Alek - 4.4

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— Ha ! Mes deux élèves prodiges, ou devrais-je dire les deux plus inconscients …

Alek allait répondre quand le maître d’armes tendit la main pour l’arrêter de suite. L’homme âgé dégageait une certaine prestance naturelle qui forçait le respect, notamment venant de ses deux jeunes magisters.

— Nulle explication, vous êtes au-dessus de ça, je vous aie formé alors faites honneur à votre entraînement, si ce n’est à moi. Tournant le regard vers Amicia, il reprit, comment te sens-tu ?

— Ça peut aller.

— Bien, vous avez encore une chance de vous rattraper, faites le parler ou au moins accoucher d’une quelconque autre piste à suivre, dit Kaeso en désignant la porte derrière lui.

Son humour du début n’était pas sans quelques arrières pensés, en réalité, il était bien en colère envers eux. Surtout à l’égard de Alek, mais il le cachait bien malgré les brides d’énervement qui se voyaient çà et là sur son visage. Kaeso était un homme juste, mais l’erreur qu’Alek avait commise en se battant isolé n’allait pas être acceptée facilement.

Ils arrivèrent vers la seconde pièce qui était bien obscure, ils virent plus clair lorsqu’ils entendirent le maître d’armes actionner la valve de l’éclairage en fermant la porte. Et ils n’étaient pas seuls dans la salle.

L’endroit restreint était composé en son centre d’une table d’acier riveté au sol et d’un siège tout aussi solidement fixé. L’homme qui l’occupait avait un sac en jute qui lui recouvrait le visage. À la vision de la lumière et du grincement de l’entrée, il bougea.

Ses liens, qui devaient le serrer douloureusement, le maintenaient et seule sa tête dissimulée remua derrière la pièce de tissu. Amicia, toujours proche de la porte, saisit une chaise posée contre le mur, la seconde de la salle, et la fit avancer en laissant crisser ses pieds.

Alek pouvait sentir le stress du prisonnier monter, sa souffrance à chacun de ses mouvements entravés.

S’asseyant face au dossier de la chaise qu’elle installa vers la table, Amicia observait l’homme tandis qu’Alek les rejoignait. D’un geste, il lui enleva la cagoule et le bâillon qui avait empêché le captif de s’exprimer jusqu’à présent.

Mais nulle colère, nulle peur n’en vint au début. Juste une incompréhension face à la situation dans laquelle il était. Enfin jusqu’à ce qu’il regarde Amicia et Alek en les reconnaissant.

— Vous… commença-t-il avec un timbre de voix dur en vue de la fureur qui défigurait à présent son visage. C'est à cause de toi et de cette salle con…

Mais l’homme n’eut pas le temps de continuer sa phrase qu’Alek lui asséna un coup.

— Du respect pour la dame.

J’vous en donnerais de la dame... plus une mutante qu’autre chose… marmonna-t-il.

Alors qu’il allait à nouveau le rappeler à l’ordre, Alek fut retenu par Amicia qui prit la parole.

— Voyons, nous pouvons tous rester civilisés, après tout si on persévère sur un échange stérile, on va devoir t’envoyer à la fosse…

Le captif à l’énonciation de ce mot perdit toute forme d’hostilité apparente et se contentait de fixer Amicia. Alek quant à lui tournait dans l’ombre derrière le prisonnier, en sentait chacune de ses émotions qui fleurissait face à chaque phrase, à chaque pas près de lui.

— On sait que tu es un homme de « Taille-pierre », commença la magister. Pas besoin de te questionner là-dessus, par contre, il va falloir nous donner un moyen de l’atteindre ce cher Léto de Wriss…

Allez parle… chuchota Alek derrière le détenu en serrant ses poings gantés.

Il pouvait percevoir sa peur à présent, une angoisse dissimulée par un masque de confiance qu’il essayait d’arborer en reprenant la parole.

— Vous me jouez le coup du bon et mauvais magister… Je vous vois venir vous croyez vraiment que ça va marcher ?

Mais il se coupa dans sa phrase, arrêté par de la douleur qu’il ressentait, cela aussi Alek pouvait le sentir.

Les entraves d’acier qui le liaient à sa chaise semblaient se serrer. Amicia devait avoir perdu patience. Après tout, il s’était montré blessant envers elle dès le début de leur échange et face à une énième réaction d’orgueil du prisonnier, elle utilisa enfin son art.

On dirait que tu passes aux choses sérieuses, dit Alek dans l’esprit de sa coéquipière. Il va très vite voir qu’il n’y a pas de bon ou mauvais magister…

Baissant le regard, Alek pouvait observer les fers se raidir tout seul autour des poignets du détenu. Le serrer toujours plus fort jusqu’au sang qui perlait bientôt sur le sol de la salle.

— HAAA... C'EST BON, c'est bon. Dites-lui d’arrêter… Sentant la prise de ses liens se relâcher, il continua. Je ne suis pas un décideur…

Mais Amicia reprit de plus belle.

— Cette sorcière veut me casser les poignets HAaaa DITES LUI D'ARRÊTER !

— Alors, dis nous quelque chose d’intéressant, lui répondit-elle.

— Je ne suis pas une putain de balance.

— Bientôt, tu seras une balance sans main, pourquoi attendre encore ? rétorqua Amicia.

— De Wriss me fera bien pire si je vous rencarde… fit-il d’un ton de voix montrant sa souffrance. Mais comme auparavant, il essaya de reprendre confiance en se moquant d’eux. Enfin, je pourrais te donner deux ou trois informations, je suis sûr que tu sais faire bien des choses, dit-il avec un sourire animal.

Mais la personne qui réagit ne fut pas celle qu’il espérait.

— Tu vas voir ce que nous on peut réaliser comparer à ton patron.

Ils avaient été gentils bien longtemps, Alek pénétra alors l’esprit de l’homme sans prendre de pincettes, sans lui demander la permission. Le prisonnier se sentait envahi, piégé dans son propre corps transi de peur. Touchant ainsi les pensées du détenu, Alek avait accès à ses émotions, ses souvenirs. C’étaient ces derniers qui l’intéressaient. Cherchant toujours plus dans ses moindres songes, il sentit l’individu faiblir et toute opposition qui le gênait disparaître. Il le vit céder en baissant mentalement les armes et en libérant sa vessie au passage.

Ainsi prisonnier de sa chaise, le regard empli de douleur et son pantalon souillé, l’homme n’avait plus rien de fier.

— Tu sais, commença Amicia face au détenu à moitié conscient du monde réel et de celui de son esprit abusé par le magister. Je ne couche pas avec ceux qui se font encore dessus… Tu trouves quelque chose ?

Je crois, articula Alek qui scrutait les souvenirs récents du captif, pensées qu'il luttait à acquérir, à interpréter.

Alek pénétrant son esprit, ses moindres songes. Ses pouvoirs ne lui permettaient que de voir succinctement des bribes d’images, les souvenirs les plus récents. Il avait ainsi un étalage de la vie peu enviable du prisonnier. Mais comme il l’avait dit, il ne semblait pas savoir grand-chose, enfin tout sauf une rencontre avec le contremaître assassiné.

Libérant l’esprit de l’homme qui réagit en un souffle de répit face au supplice qui s’arrêtait.

— J’ai clairement vu le contremaître. C'est vous qui l’avez tué ?

— Non…

— Non ?

Alek s’apprêtait à de nouveau entrer dans les pensées du prisonnier, mais ce dernier sentant cela le stoppa de suite.

— Arrêtez… Arrêtez, dit-il presque en pleurant.

— Alors, parle-nous de lui.

— On ne l’a pas tué ce vieux vicelard, c’était un client important.

— Comment ça ?

— Il avait des besoins... Spéciaux... Et payait en conséquence. Pourquoi aurions-nous tué l’un de nos « clients » ?

— Si tu ne sais rien de plus qui gère la maison close où on t’a trouvé ?

— Yannek, mais il s’est fait choper par la garde il y a une semaine. C'est lui qui disait que ce contremaître était important.

Un sergent de Léto de Wriss…

—Alors ce Yannek doit être à la fosse, comme toi bientôt.

— Quoi, non, non non… fit le prisonnier qui commençait à geindre.

Ses supplices ne font que débuter… fit Alek dans l’esprit de la magister.

Il ne l’aura pas volé. Au plaisir, lâcha Amicia en quittant la pièce.

Les deux magisters forts des nouvelles informations glanées délaissèrent la salle et son occupant. Le condamnant à nouveau à l’obscurité en refermant derrière eux la porte. Le maître d’armes qui n’avait rien loupé de l’échange rabattait le petit clapet du mur qu’il lui avait laissé suivre l’interrogatoire.

— Bon, on dirait que vous avancez enfin. J’enverrais un télégramme à la fosse pour les avertir de votre passage.

— Parfait, répondit d’Alek avec un signe de tête pour prendre congé.

— Quand vous y irez n’oublier pas. Ce qui se passe dans cette prison permet à notre cité de vivre dans une certaine paix.

Emportant les derniers mots de Kaeso, Alek et Amicia se mirent à gravir les escaliers pour revoir le monde extérieur. Tous deux firent ainsi sans trop parler jusqu’à ce qu’ils arrivent en haut des marches. La lumière naturelle qui perçait les vitres du collège éblouit Amicia. Pris comme d’un malaise face à cette lumière vive. Devant cette vraie lueur, elle recula, mais Alek la retint pour ne pas qu’elle reparte en arrière.

— Ça va ?

La voyant répondre d’un signe de tête, il reprit.

— Tu voudrais rentrer te reposer ?

— J’ai bien assez dormi comme ça, fit Amicia d’une voix ferme.

— D’accord… d’accord, allons manger quelque chose alors. Je ne sais pas toi, mais j’ai les crocs.

— Ensuite, on s’occupera de notre nouvel ami à la fosse, conclut-elle en emboîtant le pas à Alek.

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