Lèvius - 4.1

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— À ton tour Lèvius !

— Voyons ce que ce rusé animal a dans sa manche.

Horace et Otmar attendaient un résultat, ils n’allaient pas être déçus.

Alors qu’il s’engageait à son tour sur le billard, le Baron Devràn se mit en position pour jouer son prochain coup. À la guerre comme à la guerre, leur confiance allait les perdre. Lèvius avait prévu leur jeu et à présent sa vision globale de la partie le plaçait dans la meilleure des positions pour gagner. Ses adversaires du jour venaient d'ailleurs de le comprendre, bien trop tard…

— Nom de…

La queue de billard frappa la boule blanche qui, d'un coup, entraîna deux de ses comparses colorés pour disparaître dans les poches de la table.

— Je crois que l’affaire est pliée, fit Lèvius en se tournant vers ses camarades de jeu l’air vainqueur et la démarche assurée.

— Toujours aussi agile, malgré la patte folle.

— Pas si vite…

Horace ne s’avouait jamais défait, le Baron pouvait bien lui accorder ça.

Les très nobles Otmar de Malausènne et Lèvius regardaient le courageux Baron Ryther se lancer dans un dernier élan guerrier pour contester la victoire. Son coup précis trouva sa cible, la passe d’armes n’allait pas s'arrêter tout de suite…

— Valeureux, se permit de dire cette fois Jean Debard. Mais inutile comme le précédent vote de l’assemblée.

Cet influent bourgeois qui s’était tenu en silence en frottant le procédé de sa canne avec sa craie avait patiemment attendu le moment opportun pour entrer dans la danse. Des augustes membres que comprenait la partie de billard, il était certes l’un des moins bien nés. Mais ce qu’il n’avait eu par la naissance, son travail acharné le lui avait donné. L’argent n’avait pas d’odeur comme on le disait si bien et surtout des origines bien troubles concernant Debard.

— Je me demandais quand tu viendrais jouer le trouble-fête.

— Lèvius… je suis réaliste c'est tout.

— Réaliste ou non, croassa Horace. Je trouve cela facile de parler en ne se tenant pas sur le champ de bataille.

La partie de billard n’était somme toute plus le sujet principal.

— Je vous laisse volontiers l’arène de débat, il n’y a rien de plus sale que la politique.

— Tu ne veux pas être éclaboussé !? déduisit Horace. Dis plutôt que tu préfères les galipettes chez la mère Clémence.

— Ma femme me couperait les parties si j’y allais… trop souvent.

— À d’autres.

Le Baron Ryther se trouvait des plus taquins en ce jour.

— Chacun sa poule, s’il désire garder son affaire secrète qu’elle le reste.

Otmar souriait, il venait de tendre une perche salvatrice au bourgeois.

— Et puis je pense que l'établissement des bains est plus accueillant que ce lupanar…

— Des goûts plus spéciaux ?

— Tu me connais Lèvius, le commun n’a rien d’attirant.

— Si tu maniais aussi bien les mots que l’argent, tu y aurais ton titre de noblesse à n'en point douter.

La moquerie se voyait cette fois furtive.

— Ha ! Mon or pour un peu de sang bleu.

— Pourtant le marché n’est pas des plus moribond, éructa Horace. Tu trouverais chaussure à ta taille pour faire un petit noble.

— On parle toujours des femmes ?

— De quoi d’autre !?

— Nous avons besoin d’un avis impartial sur la chose, qu’en dites-vous, Révérend Durame ?

L’homme en question, assis confortablement sur les sièges de cuir bordant la surface de jeu, baissa alors son journal avant de le poser sur la table juste à côté de lui. Il sirota la boisson ambrée de son verre tout en se levant.

— Vous connaissez la politique de mon institution concernant la noblesse. S’il y a bien une chose qui n’a pas de prix, c'est le nom et le sang… Un mariage même avec une personne aussi exceptionnelle que vous ne peut se faire.

Le révérend du temple de Sol avait bien raison. Qu’il s’agisse de titre, de pouvoir ou encore de plaisir charnel, les religieux ne se trouvaient jamais bien loin. Et ce cher Durame semblait cumuler avec habilité ces trois domaines à en voir sa réaction quant à la précédente discussion.

— Voilà, conclut Horace. Il te faudra te contenter de tout ton argent et de notre présence mon bon Jean.

— Pour le premier point sans soucis, pour le second, je dirais que ça dépend de votre réponse. Une revanche ?

Jean Debard fixait Lèvius, debout, aidé par tout le soutien que lui fournissait la queue de billard.

— Autant pimenter le jeu ! coupa Horace.

— Une idée en tête ?

— Si notre révérend veut bien partager sa boisson, disons que pour chaque bille acquise un verre devra être donné à l'adversaire de son choix.

— On faisait ce genre de gaminerie au front Horace.

— Sentirais-je un peu de peur en toi Otmar ?

— Faisons comme ça ! conclut Lèvius. Révérend vous vous joignez à la partie ?

— Sans façon, j’observe.

Une sorte de métaphore si on y réfléchissait bien, les temples trempaient dans chaque activité de l’Empire. Sans jamais se mouiller bien évidemment. Lèvius souriait intérieurement.

Alors qu’il préparait sa canne avec le bleu que lui avait tendu Jean. Lèvius étudiait Otmar et Horace installer à nouveau la surface de jeu. Quelques verres au contenu trouble avaient fait leur apparition sur les bords de la table.

Sans plus de mots ou de discours superflu, Otmar commença en brisant les rangs ordonnés des billes pour lancer le chaos sur le billard. Les joueurs comme dans une cérémonie chorégraphiée se passèrent le relais pour faire de leur tour la meilleure des utilisations.

Les âges des acteurs présents différaient, tous pointaient leur disparité que ce soit au niveau de leur classe sociale ou de leur fonction. Mais ils se voyaient tous unis par des liens aussi solides qu'invisibles. Ils étaient vétérans de guerre, comme beaucoup dans la cité nation. Ils avaient avec le temps troqué les fusils pour le monde de la politique ou des affaires. Voir les deux en ce qui concerne le Révérend Duram.

Ils avaient été forgés sur la dure enclume de la vie. Façonné par le feu intérieur qui pousse les hommes à s'écharper par le désir de la minorité. Ainsi, malgré les chemins pris par chacun, tous continuaient à entretenir l’amitié qui les liait depuis lors.

— Et… dans le sac, exulta Otmar en touchant au but avant de se retourner vers Lèvius. Tu n’étancherais pas un peu ta soif !?

Il avait le sourire aux lèvres et le Baron Devràn but d’un trait d’alcool qu’on venait de lui désigner. Sa puissance suffit à faire chavirer le visage du fier noble le temps d’un instant avant qu’il ne repose le verre vide comme si de rien n'était.

Les notes brutes du breuvage s’accordaient en tout point au club dans lequel cette auguste fratrie de guerre s’était donné rendez-vous. Il était monnaie courante pour les nanties d’Aldius de se rassembler dans de tels établissements. Ces lieux de rencontre se trouvaient l'exact miroir des bistrots et bars des niveaux inférieurs. Et les liquides brunâtres y coulaient d’ailleurs avec presque le même débit.

Tandis que les effluves ambrés quittaient enfin le palais et le nez de Lèvius, ce dernier respira à nouveau l’odeur du bois et du cuir si caractéristique de la large pièce où ils jouaient. Son tour était venu, il se mit en position, mais manqua de peu la bille qu’il ciblait. Un coup victorieux pour les plus fins connaisseurs. Mais après tout, il fallait bien entretenir ou au minima maintenir l’amitié. Lèvius n’était point là pour gagner chaque partie et fit comme si l'action avait été ratée par malchance.

— Pour changer, reprit Otmar. Vous vous rendrez tous au Bal impérial ?

— Je pense que chacun d’entre nous se doit d’y aller. Le moindre nobliau ne manquera pas cette chance rare de se pavaner face à notre cher Empereur.

Les mots d’Horace étaient adoubés par des hochements de tête.

— Si ce n’est pour piller la cave de Sa Majesté, l’occasion permettra de sortir nos dames et leurs coûteux atours.

— Parlez pour vous…

Le Révérend n’avait pas tort sur ce point.

— Duram, vous vous rattraperez plus tard.

— Pourquoi tout tourne autour du badinage avec vous Otmar ?

— Car la vie se doit d'être vécue pleinement, mon ami. Allez, tenez.

Comme pour se faire pardonner pour ses pics, Otmar donna un verre au religieux qui trinqua bien volontiers. L'âge avait au moins le mérite d'assagir les hommes si ce n’est à défaut de les rendre plus éclairés.

La partie toucha bien vite à son terme. Comme la rencontre d’ailleurs, les heures avaient filé durant cette césure des plus bienvenues dans la journée chargée de chacun. Pendant que les poignées de mains et les sourires se voyaient échangés pour une dernière fois, Lèvius fit habillement comprendre au Baron Ryther qu’une discussion entre les deux se devait d’avoir lieu.

Observant leur camarade de jeu et ami quitter l'établissement, Lèvius invita le Baron Ryther à le suivre jusqu’aux nombreuses tables qu’incluait l’endroit pour dialoguer.

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