses émotions étaient trop fortes. Presque animales.

— Et si nous disions que c’était le cas…

— Alors nous pourrions envisager de vous laisser reprendre vos activités.

— Laisser !? Vous êtes bien inconscient. Vous vous tenez dans la tanière du prédateur. Au plus profond de son domaine et vous pensez encore pouvoir menez les négociations. Mes hommes ne sont pas des foudres de guerre, mais ils sont nombreux. Plus que ceux que vous avez neutralisés.Si ses propos n’étaient pas assez parlants, sa gestuelle ou même sa voix se trouvait bien provocatrice et agressive.

— Et vous, vous êtes bien fou si vous imaginez que nous sommes venus sans renforts. Le bastion a été alerté et en cas de contretemps, ils enverront des troupes. La garde aura encore moins de déférence envers votre « entreprise ».

DeWriss se grattait la tête en tendant son chapeau à l’un de ses sous-fifres,

— Quelle mansuétude, vous êtes dur en affaires magister, je vous l’accorde. Peut-être que si vous me laissez converser avec votre amie, nous saurons trouver un terrain d’entente.

— Je serais encore plus difficile que lui, répondit Amicia sans perdre de temps.

— Ho, quel caractère ! On m’a toujours dit de ne jamais juger un livre à sa couverture, on dirait que c’est d’autant plus vrai avec vous autres mutants.

À cette insulte non dissimulée, Amicia avait perdu le peu de calme qu’elle tentait de garder face au Dükhess qui se jouait d’eux.

— Peut-être que l’on devrait directement passer au jugement pour une personne comme vous.

La main de la magister s’était portée sur le holster de son arme.

— Du calme, jamais je ne me condamnerai pour si peu à une exécution sommaire de votre arme ou à la froide lame de la guillotine. Merde… Vous êtes des magisters des plus… intéressants. Très bien, si je réponds à vos questions, dans la limite de mes connaissances bien entendu. Vous me ferez le plaisir de vider les lieux.

— Tout dépend de vos réponses.

— Et de vos questions, que voulez-vous savoir ?

— Yanneck, il est lié au meurtre d’un des contremaîtres dans les usines Devràn

— Ha, oui… réagit-il comme s’il avait déjà oublié le nom évoqué plus tôt. Cette charogne. Yanneck a roulé autant pour moi que pour mes autres concurrents ces dernières années. Un parasite solitaire, je n’ai rien à voir avec ce meurtre, parole de Dükhess, fit-il en posant une main vers son cœur.

— Assez rigolé, qu’est-ce qui me fait dire que vous ne vous foutez pas ouvertement de moi ?

— Rien, enfin. Pas tout à fait.

DeWriss siffla et un groupe de combattants amena une grande caisse en bois.

Le regard que lançait le magister au Dükhess, lui suffit pour s’expliquer.

Les hommes firent céder les attaches du contenant et DeWriss en sortit un fusil. Immédiatement, les miliciens de Braggs visèrent Taille-pierre de leurs armes.

— Du calme, du calme, fit DeWriss en jouant avec le fusil avant de le tendre à Alek. Observez-le de plus près.

Rien ne sautait aux yeux, il n’avait rien de fondamentalement différent de ceux que portaient les soldats de Braggs. À une exception près.

— Ils n’ont plus de numéros ou de sceaux officiels.

— Tout à fait.

— On m’a offert une somme qui ferait tourner plus d’une tête pour en amener en nombre ainsi que des automates de combat. Si vous voulez mon avis, et loin de moi l’idée de vous voler votre travail. Quelque chose d’important couve dans notre cité nation. Quelque chose de gros.

— Une simple intuition ?

— Plus que ça, je sais que mes « collaborateurs » ont eux aussi été approchés pour transporter ce genre de marchandises. Mais nul n’a adhéré. Quand tout paraît trop bon, c’est que quelqu’un est déjà en train de vous la mettre… Quelqu’un de haut placé.

DeWriss fixait Amicia de son regard mauvais avant d’être interpellé par Alek.

— Pour vous, les nobles sont à la manœuvre dans cette histoire ?

— Quand ça sent les relents pestilentiels des jeux de la haute… Je sais que l’heure de disparaître est venue.

Le Dükhess avait peut-être raison, l’Empereur devait mouiller également dans toute cette affaire, sa garde personnelle, qui prenait possession de la scène de crime, n’en était que la preuve formelle.

— Yanneck a été mêlé à ce trafic d’armes. Si ce n’est ni pour vous ou les autres Dükhess. Pour qui !?

— Là est la grande question. Yanneck est un rat qui se vend au plus offrant. Il n’a pas mon esprit. Mon sens de la survie. Il a dû plonger à corps perdu dans cette histoire. Récemment, de nouveaux joueurs sont apparus dans les luttes de pouvoirs dans la ville. Des hommes qui se sont déversés depuis les niveaux supérieurs comme la chtouille. Et très bizarrement, les affaires de notre fameux Yanneck ont été parmi les rares à être épargnés.

— Une famille l’aurait donc utilisé…

— C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé. Vous savez, dans cette ville, il n’y a pas plus dangereux que nos nobles. Les unionistes m'ont arraché l'œil droit, mais ce sont les sangs bleus qui ont failli avoir ma peau. Et pas qu’une fois.

— Quel dommage qu’il n’y soit jamais parvenu, lui lança Amicia.

— Et moi qui commençais à vous trouver à mon goût ma chère.

Alek avait un semblant de réponse, il n’était pas plus avancé à moins…

— Les hommes qui s'en sont pris à vous, connaissez-vous leur zone d’opérations ?

— Le carrefour Jeandin. C’est un territoire où mes gars n’osent même plus mettre les pieds.

— On devrait peut-être aider ces inconnues au final, dit Amicia.

— Faites attention à vos souhaits magister. Parfois, ils peuvent se réaliser, mais les conséquences ne sont pas celles attendues.

Alek, qui tenait le fusil, le passa à Braggs.

— Bien, merci pour votre « aide » monsieur Dewriss. Je vais laisser notre cher capitaine récupérer tout objet de contrebande.

— Nous avions un accord pourtant.

La mâchoire de Taille-pierre était crispée.

— C'est pour cela que nous ne vous arrêtons pas…

Malgré les sentiments qui bouillonnaient en DeWriss ou ses hommes, nul ne broncha. Laissant les miliciens à leur œuvre, Alek et Amicia se mirent en direction de leur nouvelle adresse. Plus l’affaire semblait s’éclaircir, plus sa dangerosité se précisait. Si on pouvait se fier à une chose quant aux dires du Dükhess, c’était la soif de sang des résidents des niveaux supérieurs d’Aldius. Surtout lorsqu’on s’approchait du palais impérial.

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