Malden - 5.1

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Des coups de feu aussi brutaux que soudain tirèrent Malden de son sommeil. Le lieutenant Devràn avachi sur la surface de son chenillard venait d'être rappelé au monde réel de la plus dure des manières.

Encore hagard par sa courte nuit, il se mettait debout à contrecœur. L’origine de ses maux résidait dans le canon de DCA placé sur un chenillard non loin du sien. L’arme imposante crachait ses cartouches par à-coups en criblant le ciel de balles traçantes.

Par les trois, mais qu’est ce qui leur prend…

Pendant que la DCA continuait à tonner avec force, Malden rejoignait les parois finissant le toit de son engin. Les créneaux de ce véritable château d'acier commençaient à se peupler avec les hommes attirés par ces tirs bien matinaux. Alors qu’il échangeait un regard avec le vieux Milo encore marqué lui aussi par la fatigue, Malden leva la tête vers les distants nuages ou les traînées orangées des projectiles disparaissaient.

Le soleil déjà bien haut aveuglait de ses feux Malden, mais en tendant l’oreille le lieutenant entendait des sifflements qui semblaient se rapprocher. Des bruits venus tout droit du ciel qui se multipliaient à la même vitesse que les canons impériaux arrosant l’azur de leurs traits.

En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, les quelques armes automatiques réparties le long de la ligne de défense sonnaient en cœur pour former un discordant orchestre. Les précieuses munitions de ses canons étaient utilisées sans modération et les impressionnants chargeurs ne cessèrent de se succéder dans leurs voraces mécanismes.

Mais que visaient-ils ?

Tout changea et prit de l’importance lorsqu’une machine vola en éclats. Une explosion des plus époustouflante dévora l’engin en un nuage de flamme qui le fit disparaître lui ainsi que les malheureux qui s’étaient tenus à ses côtés. Les pertes se multiplièrent et bientôt, ce fut au tour du chenillard muni du canon de DCA qui détona à côté du lieutenant Devràn.

Malden fut projeté par le souffle soudain de la déflagration, à la fois hébété et choqué par ce qui venait d’arriver, il tentait de se redresser en chancelant tel un homme ivre. Bien vite, les aéroplanes à l’origine de ses attaques troquèrent les sifflements lointains pour d’audibles vrombissements alors qu'ils passèrent non loin des têtes des soldats impériaux, pour regagner la sécurité du ciel, une fois délestés de leur chargement de mort.

Les personnes entourant Malden couraient en tous sens, ils étaient des cibles faciles pour les aviateurs unionistes. Certains se pressaient pour rejoindre les grosses armes automatiques alors que d'autres tiraient avec leur fusil dans les airs en une tentative de réplique mêlant aussi bien le courage que la futilité.

Satanée marine…

— Je crois que ce ne sont pas les navires de l’Union qui ont trinqué la nuit dernière ! fit Milo en criant presque pour se faire entendre.

Il devait avoir raison sur ce point, car le chaos prenait entièrement possession des troupes impériales attaquées sans préavis par les appareils aériens adverses. Malden tentait de se faire à cette amère vérité. Les tirs en tout genre peuplaient maintenant l'ouïe du lieutenant Devràn. Une tempête auditive uniquement entrecoupée par les hurlements ou les explosions qui fleurissaient tout autour de lui.

Malden, qui observait les alentours, s’était équipé de son arme de poing par pur réflexe. L’orage qui avait pris le camp ne semblait pas connaître de repos. Dans toute cette mort qui s'abattait sur les soldats d’Aldius le seul mot d’ordre se voyait être la fuite pour le moindre couvert. Pour la plus minime protection offerte par les béhémoths d’acier de la brigade Kempfer ou les bunkers de la ligne. Ces éphémères citadelles de bois et terre volèrent pourtant en éclats avec une étonnante facilité.

Le lieutenant Devràn baissait instinctivement la tête à chaque bombe qui faisait trembler le sol. Ses soldats l'imitaient en serrant fort contre eux leurs fusils. Tous, excepté Milo qui pris d'un courage insondable ou d’un excès de folie, bondit hors du chenillard.

Il venait de se jeter dans l’averse d’acier sans le moindre doute sous le regard choqué des membres de la section. En portant son attention plus en amont de la course du vieux médecin, Malden put voir quelques survivants se débattre autour de la carcasse du transport détruit. Ils roulaient sur le sol avec autant de grâce que des nouveau-nés.

Jurant à nouveau, Malden sauta lui aussi de la protection relative de son véhicule pour suivre son homme. Et il ne fut pas le seul. Quelque courageux lui emboitèrent le pas malgré le ballet aérien qui continuait son horrible spectacle.

La course du lieutenant Devràn le mena à rattraper son soldat ainsi que la triste scène auquel il aurait bien aimé se substituer. La carcasse d’acier en feu du transport voyait ses alentours brunis et les malheureux encore en vie criaient à s'en arracher les cordes vocales.

Les morts étaient nombreux, mais les rares vivants, eux, devaient envier leurs sorts. Leur peau avait fondu par endroit et dévoilait une teinte rouge et noir des plus repoussantes. Lorsque l’odeur nauséabonde de la chair calcinée vint envahir le nez de Malden, il retient de peu un hoquet maladif ainsi qu’un besoin de vomir qui secouèrent l'entièreté de son corps.

Milo, qui se trouvait déjà auprès des blessés, se démenait pour sortir de son sac le moindre matériel pouvant les soulager. Les brûlés et autres blessés graves ne pouvaient qu'être accompagnés et mis à couvert durant leur dernier instant. Les rares veinards qui n'avaient que la chance de ne souffrir que de lésions mineures, les corps criblés d’aciers voyaient quant à eux un attroupement de soldats les aider.

Milo distribuait les ersatz de Kyffür pour apaiser la douleur.

La guerre se dévoilait ainsi au lieutenant Devràn sous la plus sombre de ses faces.

— Tenez… TENEZ ! beugla Milo à son supérieur qui s'était figé sans s’en apercevoir.

Malden se retrouvait avec l’un de ces petits et précieux tubes de Kyffür sans savoir qu’en faire. Le médecin venait de prendre le contrôle des choses de la plus naturelle des manières et les syrettes de calmant allaient de mains en mains pour soulager les blessés.

— Il faut amener ceux qui sont encore en état d'être sauvés à l’ hôpital de campagne ou c’en est fini d’eux !

Il faut agir, bordel, pouvait entendre le lieutenant Devràn.

— Très bien !

Malden sentait un élan de clarté et il procéda comme on le lui avait appris pendant ces longs mois de classe à Aldius.

— Première unité !

Les hommes en question rappliquèrent déjà face à leur supérieur.

— Emmenez les blessés avec Milo et revenez fissa.

— Bien, chef !

Les soldats s’affairaient pour donner quelque chance de survie à leurs camarades et Malden faisait de même jusqu'à ce que ses mains soient libres de toute dose de calmants.

— Colm !

— Lieutenant ? fit le mécanicien.

— Cette préparation ne veut dire qu’une chose, les unionistes vont attaquer, il faut renforcer la défense avant qu'ils nous balayent (d’autres aéronefs passaient en lâchant leur chargement de mort autour d’eux, coupant momentanément la discussion). Prends la troisième et quatrième unité et organise la ligne avancée.

— À vos ordres !

Le grand Colm criait pour se faire entendre. Il ralliait à lui les hommes en question et tous se pressèrent de rejoindre les tranchées face aux chenillards. Le lieutenant regagna quant à lui les quatre chenillards de la section. Sur sa course, il sentait le sol trembler à chaque bombe qui touchait sa cible. Malden serait les dents en pensant aux morts que chacune de ces secousses entraînait.

Pris dans sa lancée, Malden rebondit presque contre l’arrière du chenillard de commandement quand il l’atteignit et se mit ensuite à grimper la courte échelle qui prenait place. La seconde unité de la section était répartie sur les toits des engins. Tous continuaient à tirer sur les aéronefs. Ceux qui virent l'arrivée de Malden appelèrent leurs camarades qui se tournèrent rapidement vers leur officier.

— Toi, toi et toi, commença Malden en attirant l’attention des combattants les plus proches. Rejoignez les autres chenillards et relayez l’ordre d’avancer jusqu'aux premières lignes.

Tous hochèrent la tête avant de courir jusqu'aux impressionnants véhicules d’aciers avoisinants pour accomplir leur objectif.

C'est pour maintenant, se dit Malden.

Son cœur battait à tout rompre. L’heure de vérité venait. Lui et ses hommes allaient être baptisés dans les feux de la guerre.

Le chenillard sous ses pieds l’arracha à son constat lorsqu’il se mit en branle pour progresser. Il fut bien vite imité par ses homologues en une cacophonie de lourds bruits de pot d'échappement.

Malden s’accrochait, la bête d’acier le malmenait alors qu’elle marquait la boue du sol de ses imposantes chenilles. Les hommes allaient et venaient depuis les écoutilles. Ils apportaient des caisses de munitions et se dispersaient dans toute la partie supérieure de l’engin.

Agrippé d’une main pour se tenir sur son presque navire de guerre, Malden troqua sa futile arme de poing pour la paire de jumelles qu’il portait. Le lieutenant défie la petite sacoche qui ballottait à sa ceinture et se saisit de l'objet pour observer les alentours.

Il se concentrait pour rester debout et plaqua les lentilles de l'appareil contre ses yeux.

Malden commença à porter sa vue sur la gauche de la ligne. L’infanterie coloniale gardait toute seule ce flanc de la défense. Les tranchées grouillaient de monde. Au loin, ils étaient comme des fourmis se pressant pour organiser leur ligne. Les nuages orangés fleurissaient autour de leurs boyaux. La terre volait en tous sens ainsi que les corps qui pris dans la tempête étaient éjectés avec autant de facilité que des poupées de chiffon.

Quelle horreur !

De sa distance, Malden était témoin de la quantité importante de bombes qui retournait le paysage autour des pauvres coloniaux.

Les troupes du centre auquel la section de Malden faisait partie n'étaient pas en reste. Les aéronefs les harcelaient, mais les nombreuses armes des chenillards criblaient de plomb l’essaim qui tournait agressivement au-dessus d’eux. Malden pointa ensuite ses jumelles sur le flanc droit. L’amalgame de coloniaux et d’Impériaux se voyait uni dans la mort qui s’abattait.

Les aéronefs martelaient les flancs, ils attaquaient les zones plus faibles là où les canons de DCA étaient plus épars. Les rares appareils qui attendaient le dernier moment pour viser au mieux leurs cibles. Ceux qui pêchaient d’orgueil en voulant causer le plus de morts voyaient leurs engins criblés, les ailes arrachées comme du papier alors qu’ils s'écrasaient au sol.

Adrian se trouvait parmi les troupes que Malden observait. Pourvu qu’il ne lui arrive rien. Le lieutenant Devràn n’était pourtant pas lui-même convaincu par la chose. Les chenillards qu’il apercevait explosaient avec trop de facilité. Maudites forces aériennes. Et où étaient les leurs !?

En un nouveau grand à-coup, le chenillard arrêta son avancée. L’acier tremblant sous les pieds de Malden se stoppait, se calmait, et Malden abandonna les jumelles pour les accrocher à son cou.

Les tranchées entouraient maintenant les véhicules de la section et la plupart des hommes bougeaient pour prendre place dans ces défenses. Les bombes aspergeaient les combattants. Malden, qui baissait instinctivement la tête à chaque projectile qui tombait, observait l’horizon et les lignes adverses.

À mesure que la tempête s’apaisait, du mouvement fut bientôt visible le long des positions unionistes. Du mouvement et des traînées noires annonçant l’avancée d'engins terrestres.

— Ils vont nous lancer tout ce qu’ils ont, fit l’un des membres du chenillard.

— On est foutus, se laissa dire un autre fantassin bien trop jeune pour connaître les bras glacés de la mort.

Il va pourtant falloir tenir.

— Veillez à approvisionner vos armes, soldats, l'ennemi approche !

Malden pouvait entendre les fusils être vérifiés autour de lui. Les mécanismes à verrou s’actionnaient et les lames de munitions disparaissaient des mains pour apprêter ces outils de guerre.

Malden respira un grand coup en soufflant. Ses hommes étaient prêts, ils attendaient l’heure du premier coup de feu chacun à leur manière. Tels des lévriers pour les plus patriotes et fous ou recroquevillés en priant comme le jeune qui se tenait aux côtés du lieutenant Devràn.

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