Neavia - 5.1

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La jeune chasseresse se concentrait pour observer avec le plus de clarté l'impressionnante construction qui prenait place au loin dans le sombre ciel. Neavia et le reste du groupe se trouvaient couchés sous le couvert des nombreux arbres les entourant. Tous tapis sous la protectrice et touffue végétation de Céresse.

La forme au-dessus d'elle était comme un anarchique amalgame d’acier et de ballon d’air chaud suspendu dans l’azur. Une réalisation affreuse pour les yeux de Neavia dont le seul mot pour la décrire pouvait être le dégoût. Quelques dirigeables, bâtiments de commerce ou de prospection se trouvaient amarrés tout autour de ce port. De nombreux câbles et cordes descendaient aussi de cette impressionnante création impériale pour venir se fixer sur le sol.

— C'est ça notre cible !? chuchota avec crainte l'un des chasseurs.

La construction ainsi que ses multiples navires avaient de quoi faire peur, Neavia comprenait bien la réticence du guerrier face à la tâche surhumaine qui se dressait devant eux.

— Oui, reprit Druïg. Les dirigeables qui ont capturé nos frères et sœurs doivent être parmi ceux que l'on aperçoit. Si nous avons une chance de sauver ces malheureux, nous devons la saisir.

La voix de Druïg était assurée et calme. Il imposait son désir au groupe. Tout doute ne pouvait voir le jour, car le danger allait être bien assez grand comme ça. Les chasseurs allaient plonger dans la gueule de la bête impériale. Dans l’antre même des prospecteurs. Druïg avait donné sa mission à chacun des Ehnşceïd présents. Tous connaissaient leurs tâches et Neavia disposait de la plus importante à ses yeux. Elle devait trouver Kïron. Mais dans toute cette construction, où pouvait-il bien être ?

— Bien, fit Druïg, allons-y !

Chacun se leva hors de son couvert. La nuit était tombée et aucun navire ne parcourait le ciel de Céresse. De nombreuses lumières éclairaient le port impérial au loin ainsi que les bâtiments qui y étaient amarrés. Les chasseurs se mouvaient donc avec furtivité, telles des ombres dans la plus noire des nuits. Ils se rapprochèrent de leurs cibles comme des animaux grappillant du terrain sur leur proie.

Neavia avançait en ne cessant de fixer la forme d’acier dans le ciel, l’excroissance maladive qui se voyait fermement accrochée à Céresse. Se pouvait-il que Kïron soit là ? Elle l'espérait de tout cœur en tout cas. Les chasseurs prirent un moment pour rallier les nombreux points d'ancrage du port. Nul garde n'attendait autour de ces multiples cordages et chaînes. Tous les regards des prospecteurs devaient être tournés vers l’horizon et les villes en guerre avec leur Empire. Nul ne devait prêter attention à la faune de Céresse ou au peuple libre qu’elle abritait.

Les impériaux allaient le regretter.

Les chasseurs qui se déployaient autour des grandes attaches d’aciers solidement ancrés observaient les liens reliant le port à Céresse. La hauteur à gravir avait de quoi faire tourner de l’œil. Nul ne s’exprimait, mais les doutes devaient fleurir dans les têtes de chacun. Neavia pouvait le sentir, car elle-même voyait sa détermination s'ébrécher face au périlleux chemin qui s'offrait à elle. Sans autre discours, Druïg fut le premier à rejoindre l’une des épaisses cordes et se mit à grimper. Les regards s'échangèrent entre chasseurs et Neavia emboîta le pas à son ami sans plus de réflexion.

Elle toucha de ses mains l'acier froid et frissonna. En posant son pied, Neavia se rappela la raison de ses actions, son esprit était apaisé. La jeune chasseresse souffla comme pour vider une dernière fois son esprit, évacuer ses doutes, puis elle escalada cette étonnante et dangereuse voie.

Un léger vent faisait se mouvoir les attaches du port. Neavia et ses camarades s’étaient répartis entre les différents liens et tous grimpaient. L’effort et la concentration que requerrait cette ascension firent bientôt suer à grosse goutte Neavia. Sa respiration se voyait poussive, ses mains cherchaient toujours plus d’appuis sur la matière rêche de chanvre ou le glacial acier des chaînes.

Chaque mouvement se trouvait compliqué. Neavia devait être sûr de ses prises pour avancer, car la plus minime erreur, le moindre mauvais faux pas, pouvait avoir de graves conséquences. Alors qu’elle devenait étrangère au monde même qui l'entourait, hors du temps face à ses efforts. Face à ses actions. Neavia s'accorda un arrêt quand sa gorge se fit douloureuse. La jeune chasseresse se démenait et sa respiration lui faisait presque mal. Les cheveux de la chasseresse volaient avec le vent qui passait. Ils virevoltaient comme les quelques chaînes qui avaient cédé dans la multitude d'attaches du port. Des grincements sinistres étaient émis par ces liens rompus.

S’accrochant comme une tique, Neavia se permit un regard en arrière. De sa hauteur, les liens du port semblaient bouger dangereusement. Elle paraissait elle-même en mouvement. La chasseresse percevait toutes les formes sombres qui se répartissaient sur la peuplade de cordes et chaînes. La nuit transformait les alentours en vide noir. Une obscurité pesante et effrayante dans laquelle Neavia ne voulait pas plonger. Elle réaffirma donc son emprise sur les chaînes qu’elle parcourait et reprit son chemin.

Le temps fila sur ces dangereuses voies.

Ce fut sur une partie largement rouillée que la jeune chasseresse eut sa plus grande frayeur. Le pied sur lequel elle s'appuyait glissa sur une traîtresse surface orangée. Durant un battement de cils, Neavia cessa toute action. Elle arrêta de réfléchir et de respirer alors que ses mains s'agrippaient pour ne pas chuter. Neavia avait fermé les yeux tandis que son cœur battait à en arracher son torse.

Neavia venait de commettre son premier faux pas. Elle n’était pas passée loin de rejoindre le vide noir et sa mort. La jeune chasseresse regarda au-dessus d’elle, le port n'était plus hors de portée.

Il faut continuer !

Neavia poursuivit, son escalade, l'instinct de survie s’était à nouveau réveillé en elle. Neavia progressait avec la plus grande attention, observant les surfaces, elle se mouvait sans prendre de risque inconsidéré.

Plus loin, les attaches de la structure semblaient se rejoindre en un point précis, vers la base de toutes les constructions d’aciers qui prenaient ensuite place. Ces voies, empruntées par les chasseurs, formaient comme les tentacules de cette méduse grise qui volait dans le ciel.

La multitude d’ombres que composaient les silhouettes des chasseurs se rallièrent aux anneaux surdimensionnés ou les liens se nouaient. Les Ehnşceïd posèrent ainsi le pied sur le sol. Les grincements emplissaient l’air de leur son et les arrivants continuaient leur mutisme.

Druïg fut le seul à réagir, par ses signes, il donna l’ordre de se déployer. Les chasseurs arpentèrent le branlant territoire d’acier avec une attention toute décuplée. Plusieurs échelles prenaient appui sur ces surfaces de tôles pour disparaître dans la structure, Neavia s'engagea donc comme ces camarades sur ces passages. Chacun se mettait à sa tâche.

Elle fut toutefois arrêtée lorsque son échelle se finit par une grille. Bien évidemment, Neavia tenta de la bouger. Mais malgré ses efforts, le battant ne laissait qu’un mince espace. Un interstice trop étroit pour le moindre humain. L'obstacle restait fixé par un vieux cadenas. Il se tenait là en refusant à Neavia l’entrée de ce domaine impérial.

La chasseresse fouilla les sacoches accrochées à sa ceinture. Ses mains tâtonnèrent dans les poches de cuir jusqu'à ce qu’elles tombent sur ses différents outils. Positionnée comme elle le pouvait, Neavia attaquait le cadenas. Elle s’adonnait à quelques pauses durant son travail pour rester à l'affût de la moindre présence. Mais à part les rats et les membres du clan, il n’y avait aucune trace de vie.

L’opération dura un moment et Neavia grimaçait à chaque fois qu’elle touchait la grille. Un bruit étouffé résonnait et quand l’outil de la chasseresse parvint à faire céder l'attache, la main de Neavia continua son mouvement pour venir se couper sur l'acier.

Haaa… Foutu cadenas…

Une douleur vive prit sa main.

Neavia ne perdit pourtant pas un instant. Elle émergea des profondeurs du port en nouant un tissu autour de la blessure de sa main.

La jeune chasseresse avait quitté les chemins désertés des entrailles du port pour gagner les ombres des bâtiments et hautes constructions qui composaient le domaine des prospecteurs.

Le nez de Neavia habitué aux odeurs de la forêt et des plaines de Céresse du s’acclimater à toutes les fragrances que comprenait ce lieu bien étrange. De nombreux autres chasseurs émergeaient des passages souterrains comme elle. Un univers oppressant d’acier, de bois et des toiles gonflées les entourait.

La facilité avec laquelle la chasseresse s’était infiltrée la faisait douter. Se pouvait-il que les prospecteurs méprisent à ce point les peuples libres pour ne pas même attendre une réaction de leur part !? Neavia enrageait face à cette idée, mais elle ne perdait pas pour autant son calme. Elle avait une mission et Neavia s’y raccrocha totalement.

La jeune femme longeait les murs et les courtes allées. S'arrêtant lorsque des groupes d’impériaux faisaient leur apparition. Les passages du port se trouvaient étroits et sombres. Éclairé de temps à autre par quelques lampes faiblardes ballottées par le vent important qui régnait à cette hauteur. Ces lueurs mettant en évidence les nombreux tuyaux de toutes tailles qui couraient d'un bâtiment à un autre en peuplant les bords des chemins.

Ce fut au détour d'un croisement que la chasseresse tomba sur une large troupe en arme. Leurs rires et discussions ne collaient nullement à un rôle de garde, ceci se confirma lorsqu’ils passèrent à côté de la palissade ou Neavia avait trouvé refuge. Un effluve corsé émanait d’eux, la bouteille qu’ils lancèrent au sol se vida du peu de liquide qu’elle recelait encore et Neavia sentit pleinement l’alcool qui s’y était trouvé.

Lorsque les voix commencèrent à s'éloigner assez, la jeune chasseresse se leva de sa cachette, quelques-uns de ses camarades l’imitèrent. Neavia avançait maintenant, telle une habitante du lieu. L’ambiance était à la fête et rares étaient ceux à leur prêter attention. Les prospecteurs devaient se congratuler de leur dernière traque victorieuse. Les réjouissances allaient toutefois ne pas durer longtemps. Les chasseurs du clan Ehnşceïd venaient prendre leur revanche.

Les bâtiments qui composaient et encadraient les passages du port étaient hauts, de formes biscornues, et semblaient dressés en un ensemble discordant. Les constructions se trouvaient telles des pièces rapportées qu’on aurait empilées les unes sur les autres pour gagner toujours plus de place.

Neavia observait chaque détail, elle avait le regard attentif et cherchait le moindre édifice pouvant servir de prison à ses amis. Tous ne paraissaient être pourtant que des dortoirs ou entrepôts.

Ce fut ensuite un espace libre comprenant de nombreux barils répartis en de petites pyramides que Neavia put étudier. Un liquide d’une noirceur abyssal coulait de certains contenants percés et Neavia reconnut la matière qui leur avait été lancée. Le sang noir qui alimentait l’Empire était stocké sans plus de précautions et tandis que la chasseresse quittait l’endroit, elle aperçut quelqu’un de ses camarades en train de se mettre à l’œuvre pour commencer leur sabotage.

Il allait bien falloir des distractions pour s’enfuir, de nombreux groupes s’étaient déjà répartis dans le port pour agir en ce sens.

Où peut-il bien être ?

Neavia continuait d’avancer, elle devait trouver Kiron. Mais elle ne pouvait se voiler la face, elle progressait à l’aveuglette.

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