Alek - 1.3

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Le magister qui fit son apparition au sein de l’usine se mit à suivre le capitaine dans l’impressionnant complexe de production. Il s’acclimatait les lieux depuis la passerelle sur laquelle il progressait. L’endroit qui devait grouiller d’activités en temps normal était cette fois vide et maladivement silencieux.

L’espace de travail fourmillait de puissantes machines en fonte. De hautes roues, jadis tournantes, étaient à présent figées sur place et les canaux qui servaient à guider l’acier en fusion étaient déserts. Recouverts uniquement d’un grand dépôt de suie noire et granuleuse. Treuils, cordes, câbles et autres accessoires de levage pendaient sur les différents supports du toit cuivré dont les quelques rares fenêtres présentes étaient également tapissées d’une bonne couche de crasse.

Le capitaine qui ouvrait la marche monta bientôt un court escalier et disparut derrière une petite porte menant à un couloir bien sombre. Alek qui progressait avec le milicien dans ce nouveau passage tout aussi vide d’activités, aux chaises éparses et aux lampes à huile encore allumées, écouta l'homme qui prenait à nouveau la parole.

— C’est de l’autre côté, fit-il d’un ton à présent presque professionnel. On a bien sûr dégagé l’endroit de toute personne dès que la garde nous a appelés en renfort. On a préservé la scène le plus possible et votre équipière doit maintenant s’y trouver.

Le capitaine s’empara du trousseau de clés qui pendait à son ceinturon, l'officier déverrouilla la lourde porte d’acier qui leur faisait face et Alek suivit son guide au sein de la pièce.

La salle vaste dans lequel il entra devait être le bureau d’un des supérieurs de l’usine à n’en point douter. Sur la partie droite, une grande verrière occupait le mur en offrant une vue saisissante sur le chaos des affrontements agitant la place face à la manufacture. Les vitres amenaient un peu de clarté dans cette sombre pièce. Un secrétaire d’un bois noble et travaillé couvrait ensuite une bonne part du lieu. Il était associé à un fauteuil de cuir et en plein centre se tenait une personne habillée d’un long manteau qui observait un corps inanimé au sol.

Alek s’approcha de la scène, il pouvait voir le cadavre. Il s’agissait d’un homme bien vêtu avec un costume trois-pièces des plus élaboré. Ou du moins ce qu’il en restait de sa beauté passée. La dépouille se trouvait étalée de tout son long sur le ventre, imbibant le tapis vert et ses riches tissus d'une teinte écarlate. La scène n’avait rien d’un assassinat propre et préparé, mais plus d’un meurtre impulsif. Le corps du malheureux semblait d’ailleurs être lardé de nombreux coups tranchants et son sang repeignait la salle dans des arabesques rouges morbides.

— Alors, Amicia, qu’as-tu découvert jusque-là ? commença Alek tandis que le capitaine de la milice s’était de lui-même effacé debout près de l’entrée pour laisser les magisters faire usage de leurs pouvoirs.

La femme qui se tourna vers Alek était de taille plutôt moyenne tout comme lui. Elle était habillée de son manteau, de ses bottes et de ses gants si caractéristiques de sa fonction. Le tissu d'un coloris sombre et les boutons et extrémités dorés ne ressortaient que mieux avec la teinte tout aussi noire de ses cheveux. L’insigne de leur collège était, lui, brodé sur la partie avant de sa poitrine avec un œil à moitié fermé couvrant trois sabres croisés. La longue crinière d’Amicia était tressée en arrière, son visage rond et jeune arborait des yeux verts saillants d’une grande clarté. Sa bouche fine était surmontée quant à elle par un nez court finissant sa tête qui était non moins amicale qu’accueillante.

— Jusqu’à maintenant, pas mal d’indices troublants, commença-t-elle. À mon avis ce meurtre couve quelque chose de bien moche.

Il avait songé à la même chose…

Alek observa le regard de sa camarade pointé sur le capitaine à l’entrée, il perçut à nouveau cette sensation de froid dans sa nuque. Mais cette fois il l’accompagna et se sentit emmener vers un palais de pensée dans un tourbillon de fumée violette. Les arcanistes d’un certain niveau arrivaient à jouer avec leur esprit et celui des autres, peu importe leur art de prédilection. Ils étaient ainsi capables de créer un espace qu’ils pouvaient modeler à leur souhait tout en s’y représentant.

Cet espace nommé palais de pensée était un endroit unique et isolé où seuls son propriétaire et ses invités pouvaient se rendre. Ce dernier était celui d’Amicia et elle avait reproduit la salle, le corps à l’identique avec la présence d’Alek en plus de la sienne.

— À mon avis, tout ceci n’est qu’une mise en scène, commença la magister à présent agenouillé près du corps.

— Une mort maquillée en meurtre sanguinaire ?

— Tout à fait. À part les coups sans utilité qui lardent son corps, on peut observer la trace d’une lame appliquée avec soin sur le cou et proche du cœur.

— Un travail de professionnel, déduisit Alek debout derrière Amicia.

— Ça m’en a tout l’air, ce n’est pas la garde ou ta milice qui l’auraient vue.

— Pour eux, un meurtre est un meurtre, commença Alek d’un ton approbateur en s’avançant vers les vitres de la fausse pièce. Elles menaient sur la brume violette qui entourait la représentation de la salle. Le vide apaisait son esprit.

Il ne pouvait blâmer la garde, ce genre de spectacle était monnaie courante dans les parties populaires de la ville. Ils devenaient insensibles ou distraits à force…

Sa tête se reflétait à présent sur les carreaux fictifs du bureau. Alek avait un visage ovale et lisse. Ses cheveux mi-longs et noirs étaient en bataille et sa barbe de trois jours présente au-dessous de son nez aquilin n’attendait que d’être rasée.

Les deux magisters furent happés hors du palais de pensée d’Amicia dans une soudaine volupte de fumée violette lorsque le capitaine de la milice à la porte siffla légèrement pour les avertir.

Pendant qu’Amicia était toujours baissée près du corps cette fois de manière bien réelle, Alek se retournait vers l’entrée où une personne fit son apparition. Poussant prestement le capitaine de la milice avec un dédain bien visible, l’arrivant s’invita dans la pièce suivie par plusieurs hommes de main de haute stature. Ils étaient ironiquement différents de leur supérieur filiforme et allongé qui avait fait irruption dans la salle en premier. Ils portaient tous des uniformes aux couleurs bien trop sombres pour être qualifiées de bleues. Des cuirasses mates d’un noire abyssale, symbole de leur obscure fonction de garde personnelle du dirigeant d’Aldius, couvraient leurs corps. Les masques de bronze au sourire moqueur qui cachaient leur identité n’inspiraient aucune confiance.

— Desmond Dervius, fit l’arrivant d’un phrasé témoignant de sa noble naissance. Envoyé de Son Altesse l’Empereur Ovidius et officier de la garde d’Onyx. Cette scène de crime est à présent sous notre autorité, alors, je vous invite à vider au plus vite les lieux. Et madame, veuillez enlever vos doigts de ce corps, je vous prie, finit-il en toisant les habitants de la salle.

À ces derniers mots, ses sbires créèrent un couloir incitant les trois occupants de la pièce à quitter l’endroit. L’officier de la garde d’Onyx avait un phrasé mauvais, un monocle, des traits tirés et une moustache taillée au millimètre près. Les deux magisters échangèrent un regard désabusé et obtempérèrent en suivant le capitaine de la milice hors du bureau accompagné uniquement par le son de la porte d’acier qui claquait lourdement derrière eux.

Tandis que tous trois arpentaient les passerelles de l’usine, le capitaine prit la parole.

— Que foutent ces vaniteux de la garde d’Onyx. Ils n’ont rien d'autre à faire ?

— Ils ont sûrement des informations que nous ne possédons pas. Et ils vont bien sûr ne rien nous dire. Amicia, as-tu trouvé ce que tu cherchais sur le corps ?

Alek qui s’était tenu entre elle et l’envoyé impérial avait senti sa partenaire farfouiller les poches du défunt plus tôt et l’avait donc couvert du mieux qu’il pouvait.

— J’ai remarqué ceci, fit-elle en dévoilant une cartouche d’allumettes qu’elle fit glisser et apparaître entre ses doigts.

— Quel esprit rusé tu as. Un bistrot du coin ?

— Non, Le Chat noir est bien à plusieurs quartiers d’ici.

— Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps, fit Alek après avoir dévalé les escaliers qui longeaient les parois extérieures de la manufacture. Capitaine, au plaisir !

— De même, répondit l’intéressé en rendant son salut à Alek. M’dame, M’sieur, finit-il en agitant sa casquette.

Les deux magisters quittèrent alors les lieux sentant le regard de l’envoyé impérial qui les scrutait mauvaisement depuis le couvert des épais carreaux de l’usine.

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